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17/12/2025

Raymond Abellio, le roman du huitième jour:

 

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Luc-Olivier d'Algange

Raymond Abellio, le roman du huitième jour

« Je n'étais qu'une ombre parmi les ombres, mais je sentais bouger en moi ce monde ultime où la pensée devient acte et purifie le monde, sans geste ni parole, toute seule, par la seule vertu de sa rigueur, de sa claire magie. »

Raymond Abellio

Le roman « idéologique » de Raymond Abellio outrepasse l'idéologie au sens restreint d'une partialité humaine, liée à des appartenances ou des circonstances historiques. C'est un roman engagé dans le désengagement, décrivant les conditions de l'advenue de l'Inconditionné. En allant aux confins de la psychologie, il importe à l'auteur de passer de l'autre côté, là où toute psychologie devient métaphysique, toute politique, gnose. Le roman d'Abellio s'achemine vers la « conversion du regard », ou, mieux encore, il est le cheminement de la conversion du regard à travers les apparences d'un monde transfiguré, impassible et lumineux, où les ténèbres mêmes sont devenues les ressources profondes du jour. Qu'importe un récit qui n'a pas pour ambition ultime de dire le huitième jour ? Qu'importe un personnage dont l'auteur n'ôte point le masque humain ? Qu'importe une histoire qui n'est point le signe visible d'une hiéro-histoire ? Qu'importe le visible s'il n'est point l'empreinte de l'invisible ? Qu'importe l'instant qui ne tient pas au cœur de l'éternité ?

La vaste orchestration abellienne, dont l'ambition romanesque n'est pas sans analogie avec celle de Balzac, semble n'avoir d'autre dessein que ce basculement à la fois final et inaugural dans l'éternel. Mais pour abolir le Temps, pourquoi écrire romans et mémoires qui semblent être, au contraire, des modes d'accomplissement de la temporalité ? Pour quelles raisons Abellio, qui visait à une sorte de monadologie leibnizienne appliquée à l'épistémologie contemporaine, ne s'est-il point limité à l'exposé didactique de la structure absolue ? « Ma plus haute ambition, écrit Raymond Abellio, c'est en effet d'écrire le roman de cette structure absolue, à travers les bouleversements qu'entraîna pour moi cette découverte, et d'écrire à ce sujet non pas un essai philosophique romancé, ou un roman bâtard, mais un vrai roman, celui de ma propre vie, replacée dans cette genèse, et, à cet égard, toute vie sachant reconnaître les signes est selon moi un sujet d'une valeur romanesque sans égale, le seul sujet. »

La structure absolue de Raymond Abellio se distingue d'abord du structuralisme universitaire en ce qu'elle est une structure mobile. La structure absolue n'est pas un schéma mais un tournoiement de relations qui s'impliquent les unes dans les autres, jusqu'à ce vertige que Raymond Abellio nomme « le vertige de l'abîme du Jour ». Or, qu'est-ce qu'un roman lorsqu'il se délivre du positivisme sommaire de la psychologie et de la sociologie, sinon la victoire de « l'abîme du jour » sur « l'abîme de la nuit » ? Les forces obscures, destructrices, qui hantent les personnages d'Abellio (et ne sont pas sans analogie, à cet égard, avec ceux de Dostoïevski) sont la « matière première » au sens alchimique, du Grand-Œuvre qui portera le roman idéologique jusqu'à l'incandescence du roman prophétique. Le paroxysme de l'événement est effacement de l'événement.

Drameille, dans La Fosse de Babel, précise que l'on ne peut décrire un effacement. En revanche, il est possible, à l'écrivain de l'extrême, de décrire un paroxysme, « cette floraison d'un Dieu si plein de lui-même que martyrs et criminels s'y confondent. » Avant la grande libération solaire, il faut passer par l'ascèse nocturne de l'action :«  Les hommes ne retrouveront le sens du sacré qu'après avoir traversé tout le champ du tragique. » La passion encoreinvisible du « dernier Occident » s'accomplira dans « la montée nocturne du roman où s'efface sans cesse et se renouvelle le pouvoir des mots»

L'œuvre de Raymond Abellio rejoint ainsi l'ambition continue de la philosophie grecque, des présocratiques jusqu'aux néoplatoniciens, qui est de changer l'Eris malfaisante en Eris bienfaisante: « Les hommes les plus torturés par l'impossible peuvent passer pour des êtres en repos, mais leur passivité met en action, dans l'invisible, les forces les plus puissantes ». Le parcours de Raymond Abellio, de la politique à la gnose, relate ce passage de l'Eris néfaste à l'Eris faste. L'ascèse personnelle de Raymond Abellio consistera pour une grande part à juguler en lui la violence tragique et dostoïevskienne de l'ultime Occident et à dépasser, par le haut, le nihilisme des idéologies antagonistes: « Il fallait alors regrouper secrètement, au-delà de toutes les idéologies, la minorité européenne déjà consciente de sa future prêtrise». Le premier chapitre de son roman significativement intitulé Heureux les Pacifiques débute précisément par un meurtre inaccompli. L'ennemi véritable n'est pas celui que paraissent désigner, au demeurant de façon toujours obscure ou aléatoire, les circonstances historiques. L'Ennemi véritable est le Moi. Pour atteindre le Soi, il faut tuer le Moi. Les romans d'Abellio décrivent l'élévation transfigurante, avec ses dangers, ses écueils et ses échecs, de la « petite guerre sainte » à la « grande guerre sainte » qu'évoquait René Daumal.

L'œuvre de Raymond Abellio est de celles pour qui le monde existe. Là où le romancier du singulier ratiocine en exacerbant son recours à l'analyse psychologique ou en se perdant en volutes formalistes, le romancier de l'extrême vit son œuvre comme « la triple passion de l'éthique, de l'esthétique et de la métaphysique»Le singulier enferme l'individu en lui-même. L'extrême le conduit à ses propres limites qui non seulement le révèlent à lui-même mais changent le miroir du Moi en une vitre murmurante, voire en un vitrail dont les couleurs sont clairement délimitées mais dont les accords sont infiniment variés par le mouvement de la lumière. Les rosaces des cathédrales sont les figures versicolores de la Structure Absolue. A la fois dans le temps et en dehors du temps, révélant l'éternité par la mobilité de ses dialectiques entrecroisées, la structure absolue circonscrit  l'abîme du jour  de la conscience dans sa rotation solaire, dans son ensoleillement génésique. Tout pour le romancier, comme pour le gnostique (et la phénoménologie husserlienne dont se revendiquera Abellio se définit elle-même comme une « communauté gnostique ») se joue dans la conscience, qui est « le plus haut produit de l'être ».

