Luc-Olivier d'Algange, Cahiers de la Délie.Littérature et métaphysique.2024-03-03T18:25:54+01:00All Rights Reserved blogSpiritHautetforthttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlLuc-Olivier d'Algange, le "Nocturne" de Gabriele D'Annunzio, version française suivie de la version italiennetag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2024-02-18:64858512024-02-18T18:11:43+01:002024-02-18T18:11:43+01:00 Luc-Olivier d'Algange D'Annunzio entre les contrées de...
<p style="text-align: center;"><img id="media-6512785" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/02/00/560310178.jpg" alt="Noc 1.jpg" /></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 18pt;">Luc-Olivier d'Algange</span></p><p style="text-align: center;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 24pt;">D'Annunzio entre les contrées de l'Aigle et le territoire du Serpent </span></strong></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Il était inévitable que le poète qui tant laissa transparaître dans ses œuvres la vision d'un paradis terrestre, - l'absolu non dans l'indéfini, mais dans une finitude resplendissante, incarnée, dans une âme qui fait frémir le corps et porte l'esprit à l'aventure et à la gloire, - sortît enfin du purgatoire où des esprits mesquins prétendirent l'enfermer à jamais.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">D'Annunzio fut magnifiquement tout ce que notre temps nous prescrit de n'être plus. Il n'est pas une de ses vertus, ou de ses vices, qui ne fussent mises au ban, - et surtout ses vertus, qu'il faut prendre ici au sens originel, comme on parlait jadis de la <em>virtu</em> du condottière. Sa gloire en son temps fut immense, mais peu lui demeurèrent fidèles, excepté Montherlant, et cet autre condottière, auteur du plus beau voyage en Italie qui soit, André Suarès qui, mieux que quiconque, pouvait le comprendre, jusque dans son équipée de Fiume<em>. </em>On a beaucoup glosé sur le “Comandante” et le “Comediante”, sur ses audaces et sur ses éclats, sur son italianité qui ne l'éloigne pas tant de notre francité, telle qu'elle fut incarnée par Cyrano de Bergerac, qui fut non seulement le personnage coruscant de la pièce d'Edmond Rostand, mais aussi, on l'oublie parfois, l'auteur génial du <em>Voyage aux pays de la Lune et du Soleil</em>, qui hausse la prose française à l'un de ses plus ardents zéniths.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Sous ces belles augures, - où figurent aussi, d'entre les contemporaines, la magistrale biographie de Mauricio Serra et la fidélité active, <em>au coeur du Vittoriale degli Italiani, l'ultime demeure de d'Annunzio</em>, de Giordano Bruno Guerri, auteur de plusieurs livres consacrés au Vate - D'Annunzio revient et le moment est venu de se souvenir du poète qu'il fut avant tout. Les rabat-joie, les Lugubres et les puritains ont ricanés, amers, mais leur nature est de ne rien comprendre à rien, et de se tenir, bien serrés, sur la ligne défensive de leur médiocrité ; les idéologues nous ont mis en garde contre l'<em>esprit libre</em>, mais c'est leur fonction que de trier administrativement les bons et les mauvais sujets. Ces dénigrements cependant suintent l'envie, qui est de tous les péchés le plus stupide car aucune joie, même fugace ou coupable, ne l'accompagne. Les gloires, le luxe, avec cependant les soucis de l'endetté perpétuel, mais dans la désinvolture et le panache, la plus grande gloire littéraire de son temps, un foisonnement de présences féminines, tout cela jeté dans la balance du risque et de l'audace, - D'Annunzio reprenant à son compte la fameuse phrase Pompée citée par Plutarque, <em>Naviguer est nécessaire mais il n'est pas nécessaire de vivre, </em>- il y avait là sans doute de quoi tordre les entrailles de ceux qui ont, avant l'heure, étranglés leurs songes !</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Qu'une telle vie eût été possible, et aimée, devrait cependant nous donner à nous interroger sur les pouvoirs de la poésie même, - pouvoirs magiques qui remontent haut dans le temps, jusqu'aux Mystères de Delphes et d'Epidaure, jusqu'à Empédocle et jusqu'aux premiers songes orphiques, et plus haut encore, dans la communion immémoriale des hommes avec la terre des Abruzze, avec le ciel, avec la mer.