21/03/2025
Un article de Maximilien Friche paru dans le revue A Rebours:
Un article de Maximilien Friche, paru dans la revue A Rebours
Luc-Olivier d’Algange a dû s’apercevoir que toutes ses lectures convergeaient, qu’elles témoignaient d’une obsession toute personnelle. La bibliothèque d’Algange est une arche pour la vérité de l’être. On y trouve des écrivains, des poètes, des penseurs. Reprenons bien notre souffle et expirons de désir les noms choisis : Baudelaire, Joseph de Maistre, Corneille, Gómez Dávila, Dante, Milosz, Suarès, Dominique de Roux, Henri Bosco, D’Annunzio, Roger Nimier, Julien Gracq, Jean-René Huguenin, René Char, Ezra Pound, Villiers de l’Isle d’Adam, Léon Bloy… À savoir que c’est une bibliothèque en poupées russes qui nous est offerte dans Les Droits de l’âme (chez l’Harmattan), car chaque chapitre consacré à un auteur nous amène d’autres auteurs : Bernanos, Jünger, Barbey, Cocteau, Abellio, Novalis. Le vertige de tout ce que nous n’avons pas encore lu nous prend. Voilà que nous avons soif d’océan. Et c’est immédiatement un sentiment d’urgence de lire qui nous prend. Comme Suarès, Luc-Olivier d’Algange se fait passeur d’écrivains, et nous prenons conscience dans cette bibliothèque que la plupart des auteurs présentés furent lecteurs les uns des autres. Il n’y a pas d’écrivain isolé. Ne serait-ce pas là la communion des saints appliquée aux auteurs ? Il faut se répéter sans cesse avec Nietzsche que « L’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue. »
Que disent toutes ces lectures rassemblées ? Remarquons tout de suite que si ces auteurs se rejoignent, ce n’est pas seulement pour garnir une bibliothèque et ravir les collectionneurs germanopratins. Non, nous avons ici à faire avec des gens de l’être plutôt qu’avec des gens de lettres. Pour établir les droits de l’âme, Luc Olivier d’Algange commence par neutraliser l’air du temps : « Ce que le moderne nomme liberté est d’abord la liberté de ne pas penser, d’abandonner toute vie intérieure à l’utilitarisme dérisoire de la marchandise. » Une fois la chose faite, d’Algange semble s’escrimer à extraire des romans, récits et textes de ses auteurs la petite leçon de philosophie qui en fait des chefs-d’œuvre. C’est ainsi que les écrivains se font prophètes. Toutes les réponses se doivent d’être lues comme de nouvelles questions. « Toute véritable philosophie est essentiellement dialogue », nous confie d’Algange. Et c’est bien en établissant un dialogue philosophique avec les auteurs de sa bibliothèque qu’il parvient à décliner des droits de l’âme qui ressemblent, il faut bien l’avouer, un peu à des devoirs.
Tout d’abord, nous est lancé le défi de nous élever, de vivre plus haut que tous les avatars de l’être humain que sont le citoyen, l’être social, etc. D’Algange évoque le dandysme et le panache qui lui sont chers et leur humilité face à l’arrogance du médiocre. Il faut donc rechercher la singularité, savoir se distinguer, car « la meilleure façon de favoriser la haine fanatique des hommes entre eux est de favoriser leur ressemblance.»
Deuxièmement, il est impératif de revendiquer la dimension tragique de la vie. Surtout que « la société est devenue tout entière un mécanisme à faire disparaître le Tragique. Les moyens mis en œuvre sont la dérision, le relativisme et une forme particulière d’égalitarisme. » Une seule attitude est digne de l’être doté d’une âme : avoir une vision liturgique du monde et être dans l’attente de l’apocalypse.
Troisièmement, retenons qu’il ne faudrait pas fuir le corps, mais au contraire revendiquer pleinement l’incarnation. La métaphysique se doit d’être expérimentale : « les problèmes métaphysiques ne tourmentent pas l’homme afin qu’il les résolve, mais qu’il les vive.» D’Algange met en plein jour le paradoxe même de l’homme puisqu’« être vraiment présent aux temps présents exige que nous éprouvions le désir de nous en évader. »
Dans ces droits de l’âme, un principe s’impose : toujours subordonner l’action à la contemplation, attendre la conversion du regard pour commencer à l’ouvrir en quelque sorte. Car tout ce qui est dit est traduit d’un silence intérieur. Être aventureux, nous dit Jean-René Huguenin, ce n’est pas aller plus loin, c’est aller plus profond.
Enfin une notion qui m’est chère émerge dans ces droits de l’âme et qui correspond à la définition même de l’esprit français : fuir tout esprit de sérieux. En effet, être sérieux serait être dupe peut-être des autres, mais surtout de soi. « Le sérieux est la pire façon d’être superficiel. »
Vous l’avez compris, Luc-Olivier d’Algange sait manier l’aphorisme à l’instar de ses héros. Et les droits de l’âme sont une bibliothèque qui ressemble bien à une arche pour l’homme.
Maximilien Friche
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