Le roman digne de ce nom, qui entretient encore quelque rapport avec une spiritualité romane, sera donc le roman d'une ou de plusieurs « consciences en action ». A la ressemblance des romans de Stevenson, de Conrad ou de John Buchan, les romans d'Abellio inventent des personnages qui se mesurent aux évidences et aux ténèbres du monde. Ces personnages « lucifériens » ne croient point abuser de leurs forces en allant « au cœur des ténèbres », voire au cœur du « typhon ». Leur quête de l'immobilité centrale passe par l'expérimentation des tumultes et des tourbillons les plus périlleux. N'est-il point dit dans les récits du Graal que le château périlleux « tourne sur lui-même »? Pour n'être point rejeté dans les ténèbres extérieures, il importe de saisir au vif de l'instant l'opportunité excellente. C'est bien cette prémisse qui donne à la gnose abellienne le pouvoir de subjuguer le récit et de susciter un romancier qui, en toute conscience, domine son genre, sans nuire à l'impondérable vivacité: « Chaque fois j'ai vécu d'abord, réfléchi ensuite. J'ai même parfois revécu assez vite pour être obligé de détruire ce que j'avais écrit. Mais qui me comprendra ? Un seul roman dans toute ma vie, ce devrait être assez, quand la vie est finie en tant que récit et qu'en tant que réalité, elle commence. »

Alors que Les Chemins de la liberté de Sartre s'alourdissent de l'insistance avec laquelle son auteur défend sa thèse, la trilogie abellienne (ou la tétralogie, selon que l'on y intègre ou non son premier roman Heureux les Pacifiques) fait jouer la structure absolue dans tous les sens et se refuse aux vues édifiantes, laissant au lecteur la possibilité d'une lecture périlleuse, où la conscience ne peut compter que sur ses propres pouvoirs pour discerner le Bien et le Mal, autrement dit, la Grâce et la pesanteur. Si Abellio est bien le contraire d'un donneur de leçons, il est fort loin de se complaire dans un immoralisme qui ne serait que la floraison parasitaire de la morale qu'il condamne. Il peut ainsi fonder une éthique, directement reliée à l'esthétique et à la métaphysique. La morale abellienne est cette fine pointe où la pensée de Nietzsche rejoint la théologie de Maître Eckhart.

Dans leurs fidélités et dans leurs transgressions, c'est bien à la recherche d'une morale que s'en vont les personnages de Raymond Abellio et à travers eux, Raymond Abellio lui-même. Mais cette morale n'est pas une morale utilitaire, une morale de la récompense ou du marchandage, mais une morale héroïque et sacerdotale. Pour Raymond Abellio, le péché, c'est l'erreur. A ce titre, le péché ne doit point conduire à la culpabilité mais à un repentir, au sens artistique. Le penseur est un archer: il doit apprendre à ajuster son tir. Pécher, c'est rater le cible. La méditation du repentir favorise une plus grande exactitude. Le moralisateur se trouve en état de péché continuel, lui qui à force de s'occuper des archets d'autrui, ne cesse de manquer, dans sa propre relation au monde, la cible du Bien, du Beau et du Vrai. A cet égard, l'œuvre de Raymond Abellio relève bien d'une ascèse pascalienne.

Les romans de Raymond Abellio sont pascaliens par leur dramaturgie qui décrit la rencontre, à travers les personnages, de l'esprit de finesse, qui saisit les nuances du moment, et de l'esprit de géométrie, qui entrevoit les vastes configurations où s'inscrivent les destinées humaines, collectives ou individuelles. L'œuvre n'est pas moins novatrice lorsqu'elle délivre le sens du destin, le fatum des tragédies et des romans de Balzac, du déterminisme purement naturaliste. Dans La Fosse de Babel ou Visages immobiles, le destin individuel n'a pas une moindre signification que le destin collectif. L'individuel et le collectif s'entretissent si bien qu'il n'est aucune complexité, ni aucune puissance, qui ne dussent être saisies et dominées par l'entendement. Loin de soumettre l'individu, de lui ôter son libre-arbitre, l'interdépendance universelle, qui est l'a-priori théorique de la structure absolue, restitue la personne à sa souveraineté bafouée par l'individualisme de masse .

Si les mouvements majestueux des astres influent sur nos destinées, Abellio ne manquera pas de rappeler qu'un homme qui étend ses bras change l'ordre des constellations, fût-ce de manière infime. Mais qui est juge de l'importance de l'infime ou du grandiose ? Lorsque l'esprit de finesse coïncide avec l'esprit de géométrie, l'infime et le grandiose s'impliquent l'un dans l'autre dans un ordre de grandeur où la qualité entre en concordance avec la quantité sans plus être écrasée par elle, comme par sa base, la pointe d'une pyramide inversée. Tout auteur, qui n'entend pas être réduit au rôle de pourvoyeur de distractions ou d'homélies à conforter la bonne conscience du médiocre, ne peut témoigner en faveur de son art sans avoir entrepris, au préalable, une critique radicale des morales, des valeurs et des savoirs qui prétendent au gouvernement absolu des hommes par l'exclusion de toute métaphysique et de toute transcendance. Conjoignant la finesse du romancier et la géométrie du métaphysicien, s'inscrivant ainsi dans la voie royale de la haute-littérature - de la Délie de Scève jusqu'aux Nouvelles Révélations de l'Etre d'Antonin Artaud - l'œuvre de Raymond Abellio veut définir l'espace nécessaire à de nouvelles advenues de l'Intellect.

Ces advenues seront transdisciplinaires, européennes, tiers-incluantes et gnostiques : « Si aujourd'hui, en Europe, la politique n'est plus qu'affairisme ou futilité, une supra-politique est train de naître, qui n'est encore que pressentiment et reste au stade de la non-politique. Le grand drame intérieur de Kierkegaard, Dostoïevski, Nietzsche, Kafka et Husserl, qui s'est dilué chez les épigones en scolastiques de minuties incapables de rapprocher les signes, devient le drame même de l'histoire. Sur la sous-humanité, par une juste compensation, une surhumanité tente de naître. Dans un monde où toute relation véritable est rompue, elle seule vit, dans sa solitude, la triple et unique passion de l'éthique de l'esthétique et du religieux, d'où sortira un comble de relation: une religion nouvelle. » Mais cette religion nouvelle sera essentiellement christique, comme une possibilité, en attente ardente, autant qu'en péril, de la sophia perennis.

Luc-Olivier d'Algange

 Deux lettres de Raymond Abellio

Vence, le 5 février 1986

Cher Luc-Olivier d'Algange,

La revue Pictura et votre lettre m'ont été retransmises à Vence, où je passe durant l'hiver, la majeure partie de mon temps. Merci pour l'une et l'autre et tous mes compliments pour votre article sur les néoplatoniciens: vous y abordez de grands et multiples sujets, dans une parfaite clarté, ce qui n'est pas si simple, et j'y ai retrouvé avec bonheur nombre de thèmes qui me passionnent et dont je serais heureux de parler avec vous. Car nous pouvons, si vous le désirez, nous rencontrer, soit ici, soit à Paris, soit à Toulouse où je serai, en principe, au début du mois de mai.

N'ayant reçu Pictura qu'hier soir, je n'ai pu lire que votre article dont je ne vois pas encore comment il s'intègre au reste de la revue, mais peut-être cet éclectisme est-il voulu. Dites-moi ce qu'est Pictura.