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Pour D'Annunzio, la poésie n'est pas une représentation mais une présence réelle, qui prolonge la nature et le monde, qui en émane et témoigne de son secret, de ce feu central de l’être, lequel, sans l'intercession du poète, demeurerait méconnu, - “<em>un pays sans légendes condamné à mourir de froid </em>" selon les mots de Patrice de la Tour du Pin. Il a été beaucoup reproché à D'Annunzio de n'avoir été que le poète des sensations, et, de préférence, des sensations fortes, mais c'est méconnaître que la sensation, lorsqu'un poème s'en saisit et la chante n'est pas seulement la sensation, de même que la vie n'est pas seulement la vie, mais un signe, une annonciation, - celle de son propre nom : " <em>la vie était belle par ce que je vivais et parce qu'elle m'avait créé semblable à l'image voilée de l'Ange de mon nom</em>". Pour D'Annunzio, la vie est signe et intersigne, analogie créatrice ; la rumeur qu'elle laisse en nous est semblable à celle dont elle naquit, ses objets les plus précis, les plus familiers viennent de la nuit des temps, telle la cigale talismanique aimée des Félibres, qui, à tant d'égards, furent proches de D'Annunzio, la cigale "<em>noire mais couverte d'un duvet cendré qui luisait comme un vêtement de soie</em>".</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Le refus de l'existence plate, soumise, utilitaire n'est pas seulement pour D'Annunzio une pose, ni même une éthique, - ce qui serait déjà honorable, mais, plus profondément, une métaphysique expérimentale. Celui qui envisage de sacrifier sa vie dans un combat juge une idée plus haute que la vie, non comme une abstraction, mais comme sa <em>fine pointe</em>. Pour D'Annunzio, la vie n'est pas seulement la vie, la raison n'est pas seulement la raison, la patrie n'est pas seulement la patrie mais ils sont les empreintes d'une vérité plus haute, - divine, - qu'il appartient au poète d'éprouver et de louer. Cet idéalisme n'a rien d'anémique ou de falot, il est puissance en acte, non dépourvu de ce pragmatisme supérieur qui caractérise le héros homérique, - et puis, toute vie n'est-elle pas un sacrifice, ce "<em>feu mêlé d'aromates</em>" dont parlait Héraclite ? Mieux valent les flammes hautes, crépitantes de parfums que le feu crapoteux et puant de la sécurité et du confort. Le don reçu à la naissance est immense, indiciblement immense. Le dessein de D'Annunzio fut, durant toute sa vie fervente et inquiète, de n'en pas démériter.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">L'équipée de Fiume qui succéda au <em>Nocturne</em> n'est pas sans faire songer au voyage des Argonautes. Avant cette aventure, qui évoque la conquête de la Toison d'Or, le <em>Nocturne</em>, dans son paradoxe temporel, est préfiguration. Pour reconquérir, et hausser la beauté conquise par-delà la beauté perdue, il faut avoir été laissé, abandonné sur des rivages de nuit ; il faut avoir été presque vaincu, trahi ; il faut qu'une légitimité ait été bafouée et niée. Dans certaines circonstances, qui appartiennent alors au Mythe, le destin individuel rejoint le destin collectif. Le ressouvenir devient alors pressentiment. L'honneur rendu aux héros passés dans le <em>Nocturne</em> annonce, par "l<em>'Ange du nom</em>" ceux qui se dresseront contre la "<em>victoire mutilée</em>".</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Toute vie pleinement vécue est mythologique. Pour D'Annunzio, les mythes ne sont pas les témoins d'une civilisation antique disparue mais les clefs de déchiffrement de son propre destin, exactement comme ils le furent pour un Grec contemporain d'Homère ou d'Empédocle. Loin, très loin, de n'être que les ornements métaphoriques d'un homme de Lettres, ils sont la substance vive de ses actes et de ses pensées. Il est une façon mythologique de voir le monde, de s'y inscrire et une façon ratiocinant, bourgeoise, au sens flaubertien de "<em>celui qui pense bas</em>". D'Annunzio qui est à la fois paysan des Abruzze et esthète à la manière d'un Des Esseintes, ne laissera pas la pensée calculante et planifiante ordonner sa vie ; il rejoindra les dieux, leurs légendes et leurs mystères. On pourrait y voir simplement le panache d'un artifice majeur, d'un défi à l'époque, si par exemple l'œuvre de Jung ne nous avait appris que les mythes sont notre trame secrète, le filigrane de la plage blanche sur laquelle nous écrivons nos jours et nos nuits, les racines de notre conscience que les abstractions du monde moderne voudraient trancher.