11/03/2013
Un article de Michel Marmin.
Méditations altières
D'articles confidentiels en plaquettes précieuses, l'oeuvre philosophique et poétique de Luc-Olivier d'Algange paraissait définitivement vouée à la délectation et à l'édification des happy few. Mais ceux-ci étaient enclins à estimer qu'une divulgation plus large de ses écrits méditatifs était une tâche urgente, moins pour l'auteur lui-même, qui n'a cure de renommée, que pour tous ceux qui, sans le savoir, en étaient privés. C'est enfin chose faite avec la parution, coup sur coup, de deux livres, L'Etincelle d'or et L'Ombre de Venise. Deux livres parfaitement complémentaires, qui révèleront aux néophytes une philosophie altière, exprimée dans une langue somptueuse et excessivement châtiée.
Que dit en substance Luc-Olivier d'Algange ? Que "l'herméneutique est ce qui vivifie l'esprit sous les cendres de la lettre morte des religions réduites à leurs aspects extérieurs", que la science d'Hermès redevient alors un recours contre le totalitarisme de cette "transparence" chère aux nouveaux inquisiteurs, que la "tolérance" dont se gargarisent les donneurs de leçon peut être "obscurantiste" , que le secret est la condition même de la liberté, que seule "l'expérience de la coïncidence des contraires" peut arracher l''esprit à la gangue de la technique, elle-même fille de la raison raisonnante. A cet égard, l'auteur s'inscrit dans le droit fil de la critique de la modernité, telle que l'a naguère formulée René Guénon. Ce serait toutefois par trop le réduire que de le qualifier de "guénonien". C'est que ce philosophe platonicien, ou néoplatonicien si l'on préfère, est aussi, un poète, et c'est chez les poètes autant que chez les philosophes qu'il butine pour nous offrir son miel: les romantiques allemands, Baudelaire ou Pessoa, autant que Grégoire de Naziance, Heidegger, et surtout Nietzsche dont il parle admirablement et chez qui la philosophie et la poésie étaient justement tout un.
La pensée de Luc-Olivier d'Algange a ceci d'extrêmement original et vivifiant qu'elle est moins spéculative qu'opérative. L'on pourrait dire de ces deux ouvrages ce que l'auteur dit des cathédrales: "La cathédrale ne délivre pas seulement un enseignement didactique, ce qu'elle fit au demeurant avec une pertinence que nos modernes moyens de communication sont loin d'atteindre, elle sollicite de l'entendement humain une collaboration à la transmutation."
Michel Marmin
(Le Spectacle du monde N° 528)
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Quatrième de couverture de L'Ombre de Venise
Il ne sera guère question de Venise dans ces entretiens qui souvent prennent la forme de monologues intérieurs... A peine de son "ombre", ou plus exactement de l'ombre d'un titre auquel Nietzsche renonça pour ces fragments, ces aphorismes, "ces provocations, ces appels" qui deviendront Aurores et Le Gai savoir; ombre qui nous accompagne dans notre voyage vers la vie magnifique, ombre qui scintille, ici et maintenant, de toute la splendeur de sa présence. Le voyageur et son ombre parleront ainsi, au fil d la promenade, du dandysme, des rapports étranges de la littérature et de la vérité, de Platon et de Nietzsche, de l'autorité et de la liberté, de la morale et du style, de l'incomprise générosité, de l'orage mallarméen, de Fernando Pessoa, de la "rhétorique de Dieu", des pays de Dante et de Novalis, de l'abîme de Dionysos et de l'abîme du Christ, d'Heidegger et des poètes chinois, du "regard de diamant", de l'attention...
"Il nous plaît, écrit Luc-Olivier d'Algange, d'écrire à l'ombre d'une cité et à l'ombre d'une oeuvre. Ces ombres ne sont pas les ombres de la caverne platonicienne, mais des ombres versicolores, venues des hauts feuillages sur notre promenade à travers la Cité éperdument architecturale, éprise de ciel et d'eau, et de leurs embrasement réciproques. Certes, les aurores qui viennent, ces aurores "védiques" dont parle Nietzsche, devront être annoncées avec tous les apparats d'une exactitude extrême. Ne rien laisser au hasard, joindre sa vision au pressentiment d'une beauté mathématique ! Tel sera le mot d'ordre qui fera tomber les propagandes. Ce miroir fabuleux qu'est l'entendement humain, qui va jusqu'à enrichir le monde qu'il reflète, est, entre son propre ciel et sa propre terre, une Cité sauvée des eaux et défiant la mort".
L'ombre de Venise est fine, elle laisse passer la lumière. La finesse de l'ombre, sa vertu picturale, présagent une nouvelle audace herméneutique. A travers L'Ombre de Venise se précise, comme en contre-jour, l'écriture des dieux, l'écriture éternellement antérieure des "registres de lumière" de ce "logos intérieur" dont parle Philon d'Alexandrie.
L'Ombre de Venise, éditions Alexipharmaque, 15 euros
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