Vous donner un texte m'est plus difficile que vous rencontrer; je travaille en ce moment à un essai qui me prend tout mon temps et me fatigue beaucoup. A mon âge, il est à peu près impossible de mener deux choses de front. Mais j'ai avec moi un petit groupe d'amis bien plus compétent en matière de Kabbale et de Yi-king, par exemple. Je pourrais les mettre en rapport avec vous.

Soyez assuré en tous cas du vif plaisir que j'ai à vous lire, et, en attendant de faire votre connaissance, croyez-moi, je vous prie, bien sympathiquement vôtre.

Raymond Abellio.

*

Vence, le 27 février 1986

Cher Luc-Olivier d'Algange

Un grand merci pour votre envoi (lettre et article destiné à Question de). Question de est une revue que je connais bien et qui, en gros, m'a toujours soutenu. Robert Amadou, qui y écrit, est mon ami. Je n'en dirai pas autant de l'Université en général, à l'exception de non-conformistes comme François George, qui dirige la revue Liberté de l'Esprit, fort éclectique, il est vrai, - mais il faut être agrégé de philosophie pour être admis dans le milieu professoral, et le groupe d'influence qui s'est créé autour de Foucault, Barthes, Derrida, Lyotard, est encore tout puissant, et l'accès à la collection La Bibliothèque des Idées, chez Gallimard, est devenu impossible, je pense, à qui n'est pas "du métier". La parution de la "Structure Absolue" n'y fut possible que grâce aux efforts d'un ami politique, Robert Carlier, qui sut convaincre Michel Deguy. Il y fallut quand même des mois de palabres.

Je serai à Toulouse le 29 avril pour une conférence à l'Hôtel d'Assezat, sous l'égide de l'Académie des Jeux Floraux et resterai dans ma bonne ville natale (qui m'a remarquablement ignorée jusqu'ici) jusqu'au 3 mai. Nous pouvons nous rencontrer avant, à Paris ou à Vence, si vous le désirez, mais ce séjour à Toulouse nous donnera toute liberté.

A bientôt donc, et toujours bien sympathiquement vôtre

Raymond Abellio.



 

 

 

 

 

 

 

 

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16/12/2025

Jean-Pierre Melville dans le Cercle Rouge:

 


Jean-Pierre Melville dans le Cercle Rouge

Un témoignage de Jean Parvulesco sur Jean-Pierre Melville

 

 

Alors que pour n’importe quel avortement mondain la grande presse prend feu et flambe comme de la paille sèche, les meneurs cachés de la désinformation générale ont décidé que la mort de Jean-Pierre Melville devait être passée sous un éclairage ultra-diminué : à quelques rares, trop rares exceptions près, cette consigne, il faut le reconnaître a été plutôt bien suivie. La tristesse glaciale et ambiguë, par ailleurs si parfaitement urbaine, prévue, ainsi, pour signaler la disparition de Jean-Pierre Melville n’a donc pas manqué de sombrer, sur commande, dans une rhétorique de circonstance, factice, conventionnelle et vide, dont l’inauthenticité patente frisait l’obscénité peut-être plus encore que la provocation. Tout cela s’est vu, épargnons-nous, par décence envers nous-mêmes, les citations appropriées.

L’homme seul, et si serein dans son désespoir absolu, qui, en moins de cinq ans, a su donner au cinéma français, Le Samouraï, L’Armée des Ombres, Le Cercle Rouge, c’est-à-dire ses seules armes actuelles de violence et d’action totale, l’homme qui avait su comprendre, et avec quelle discrétion hautaine, que la dernière chance d’un cinéma allant contre la mise en abjection générale était la tragédie et que la tragédie, aujourd’hui, au-delà de la politique, ne saurait plus être que morale, l’homme du dernier et suprême combat de la fatalité héroïque, qui est combat contre soi-même, ne méritait-il pas qu’on lui laissât l’honneur de s’en aller sans que l’on fasse donner, pour lui, la faquinade parisienne et ses minables chacaleries du prêt à porter sentimental, lui infligeant ainsi, sournoisement, et comme pour une dernière fois, ce qu’il avait le plus exécré, le plus haï dans sa vie ?

Jean-Pierre Melville n’était pas, Jean-Pierre Melville n’a jamais été des leurs. Ces jeunes larves fatiguées de ne pas être qui dictent, aujourd’hui, dans le cinéma français, leur loi de subversion et de déchéance avantageuse, Jean-Pierre Melville les vomissait de tout son être, et jusqu’au vomito nero, spécialité comme on le sait, des Papes qui s’en vont en état de désespoir, et marquent leur agonie d’un signe d’épouvante et de malédiction. Il faut dire, aussi, que les autres le lui rendaient bien. Ce n’est peut-être pas qu’ils avaient déjà tellement envie qu’il s’en aille tout de suite, mais ils n’avaient pas non plus tellement l’envie qu’il s’attardât encore. Depuis quelque temps Jean-Pierre Melville commençait vraiment à être de trop.

Mais d’où leur vint-elle donc cette haine inavouable autant qu’inextinguible, la méfiance active qu’ils n’ont pas fini d’entretenir à l’égard de l’auteur de L’Armée des Ombres, cette ségrégation à plaie ouverte qui lui a été si efficacement prodiguée le long de ces dernières années ? C’est que Jean-Pierre Melville était lucidement, et comme fatalement, un homme de droite, ainsi que le soulignait Jean Curtelin, - et si tant est que cette séparation douteuse entre la gauche et la droite puisse encore avoir, aujourd’hui, un sens autre que celui que s’acharnent à lui imposer le fanatisme halluciné, l’obscurantisme retardataire de ceux pour qui la gauche reste l’alibi d’une irrémédiable impuissance d’être en termes de destin.

D’autre part, plus qu’un homme seul, Jean-Pierre Melville était un homme séparé, un activiste forcené du vide qui sépare du monde et des autres, un fanatique glacé et serein du vide qui traduit tout en terme d’infranchissable. Le secret de sa vie tenait, tout entier, dans ce que Nietzsche appelait le pathos de la distance.

La séparation, pourtant, ni l’éloignement du monde, n’étaient, chez Jean-Pierre Melville, une forme de désertion, bien au contraire. Le monde, pour lui, il ne s’agissait pas de le fuir, mais de le changer. Car tel est l’enseignement intérieur de l’engagement pris par Jean-Pierre Melville envers sa propre vie, sa relation souterraine avec ce que Rimbaud avait appelé « la vraie vie » : ne pas changer soi-même devant le monde, mais changer le monde afin qu’il se rende conforme et s’identifie au rêve occulte, à l’image lumineuse et héroïque que l’on porte au fond de soi. Comment transfigurer, comment changer le monde si, comme le dit, toujours, Rimbaud «  le vrai monde es ailleurs ». Aux voies dites traditionnelles, Jean-Pierre Melville avait su préférer l’action directe, la vie de l’action directe, l’action occulte d’un petit nombre de prédestinés à l’accomplissement des grandes entreprises subversives du siècle, et qui, piégés à l’intérieur du Cercle Rouge, changent, pour s’en sortir, les états du monde, le cours de l’histoire et de la vie. Et c’est ainsi que Jean-Pierre Melville avait trouvé dans l’action politique, dans ses options subversives d’extrême-droite : une confrérie, une caste de combattants de l’ombre qui s’imposent à eux-mêmes une rigueur, un dépouillement terrible, indifférents aux résultats immédiatement visibles de leur action, attentifs seulement aux exigences de leur sacrifice et à la gloire cachée de leur longue rêverie activiste sur le mystère du pouvoir absolu.