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Tout ce qu'il y eut d'aventureux dans l'existence de D'Annunzio apparaît ainsi comme une suite d'actes rituels destinés à délivrer la part mythologique, orphique, et à lui donner ce resplendissement, cette vérité dont la beauté miroite, comme au matin, le soleil sur la surface des eaux. Le grand péril n'est pas celui que l'on croit, mais, comme disait Ernst Jünger celui de "<em>laisser la vie nous devenir quotidienne</em>", - non que les choses les plus simples ne suffisent à notre joie, mais précisément parce que dans l'abstraction moderne, elles risquent de devenir hors d'atteinte. C'est ainsi que D'Annunzio ne se lassera pas de chanter les feuillages, la pluie, les animaux, les saveurs, les saisons, les labeurs et les combats de ses semblables, " <em>le miel que la bouche arrache à la cire tenace</em>", la diversité heureuse des apparences, et bien sûr, les femmes étreintes ou seulement désirées. Son inquiétude naît d'un constat auquel il ne se résignera jamais : les hommes, et surtout ceux de son temps, passent à côté de la vie magnifique. Tout est offert et rien n'est pris. Par quelque noir ensorcellement, - qui pose à la rationalité, - le don magnifique du dieu est sans cesse refusé dans les circonstances les plus infimes comme les plus grandioses.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Son immense poème <em>Laus Vitae</em>, - d'une hauteur, d'une vigueur et d'une inspiration comparables, aux XXème siècle, aux <em>Cinq grandes odes</em> de Claudel ou aux <em>Amers</em> de Saint-John Perse,- est ce contre-sort, cette opération théurgique dont la vocation est, par l'éloge, de délivrer la vie de la triste incarcération où elle se trouve, de la hausser à la hauteur idéale du chant et de faire ainsi de son lecteur le contemporain de Virgile, De Dante et du "<em>plus grand avenir</em>", celui "<em>des aurores védiques</em>" selon la citation que Nietzsche porta en exergue à son <em>Gai Savoir</em>. Ce contre-sort n'est pas sans évoquer le “<em>contre-monde</em>” de Stephan George qui, au demeurant, traduisit D’Annunzio et le publia dans son anthologie des poètes emblématiques de son temps. Ce contre-sort et ce contre-monde par ces temps d'uniformisation globale sont plus nécessaires encore qu'ils ne le furent aux temps de Stefan George et de D'Annunzio. Ce que ces poètes altiers craignirent nous advient avec une force d'arasement sans pareille. D'où l'importance de prendre leur conseil et de passer outre aux jugements partiaux de ceux qui les jugent obsolètes ou dangereux. Dangereux, certes, ils le sont, mais pour les garde-chiourmes, les hommes sans visages, les Lugubres. Dangereux, certes, pour les discours qui nous enjoignent à la servitude volontaire, pour l'humanité satisfaite d'être QRcodée ou réduite au rôle de rats de laboratoire, avec pour toute ambition, dans un labyrinthe absurde, de trouver la manette qui active la distribution de nourriture, le fameux “pouvoir d'achat”.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Dans la nuit, D'Annunzio se souvient de l'axe, de l'arcane de tous les soleils. Cette nuit n'est pas une pure et simple absence de lumière. Elle est peuplée de phosphènes, de réminiscences et d'annonciations. Cette plongée dans le globe oculaire, dans un réseau des nerfs, dans un cerveau, un corps, est d'une précision extraordinaire : elle réalise exactement ce que toute écrivain devrait faire : écrire à partir de l'être-là physique et métaphysique. Ce fut la règle d'or des plus grands, Proust, Faulkner, Conrad, Artaud, Jünger, et bien sûr, en amont, Nietzsche que D'Annunzio considéra à juste titre non comme un guide (“ <em>Il me répugne de suivre autant que de guider</em>” est-il dit dans le Zarathoustra) mais comme un frère blessé. On peut considérer, après tant d'études savantes qui, depuis, furent consacrée au Solitaire d'Engadine que D'Annunzio fut un nietzschéen approximatif ; il n'en demeure pas moins que sa vie fut sans doute de celles que Nietzsche eût aimées, méditerranéenne, solaire, guerrière, mue par une volonté de puissance qu'il ne confondit jamais avec les atermoiements et les servitudes du pouvoir.