En ce qui me concerne, c’est en termes de caste spirituelle, ainsi que l’eussent fait, à coup sûr, les Treize de Balzac constitués en société secrète de puissance, que je me risque à parler de Jean-Pierre Melville comme d’autres n’ont pas su, n’ont pas voulu ou, tout simplement, n’ont pas eu le courage de le faire, la terreur conjuguée du gauchisme qui se montre trop et du grand argent qui ne se cache plus assez les tenant tous à la gorge impitoyablement. Mais moi je n’ai plus rien à perdre. Alors, pourquoi ne parlerais-je.

 

Un cinéma chiffré en profondeur

 

Ce même combat de l’ombre, Jean-Pierre Melville le retrouve, avec son cinéma le plus grand, dans l’exploration des réprouvés suicidaires de la société et de leur milieu secret, exploration qu’il poursuit, lui-même à la fois lucide et fasciné, jusque dans les derniers retranchements, de leur décision de rupture, de leur séparation originaire.

Seulement il se fait que du Deuxième Souffle jusqu’au Cercle Rouge, ces réprouvés de la société ne sont qu’autant de projections chiffrées de ses propres phantasmes intérieurs, phantasmes qui n’ont rien à voir, en réalité, avec le monde irrespirable, intenablement atroce et vide, où évoluent les vrais truands. Bien mieux sans doute que certains autres, réputés, pourtant, et cultivés avec soin pour leurs relations supposées dans le grand mitan, le mitan dans le vent, Jean-Pierre Melville savait parfaitement à quoi il lui fallait d’en tenir quant à la soi-disant morale du milieu, qui n’en a rigoureusement aucune, et dont les seules vertus actives sont celles d’une immonde inclination aux boucheries inutiles et lâches, marque d’infamie des tarés qui en veulent congénitalement à l’ordre établi et qui se défoncent, chaque fois qu’ils peuvent se le permettre sans trop de risques, par l’étalage d’une violence que d’aucuns s’obstinent à vouloir à la noirceur exaltante, héroïque, alors qu’en réalité celle-ci n’a aucune signification autre que celle de sa bestialité intime, aucun souffle de désespoir profond ni de grandeur, fût-elle négative. Au bout du compte, et au-delà de tout romantisme imbécile, de toute fascination équivoque envers les bas-fonds, la seule attitude majeure envers le milieu reste celle d’une Roger Degueldre, qui, sous prétexte de je ne sais plus quelle « conférence au sommet » entre le grand milieu d’Afrique du Nord et l’OAS, avait réussi à rassembler les caïds de la pègre dans une ferme isolée des environs d’Alger pour un nettoyage par le vide dont on ressent encore les conséquences : trois générations de malfrats passés au fusil-mitrailleur, cela laisse quand même un trou.

Quelle est alors l’impulsion occulte, quelle est la déchirure fondamentale du cinéma de Jean-Pierre Melville, si admirablement cachés, au demeurant, l’une et l’autre, derrière les mythologies de dissimulation qui lui auront permis de dresser dialectiquement face au monde transparent et creux de la réalité extérieure, la réalité à la fois fulgurante et interdite de son propre monde intérieur ?

Comme Joseph Buchan, comme Fritz Lang, Jean-Pierre Melville appartient à la grande race des obsédés du pouvoir absolu. Le secret de sa vie, qui est aussi le secret de son cinéma, concerne une longue et déchirante rêverie sur le mystère en soi et sur l’appropriation subversive du pouvoir total, pouvoir total conçu à la fois comme un vertige, comme une super-centrale activiste et comme un concept absolu. Appropriation subversive d’un pouvoir politique total dont les chemins passent par l’expérience ultime de l’empire de soi-même, auquel, pour y parvenir, il faut franchir, comme dans Le Samouraï, les épreuves terribles d’une action de plus en plus voisine de l’impossible, de plus en plus ouverte sur le vide de soi-même et, finalement, sur la mort.

Mais le pouvoir total ne saurait être qu’un pouvoir caché, et, de par cela même, un pouvoir essentiellement symbolique : le cinéma de Jean-Pierre Melville est un cinéma chiffré en profondeur, tout comme l’aura été sa propre vie. Car chose certaine et claire, l’expérience des confrontations permanentes, de la permanente remise en question, - remise en question des pouvoirs de la liberté cachée et de la liberté ultime de tout pouvoir secret, expérience dans laquelle on reconnaît le problème des rapports de force auxquels se résument tous les films noirs de Jean-Pierre Melville, est aussi, de l’expérience intérieure de tout pouvoir politique en prise directe sur la marche de l’histoire. Derrière le cinéma exaltant le mystère de solitude et de vide ardent du crime, Jean-Pierre Melville s’est employé à cacher en semi-transparence le véritable discours, l’unique tourment profond de sa vie. Discours et tourment qui n’ont jamais été que d’ordre politique : dans cette perspective de clair-obscur et de vertige au ralenti, le Samouraï devient soudain autre chose, Le Cercle Rouge aussi. Tout change, tout se laisse et se donne à comprendre autrement. Mais surtout, pas par n’importe qui. Il faut y avoir accès, il faut en être, il faut en avoir été. Ce qu’il n’avait pas pu mener à bien ouvertement jusqu’au bout, Jean-Pierre Melville l’a fait, occultement, dans son cinéma. Il en va, ainsi, de toute poursuite de la grandeur tragique en France, où le terrain est depuis longtemps pourri. Si quelque chose doit se faire jusqu’au bout, il faut d’avance se résigner à passer toujours par l’épreuve de l’acceptation des ténèbres et de la dissimulation.

Quoi de plus français, en ce sens, qu’une figure apparemment logique et très claire, où le soleil limpide de la raison luit en liberté et s’exalte de tous ses feux, mais dont l’éblouissement même en double la clarté par une nuit impitoyable et profonde comme la mort ? Dans l’œuvre de Jean-Pierre Melville, la raison apparaît et semble s’imposer avec les mécanismes intérieurs du pouvoir de la pègre, où tout est logé dans les rapports objectifs des forces en présence, alors que la nuit et ses abîmes agissent, par en-dessous, à travers la confrontation nocturne des organisations secrètes de puissance et du pouvoir absolu qui se les approprie et les détruit, l’une après l’autre, en les assumant.

Ce que des témoins non prévenus se trouveront forcés de prendre pour des règlements de compte entre truands de haut vol, représenteraient ainsi, dans le cinéma de Jean-Pierre Melville, la tragédie intérieure du pouvoir politique total, le tourbillon qui porte, toujours plus avant vers son propre centre, vers le lieu de résolution finale de leurs destinées communes, les divers secrets d’action révolutionnaire que l’on sait et que l’on ne sait pas.

Dans cette perspective, et en forçant quelque peu la note, disons que le cinéma d’action de Jean-Pierre Melville pourrait fort bien n’être, après tout, et comme au bout du compte, qu’une longue réflexion sur le CSAR, sur le « Comité Secret d’Action Révolutionnaire » d’Eugène Deloncle, ou sur toute entreprise de grande subversion du même genre. Et cette supposition, on l’aura déjà compris, n’est pas tellement gratuite. Au contraire même, peut-être.

Enfin, toutes ces choses dites, il ne reste plus que le problème de la solitude irrémédiable du héros tragique, ce que Jean-Pierre Melville appelait « la solitude du tigre ».

 

La solitude du Tigre

 

Plus que jamais, devant le monde des autres, reconnu intolérable, l’unique recours est celui de faire face, de se refuser violement à toute forme de démission, à tout compromis et à tout oubli. La morale intime de Jean-Pierre Melville est la morale secrète du samouraï, du guerrier mystique pour qui, indifférent quant à l’issue finale de son épreuve, seul compte le combat de la lumière invisible de ses armes. Cette morale ne s’enseigne pas, son secret ni son souffle de vie ne sont transmissibles : on n’y accède que par la prédestination, ou par l’œuvre intime, en soi, du « seigneur inconnu du sceptre et de l’épée ».

Cette morale c’est déjà le Bushîdo de la grande solitude occidentale de la fin, la solitude du tigre lâché dans la jungle de béton, dans le monde trois fois maudit du renversement final de toutes les valeurs.

Que l’on aille donc revoir les films de Jean-Pierre Melville, et l’on comprendra peut-être quelle espérance il nous reste de retrouver, en nous, un jour.

Jean Parvulesco

Ce texte a été publié précédemment dans le  Cahier Jean Parvulesco  publié aux Nouvelles Littératures Européennes, sous la direction d’André Murcie et Luc-Olivier d’Algange.

 

 

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Un phénoménologue à l'état sauvage, Malcolm de Chazal:

 

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Malcolm de Chazal, un phénoménologue à l'état sauvage

 

 

« Tous les gestes de la nature se résument en un mouvement de danse »

 

Malcolm de Chazal

 

Il existe différentes sortes de livres. Ceux que l'on étudie dans la boiserie des bibliothèques, ceux que l'on emporte avec soi dans le verdoiement des forêts, ceux, enfin, qui nous emportent où bon leur semble au point de nous faire oublier où nous sommes et qui nous sommes.

L'œuvre de Malcolm de Chazal appartient d'emblée à toutes ces catégories. Aussi prompte à alimenter les cogitations structurales d'un Raymond Abellio qu'à porter à l'incandescence des songeries chamaniques, aussi audacieuse dans ses spéculations métaphysiques qu'enracinée dans le sensible, dont elle réveille en nous les pouvoirs d'étonnement et de merveilleux, cette œuvre, phénoménologique, cosmogonique, poétique et mystique échappe à toutes les règles et tous les genres. Sans doute n'y eut-il point, depuis Novalis, une tentative aussi magistrale de réinventer la « grande herméneutique », celle de la nature et des choses, avec l'intuition de l'aruspice conjuguée à la virtuosité du poète.

Comment être au monde ? La Vie filtrée de Malcolm de Chazal répond à cette question non par des hypothèses, des raisonnements mais par des « répons » qui changent la nature même de l'entendement humain. Nous autres, Modernes, passons notre temps à croire que nous raisonnons alors que nous ne faisons que ratiociner (et médiocrement) dans le vide. Nous voyons le monde comme un spectacle dont nous nous croyons retranchés. Nous oublions que notre esprit, notre âme et notre corps ne sont rien d'autre que des organes de perception et que toute pensée qui nous vient ne vient pas de nous mais du monde. Mais nous vient-il encore des pensées ? Et qu'est-ce qu'une pensée ? En quoi pèse-t-elle sur notre âme ou l'allège-t-elle ? Malcolm de Chazal, qui ne croit ni à l'intelligence humaine ni à la raison s'efforce de capter l'influx de l'intelligence du monde, telle qu'elle se manifeste dans les nervures les plus subtiles de la vie intérieure et de la vie extérieure (qui n'en font qu'une). L'intelligence, pour Malcolm de Chazal n'est pas une faculté, mais une possibilité, « l'homme, en essence, n'étant pas intelligent, ni ne se faisant intelligent, mais étant fait intelligent par l'Influx, par la pénétration de l'Invisible... ». On se souviendra de la phrase de Schelling: « Le "Je pense donc je suis", est depuis Descartes, l'erreur fondamentale de toute connaissance. Le penser n'est pas mon penser, et l'être n'est pas mon être car tout n'appartient qu'à Dieu ou à l'univers. »

De même que Claudel parlait à propos de Rimbaud d'un mysticisme à l'état sauvage, on pourrait dire de Malcolm de Chazal qu'il fut un phénoménologue à l'état sauvage. Là où les phénoménologues universitaires se heurtent à d'infinies difficultés, l'auteur de La Vie filtrée devance ce piège que la raison lui tend en s'identifiant immédiatement au phénomène lui-même, en faisant de la métaphore poétique une façon d'être, et non plus seulement une façon d'écrire. Ce retournement de la vision, qu'Abellio, en gnostique, nommera la « conversion du regard », fut, pour Malcolm de Chazal une expérience fondatrice, au même titre que la réminiscence proustienne ou l'irradiante « étoile au front » de Raymond Roussel. Toute grande œuvre littéraire, poétique ou philosophique procède d'une expérience extatique de cette sorte, qu'on la dise mystique ou « expérience-limite », qu'elle se traduise par une mathématisation du Réel ou par une fusion immanente dans les fougères dans un archéon anté-humain comme chez Powys, qu'elle soit une intuition fulgurante de la nature inconnue de l'espace-temps, comme dans Ada ou l'Ardeur, le merveilleux roman de Nabokov, il s'agit toujours d'un instant fondateur, où le regard change et se trouve changé par ce qu'il voit. « Je suis, écrit Malcolm de Chazal, un être revenu aux origines. A mon sens, il est stupide de croire que l'on peut connaître l'homme si l'on ne connaît pas la fleur. Que l'on peut connaître Dieu si l'on ne connaît pas le sens occulte de la pierre. La connaissance est indivisible et cette connaissance a été perdue. »

La recouvrance de cette connaissance perdue n'est pas seulement un vœu pieux, comme elle le fut parfois dans le Romantisme et le Surréalisme, elle devient, par le « sens magique » de Malcolm de Chazal, une véritable métaphysique expérimentale. Touchant à ce qu'il y a en nous de plus archaïque, mais avec l'intelligence la mieux exercée, Malcolm de Chazal retourne vers le monde ce sens des nuances, des radicelles, propre à l'introspection. Ainsi la métaphore n'est plus le signe, la réverbération d'une réalité intérieure, inconsciente, mais un mouvement que l'on pourrait dire d'extrospection.