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Lorsqu'il fut le maître de Fiume, ce fut en <em>Vate</em> bien plus qu'en dictateur, sinon pour relever, chez chacun l'exercice de la liberté. La Constitution de Fiume, au demeurant, rédigée par Alceste de Ambris fut proche de l'idéal libertaire, et, en Europe, à l'avant-garde de toutes les libertés conquises sur le puritanisme et l'esprit bourgeois. Dans la vie, et la vie politique en particulier, il faut choisir ce que l'on sert, l'individualisme absolu étant un leurre, ou du moins un horizon hors d'atteinte, sinon dans une œuvre de jeunesse de Julius Evola. Les plus grandes querelles idéologiques se jouent autour de la notion d'individu, les uns tenant pour un individualisme abstrait, interchangeable, et les autres pour diverses formes de collectivisme. Or le génie de D'Annunzio échappe d'emblée à cette alternative qui ressemble fort à un traquenard. Fiume fut, mais dans la logique de l'œuvre tout entière, - une tentative de desserrer la tenaille, d'ouvrir à une possibilité d'être qui ne soit pas exclusivement soumise à l'intérêt des notables ou d'un Etat hypertrophié sous le seul règne de l'Economie et de la technique. Cette possibilité d'être définit une notion de l'individu étrangère au règne de la quantité qui nous soumet à la statistique. L'individu pour D'Annunzio est <em>incarné</em> ; il est, dans un esprit, une âme et un corps, une chose irremplaçable, indivise, forgée ou sculptée par ces influences que sont sa langue, son paysage de prédilection, ses amours, son imagination en mouvement, sa fidélité aux heures profondes et heureuses, son oraison la plus secrète. Chaque individu diffère de l'autre précisément par l'organisation variable de ses influences, par lesquelles cependant il est relié aux autres, relié mais non agrégé.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Le génie de D'Annunzio fut ainsi d'inventer un élan commun à partir du refus du grégarisme. Les grandes libertés que la Constitution de Fiume accorde aux individus sont destinées non à un hédonisme de masse mais à libérer des puissances, - celles -là même qui gisent, en ressouvenirs, en pressentiments, en mythologies vivantes aux tréfonds du <em>Nocturne</em>. Fiume, certes, fut écrasée par la force mécanique des gens “sérieux”, mais son exemplarité demeure. Les hommes ont d'autres destins possibles que d'être des insectes, des rouages d'une mécanique sociale. Tout ce qui vibre et chante, la singularité irréductible de chacun où s'accorde la multiplicité de ses influences, demeure face à nous-même et face au néant, à la fois tragique et joyeuse. Tragique précisément car irremplaçable et joyeuse car sa flamme irremplaçable éclaire nos dissemblables et nos amis, et notre ferveur commune. Contre la société anonyme, D'Annunzio nous donne celle du “nom qui annonce” ? Contre la pensée calculante, celle du Don, - “J'ai ce que j'ai donné”. Contre la servitude volontaire, un horizon homérique et virgilien : <em>la poésie première servie</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">On se souvient de la bibliographie de Cocteau qui répartissait des œuvres en poésie de roman, poésie de théâtre, poésie d'essais etc… La méthode eût été tout aussi pertinente pour D'Annunzio, sinon qu'il eût été nécessaire d'y ajouter la poésie de l'action. <em>Nocturne</em> est une méditation sur l'action, fondée, certes sur le ressouvenir mais aussi, nous l'avons vu, sur la préfiguration, l'annonce. “<em>La poésie ne rythmera plus l'action, elle sera en avant</em>” écrivait Rimbaud. Le poème précède l'action, celle-ci n'est plus ce qui est chanté après, mais le chant dont l'action sera la <em>fine pointe, -</em> et cette action elle-même ne vaudra que par l'intensité de la poésie qu'elle éveille, à jamais, comme une flamme que rien, pas même la défaite historique, ne pourra éteindre.