Cette herméneutique radicale et immense qui ressaisit le monde comme une conscience ensoleillante est à la fois œuvre de poète et de philosophe, œuvre de visionnaire et de naturaliste. Les philosophes sont nombreux à avoir cherché cette « clef magique » qui permettrait de penser et d'éprouver en même temps l'un et le multiple et d'en finir avec le dualisme, auquel le monisme métaphysique lui-même n'échappe pas, puisqu'il s'oppose encore au multiple et veut s'en distinguer. L'une des clefs de cette herméneutique totale se trouve sans doute dans la théorie des « passe-teintes ». Ainsi la multiplicité des mondes, des teintes, au sens alchimique, des états de conscience et de l'être est à la fois une réalité et une vue de l'esprit qu'unissent les « passe-teintes » comme autant de moments d'une gradation dynamique, en perpétuelle révolution, et dont les bouleversements imperceptibles dans l'apparente immobilité accordent ce qu'il y a de plus grand dans le cosmos à ce qu'il y a en nous de plus secret et de plus précieux. Loin d'être séparés, le microcosme et le macrocosme, le sensible et l'intelligible ne cessent, dans les pages admirables de Sens plastique et de La Vie filtrée, de s'illuminer et de s'obscurcir réciproquement, non sans déployer, entre cette clarté et cette nuit, les abîmes et les apogées des couleurs. « Quelque immense l'artiste, écrit Malcolm de Chazal, et à quelque grandeur que puisse atteindre l'Art dans les temps futurs, jamais ne seront inventées ces teintes qui font pont entre les berges des couleurs, quand les couleurs se frôlent en torrents dans l'air et laissent entre elles des fossés d'infinie profondeur. C'est le secret des couleurs d'enjambement dans la Nature de ne laisser aucun détroit de vide entre champs colorés, quelle que soit la furie avec laquelle une couleur glisse auprès d'une autre teinte à l'état stagnant ou ralenti, et quelque terrifiante la course de deux couleurs à la fois qui passent l'une contre l'autre sans se toucher. Cet art de mettre des ponts entre les couleurs est l'art naturel des passe-teintes qui fait que la fleur est mariée au fruit et à la feuille, et que la tige ne déborde pas sur le tronc, et que le tronc ne sème pas son feuillage en flaques colorées dans le vent, mais le marie au paysage d'alentour. » Il nous resterait donc encore, tâche exaltante, à faire de cette théorie, de cette vision, la charte d'une herméneutique, non plus dévouée seulement au déchiffrement des écrits mais à celui du monde lui-même (les écrits, au demeurant faisant aussi partie du monde, au même titre que les fleurs de givre sur les vitres hivernales ou le tracé des oiseaux dans le ciel).

Les ressassements les plus cacochymes étant, de nos jours, invariablement qualifiés de « nouveautés » on hésite à souligner la nouveauté de l'œuvre de Malcolm de Chazal. L'œuvre, par ailleurs, s'inscrit bien dans une tradition. Nous évoquions Novalis, mais l'on songe aussi au Maurice Scève du fabuleux et méconnu poème Microcosme, voire, et la comparaison ne nous paraît point injurieuse, à Gongora (auquel il conviendrait aussi de rendre justice). Ce qu'il y de nouveau, d'une nouveauté éternelle, dans l'œuvre de Malcolm de Chazal, au point de renouveler l'acte même de lire, ce n'est pas seulement qu'il nous apprend, en lisant son livre, à lire à notre façon le ciel et la terre, les couleurs, les astres, les fleurs et les songes, c'est d'avoir fait de cet art de lire une expérience non point singulière ou subjective mais objective et extrême. Il s'agit bien d'un au-delà de l'art, qui emporte avec lui et en lui tous les prestiges et toutes les libertés de l'art, mais pour s'en affranchir. La pensée devient ainsi, désentravée de l'utilitarisme et de son contraire, « l'art pour l'art », cette puissance recueillie et songeuse, dionysienne et précise qui « court et rattrape les couleurs qui bougent, les lient à travers l'espace, marie les houppes jaune d'or du mimosa au vert en flèche de ses feuilles, fiance pour toujours le feu à sa fumée, rattache les veines pourpres de la rose écarlate au fuseau vert de sa tige, allie les vertes vrilles de la vigne au corset gris de l'écorce, met un pont entre le bleu de l'azur et les blanches ailes des nuées... »

Pour Malcolm de Chazal, nous ne sommes point séparés du monde qui nous entoure, ou plus exactement nous entourons le monde qui entoure. Métaphysique fondée sur une physique expérimentale des sensations, restituant à l'intuition, à ce qu'il nomme « le sens angélique immédiat », sa place royale, la pensée de Malcolm de Chazal nous délivre radicalement du positivisme du dix-neuvième siècle et de la superstition de la logique linéaire des effets et des causes. Nous comprenons à lire La Vie filtrée qu'il serait aussi absurde de croire que notre pensée est un « produit » de notre cerveau que de croire que l'air est seulement un produit de nos poumons ou la lumière un épiphénomène de nos yeux. Puisant à source même de l'enfance (« Quand l'enfant goûte un fruit, il se sent goûté par le fruit qu'il goûte. Quand l'enfant touche l'eau, il se sent touché par l'eau en retour. Quand l'enfant regarde une fleur, il voit la fleur le regarder »), Malcolm de Chazal, puise à la source antérieure à tous les nihilismes, et rend possible, comme à jamais, la faculté de penser et d'être pensé au même instant. « Toutes les théories initiatiques de la connaissance, écrit Raymond Abellio dans sa préface à L'Homme et la connaissance de Malcolm de Chazal, procèdent, on le sait, d'un retour sur soi de la conscience qui, dans le rapport entre le sujet et l'objet transfigure l'objet en une sorte de panpsychisme parfaitement communiel. Ici nous assistons au retour sur soi de la sensation, ce qui est une autre façon de vivre le même chose tout en signifiant à la connaissance qu'elle est recréation, c'est-à-dire pure poésie. »

Cette « pure poésie » semble désormais, contre le nihilisme, la seule et ultime chance offerte, sous condition, bien sûr de n'être pas seulement, un « dépotoir sentimental » qui vise « à ne faire goûter que l'esthétique au dépens des vérités, à ne nous nourrir que du seul beau plaisir sans étancher notre soif de connaissance ». L'auteur est lui-même la création de son œuvre, de même que son œuvre est la création du monde. Ce « continuum » fait du cerveau « tout en même temps salle de laboratoire, outils, réactifs, expérimentateur, sujets, agent analytique et conclusif de données ». L'œuvre ne saurait être que plus vaste que la pensée qui la produit, la surprenant sans cesse, la défiant, la poussant dans ses ultimes retranchements, l'inquiétant et la ravissant tout à tour, exigeant d'elle de revenir sans cesse sur l'oraison et le labeur alchimique qui la rend possible. Ainsi La Vie filtrée se donne à lire, comme une « recondensation » de la pensée antérieure de l'auteur: « Pour obtenir les pages qu'on va lire, j'ai du revivre mon œuvre en esprit à la vitesse de l'éclair ». Ces métaphores de foudre et de tonnerre abondent dans l'œuvre de Malcolm de Chazal: elles sont la forme même de la manifestation de la pensée dans « ces hautes régions » où « l'homme se sent pensé ». L'inspiration, l'illumination, l'intuition extatique, qui ne relèvent, dans bien des cas, que de la pure rhétorique, retrouvent alors une irrécusable réalité. Le poète écrit «  à la vitesse de l'éclair, l'esprit vide, et cependant, il enfante le tonnerre et l'éclair ».

A nous que les Parques destinèrent à vivre dans un monde hors du monde, encombrés de ridicules abstraction publicitaires ou idéologiques, dans un «  temps » dépourvu de toute profondeur sacrée, nous à qui l'on enseigne chaque jour, par mille tours, à ne point faire usage de nos sens et de notre intellect, à méconnaître ces instruments prodigieux de connaissance et d'extase que sont nos sens et notre pensée, il se pourrait bien que l'œuvre de ce vertigineux aruspice que fut Malcolm de Chazal, maître de la « perspective tournante » et de la connaissance amoureuse, devienne un viatique majeur.

Luc-Olivier d’Algange

 

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15/12/2025

Jean Parvulesco, une voie orphique et royale:

 

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Une voie orphique et royale

 

"Un de ces jours, écrit Jean Parvulesco au début de son roman, le onzième, intitulé Dans la forêt de Fontainebleau, il faudra quand même que je me décide à me pencher très sérieusement sur la zone singulièrement troublante et troublée des problèmes concernant les relations actives régnant entre l'état de veille et le rêve".

Qu'en est-il, en vérité, du rêve et de la vie, et du dédoublement du rêve dans la vie et de la vie dans le rêve ? Quels sont les orées, les seuils, les passages ? Quelles diplomaties mystérieuses, quelles traversées, quels voyages, et en proie à quels périls, quels enchantements, agissent sur nous, et autour de nous, comme par réverbération, dès lors que nous quittons l'illusion de la réalité profane, de la banalité, et que nous tentons l'aventure des états multiples de la conscience et de l'être ?

On se souvient de Shakespeare, de la vie qui est un songe pour Calderon de la Barca, de l'apologue de Tchouang-Tseu sur le papillon qui rêve qu'il est Tchouang-Tseu, de Proust encore qui songea à donner pour titre à La Recherche du temps perdu, "La vie rêvée"; mais si l'on peut chercher d'innombrables clefs au roman de Jean Parvulesco, et à celui-ci en particulier, la seule véritable opérative, au sens alchimique, est sans doute la clef nervalienne, celle "qui ouvre les portes de corne et d'ivoire qui nous séparent du monde invisible".

Sinon quelques tentatives surréalistes, la suite à donner à l'oeuvre de Gérard de Nerval fut des plus discrètes dans une littérature française par trop vouée aux minauderies théoriques. Jean Parvulesco est l'un des rares à s'être emparé, au coeur même du vertige, de la folie nervalienne: folie lumineuse et ténébreuse que traversent les filles du feu. Le monde où nous introduit son roman est un monde où les choses ne sont pas ce qu'elles paraissent être, de même que le roman lui-même, par une prodigieuse mise-en-abîme héraldique, est d'emblée un autre roman, le "roman perdu en rêve" et retrouvé dans le plus grand rêve de l'écriture que nous croyons être la réalité jusqu'à ce que celle-ci, à son tour, se dédouble... Dans cette logique étourdissante, où le lecteur se trouve entraîné, c'est un mouvement hélicoïdal qui domine, - la Structure Absolue dont parait Abellio, "double dialectique croisée", devenant "spirale prophétique".

Pour Jean Parvulesco, chacun d'entre nous est la proie d'un songe, mais le chasseur subtil sait lâcher la proie pour l'ombre car l'ombre est alors la vraie proie qui nous indique, aux heures claires, le "sentier perdu", le "mystère arthurien", par le soleil même auquel nous avons tourné le dos, - allant vers cet Extrême-Occident où les froidures sont brûlures, où la nuit polaire délivre le coeur ardent, Thulée hyperboréenne où s'est réfugiée notre "identité dogmatique", notre âme, - loin de tout et de tous, loin de ce monde d'ignominie et de désastre, en attendant la Parousie. Car, et c'est le sujet du roman, une recouvrance royale demeure possible dont le secret, ayant quitté notre "cauchemar climatisé", selon la formule de Henry Miller, s'est réfugiée dans le Songe. C'est donc une âme perdue, une Eurydice, qu'il s'agit de retrouver, par un "rituel de récupération" agissant selon "une volonté conforme au plus occulte dessein de la Divine Providence", qui s'y dénude en se revoilant. Ame perdue, celle de nos origines royales, par quoi le monde serait à la fois délivré et transfiguré comme par un souffle, une effusion paraclétique.

Ainsi, la vérité royale incarnée demeure en attente, non seulement comme une vérité oubliée, détruite, mais aussi, et surtout, comme une vérité qui ne fut jamais connue, et qui, désormais, c'est-à-dire immédiatement, exige de l'être. Et tel est précisément le sens de la "spirale prophétique" à l'oeuvre dans ce roman, repassant par les mêmes points, mais plus haut. La nostalgie royale n'est plus alors consentement à la défaite, mais pressentiment de "l'imprépensable". Le rêve alors n'est pas la vie, mais une vie plus haute, antérieure et jamais advenue. Tout le roman se déploie dans ce paradoxe, dans les concordes éblouissantes de l'effroi et du ravissement, dans cette nuit dont parle Gérard de Nerval "qui est noire et blanche".

 

°°°°°

Une lettre de Jean Parvulesco

Paris, le 9 juin 1996

Cher Luc-Olivier d'Algange,

comment vous remercier pour l'envoi que vous m'avez assez mystérieusement fait de votre méditation poétique intitulée Car les temps sont venus de rendre grâce ?

Mais cette illumination voilée, dont vous avez tenu à me faire le don prémonitoire, n'est-elle pas, aussi, un signe confidentiel en sa transparence même, une annonce chuchotée sur la ligne de passage vers le cœur ardent de l'été, du plus grand été gnostique vers se dirigent - sont occultement attirés - les nôtres, tous les nôtres ? A votre insu peut-être, avez-vous donc été pressenti pour cela, invité à donner cours ? A faire passer la consigne ?

De toutes les façons, à présent on le sait que les temps sont venus, et que nous sommes appelés à procéder en conséquence, chacun sur le lieu de sa prédestination propre et suivant le pari halluciné de sa dernière chance, du suprême péril.

Cependant, qu'importe le propre mouvement de remontée existentielle vers l'être, si l'être lui-même n'est pas en venue vers nous ? L'épreuve ultime ne sera jamais la nôtre, mais toujours celle de l'être en marche vers lui-même.

Or, n'est-ce pas, de quoi peut-on rendre grâce, et à qui, si ce n'est à l'être lui-même, et pour le seul secret de sa remontée vers lui-même en nous, de l'abyssale décision en lui de nous revenir, de s'établir révolutionnairement en un recommencement autre ?

Tel aura été, à ce qu'il semble, le pressentiment, l'inspiration élective pour lesquels vous avez été amené à témoigner. Voyez ce qui se loge en votre blessure.

Nous sommes en première ligne, c'est dans les ténèbres mêmes de la défaillance qui nous est imposée en ces temps que se dissimulent la stratégie subversive et les très hautes armes de la victoire finale. Nous l'emporterons sur tout: c'est bien ce qui s'était irrémédiablement refermé qui s'entr'ouvrira, et qui déjà nous entraîne vers le nouvel ouvert en son incandescence si terrible.

Je reste votre

Jean Parvulesco

Que Infra Nos Nihil Ad Nos

 

 

 

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13/12/2025

Luc-Olivier d'Algange, vient de paraître:

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MARELLE, conte fantastique.


Luc-Olivier d’ALGANGE
Sans doute le moment est-il venu de dire enfin ces vastes songes qui vinrent à m’envahir dans les premières journées de ce limpide et tournoyant printemps 1985… Songes immenses où sans cesse je me dédoublais en moi-même, me retrouvant et me perdant, de même que chaque seconde se divisait et se mirait infiniment dans son propre miroir, de telle sorte que l’aire du temps s’élargissait et prenait une allure fatidique et divine. Et je m’éveillais sous un ciel crépusculaire, un ciel majestueux et lent comme une cosmogonie sans mémoire. J’avais beau me révolter et user de stratégies diverses pour échapper à cette fatalité, je ne m’éveillais qu’au cœur de la dramaturgie du crépuscule, à l’apogée du spectacle pour ainsi dire, – où venant de franchir le rideau de l’heure bleue on se retrouve environné du prodige des couleurs réinventées, d’un luxe extrême, presque offensant si l’on songe aux circonstances humaines qui accompagnent cette hautaine fête flamboyante à laquelle, il faut bien le reconnaître, ne participent que les poètes, les amoureux et certains désespérés dans l’essor de leur philosophie la plus ardente, la plus alchimique (...).
58 pages
Format 12X22
Impression quadrichromie
Pages intérieures 80 g Munken
Couverture Rives tradition blanc naturel 250 g
ISBN : 978-2-909554-51-8
Édition 2025
Prix 25 euros

 

Editions ALCOR
1, rue de Ramatuelle
13007 Marseille
06 03 24 78 39
Mail : contact@alcor-editions.fr

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02/12/2025

Hommage à Didier Carette:

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Grande tristesse d'apprendre la mort de Didier Carette. Avec lui s'en vont encore la liberté, la générosité et l'audace, - autant de rares vertus qui feront que les médias n'en parleront guère. Il me fit le grand honneur de lire mes écrits, lors d'une émission de TVL, avec Anne Brassié. Que dire, sinon citer l'une des Feuilles orphiques ou pythagoriciennes qu'il aimait:
 
"Ceci est consacré à Mnémosyne,
Quand tu seras sur le point de mourir, tu t'en iras vers les demeures bien construites d'Hadès.
A droite, il y a une source près de laquelle se tient un cyprès blanc.
C'est là que les âmes des morts descendent et qu'elles s'y rafraîchissent.
De cette source surtout ne t'approche pas car tu en trouveras une autre, en face, d'où s'écoule l' eau fraîche qui vient du lac de Mnémosyne.
Au-dessus d'elle se trouvent les gardiens, ils te demanderont du plus profond de leur coeur,""ce que tu fais, et où tu vas, cherchant, dans les ténèbres du sombre Hadès.
Dis : je suis fils de Terre et de Ciel étoilé, mais je suis desséché par la soif et je meurs.
Donnez-moi vite l'eau fraîche qui s'écoule du lac de Mnémosyne.
Alors par le vouloir du roi des enfers, ils te traiteront avec bienveillance et te laisseront boire à la source de Mémoire.
Alors tu chemineras sur la voie sacrée, parmi les autres Mystes, dans la gloire de Dionysos."
 
En rappel de ses oeuvres:
Metteur en scène :
2010
Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand mise en scène Didier Carette…
2009
Le Procès - Cabaret K d'après Franz Kafka mise en scène Didier Carette…
2008
La Cerisaie d’Anton Tchekhov mise en scène Didier Carette…
Le Frigo de Copi mise en scène Didier Carette
2007
Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams mise en scène Didier Carette
Banquet mise en scène Didier Carette
2006
Rimbaud l'enragé – Une saison en enfer mise en scène Didier Carette
Le Bourgeois gentilhomme de Molière mise en scène Didier Carette…
2005
Dogs' Opera d'après Bertolt Brecht… mise en scène Didier Carette
Homme pour homme de Bertolt Brecht mise en scène Didier Carette…
2003
Folies Courteline de Georges Courteline mise en scène Didier Carette
Peer Gynt de Henrik Ibsen mise en scène Didier Carette
2002
Satyricon de Pétrone mise en scène Didier Carette
La Nonna de Roberto Cossa mise en scène Didier Carette
1999
Karamazov d'après Fiodor Dostoïevski mise en scène Didier Carette
Nuit blanche d'après Fiodor Dostoïevski mise en scène Didier Carette
1998
Le Cas Woyzeck d'après Georg Büchner mise en scène Didier Carette
1997
Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov mise en scène Didier Carette
1989
Les Grandes Journées du père Duchesne de Jean-Pierre Faye mise en scène Didier Carette
1987
La Mère la joie... de Marie de Sévigné mise en scène Didier Carette
1986
Le Cabinet noir de Max Jacob mise en scène Didier Carette…
Il n'y a plus d'aventuriers d'après André Malraux mise en scène Didier Carette
1983
Pntgrl-Rabelais de François Rabelais mise en scène Didier Carette
 
Comédien :
2010
Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand mise en scène Didier Carette…
2009
Le Procès - Cabaret K d'après Franz Kafka mise en scène Didier Carette…
2008
La Cerisaie d’Anton Tchekhov mise en scène Didier Carette…
1997
Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov mise en scène Didier Carette
1994
Le Voyage à Bâle de Pierre Laville mise en scène Simone Amouyal
1992
La Cerisaie d’Anton Tchekhov mise en scène Jacques Rosner
1986
Le Cabinet noir de Max Jacob mise en scène Didier Carette…
1982
Le Labyrinthe d’Armand Gatti mise en scène Armand Gatti
1980
Le Cocu d'infini de Louis-Ferdinand Céline mise en scène Jean-Claude Bastos…
1968
Le Chien du général de Heinar Kipphardt mise en scène Maurice Sarrazin…
 
Auteur
2005
Dogs' Opera d'après Bertolt Brecht… mise en scène Didier Carette
2003
Armada de Didier Carette
1994
Le Torero de salon d'après Camilo José Cela… mise en scène Henri Bornstein
1992
Armada de Didier Carette mise en scène Simone Amouyal
Traducteur
2008
La Cerisaie d’Anton Tchekhov mise en scène Didier Carette…
Scénographe
1997
Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov mise en scène Didier Carette
Collaborateur artistique
2013
Nana d'après Émile Zola mise en scène Céline Cohen…
1980
Le Cocu d'infini de Louis-Ferdinand Céline mise en scène Jean-Claude Bastos…

 

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