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Sur le papier où D'Annunzio écrivait ses éloges, ses joies, ses mélancolies, son courage, figurait ce filigrane : “<em>Per non dormir</em>e”, pour ne pas dormir, même et surtout dans la nuit phosphorescente, même et surtout au coeur du Songe. Comment expliquer que celui qui passait pour un poète décadent, un Des Esseintes pris de vertige par les synesthésies, sut avec un tel bonheur conquérir le coeur des <em>Arditi</em>, - qui n'étaient pas particulièrement de délicats érudits en chambres ou en salons ? C'est qu'il apportait la preuve, (selon la formule de Cocteau “ <em>la preuve par neuf des neufs Muses</em>”), que la poésie, comme le savait Hamann est bien la langue originelle de l'humanité. De ce rappel, en dépit de l'échec apparent de Fiume, demeure la réjuvénation de l'âme, sa possibilité inaltérée. Ce grain, couleur de cinabre qui, au contact du plomb, transmute, par un effet d'ensoleillement intérieur, la matière opaque. Le secret du soleil est dans la nuit, et le secret de la nuit dans le soleil noir alchimique. Nulle mieux que l'œuvre de D'Annunzio ne montre que le recours au passé, à la plus lointaine mémoire, est au principe de l'élan, de la force qui va, de la conquête. La nostalgie est chose mal comprise. On la croit une déperdition de la puissance, elle en est la ressource, le viatique. On présume que le nostalgique s'abandonne à des images révolues, alors qu'il les invente. Tel ces philosophes, peintres et sculpteurs de la Renaissance qui se tournent vers le monde antique pour mieux fonder leur pensée et leur art et leur donner des audaces impressenties, D'Annunzio œuvre avec ce <em>double regard</em>, cette virtuosité de Janus.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Pour faire de son langage la proue du vaisseau qui avance dans le futur, D'Annunzio sait qu'il faut revenir à la vérité du Logos, sa vérité héliaque, impériale, virgilienne, - celle dont il nous dira qu'elle vole, qu'elle dépasse le Grand Cap, “<em>au-delà de toute misère, au-delà de cette vie, au-delà de nous nous-mêmes</em>”. E<em>t remotissima prope</em>. Par le Logos, les choses les plus lointaines nous deviendront au plus proche. Dans le soleil noir du <em>Nocturne</em> D'Annunzio retrouve, nous dit-il, la sapience de l'Indien, du l'Egyptien, du Chaldéen, du Perse, de l'Etrusque, du Grec, et l'œil de Moïse lui-même qui croyait lire dans les signes de l'univers l'origine du monde,- mais tout cela dans un corps, tout cela dans son œil aveuglé, dans le fleuve noir de sa souffrance physique, avant qu'elle ne s'ouvre sur son au-delà: la vision des Alpes transfigurées, une <em>nuit d'astre mort venue du fond de la mémoire millénaire</em>, nous dira-t-il, <em>d'on ne sait quel dieu extatique</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Le passé est bien cette présence que viendront couronner les faveurs du poème qui ressuscite ce qu'il nomme : “ <em>L'odeur des livres, </em>écrit D'Annunzio<em>, était peu à peu vaincue par l'odeur des fleurs (…)</em> écrit D'Annunzio dans <em>Le Triomphe de la mort</em>. “<em>Les choses suggéraient au survivant une foule de souvenirs. De ces choses montait le chœur léger et murmurant qui l'enveloppait. De toutes part s'élevait les émanations du passé. On aurait dit que les choses émettaient des effluves d'une substance spirituelle qui les eût imprégnées (…) Est-ce que je m'exalte se demanda-t-il à l'aspect des images qui se succédaient en lui avec une rapidité prodigieuse, claires comme des visions, non pas obscurcies par une ombre funèbre, mais vivants d'une vie supérieur</em>e”.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Rien ne passe, tout revient. Chaque heure, là où elle se trouve est intacte, pure de son propre feu, dans une dimension révolue, mais toujours présente, de même que le sillon d'un disque, même lorsque l'aiguille de saphir y est passée, demeure avec sa musique gravée; de même la révolte annonciatrice de D'Annunzio nous fait signe, comme toute la beauté qui, dans son cours vif, est passé dans notre vie, comme tous les paysages qui nous accueillirent, cités emblématiques, pierres qui gardent la mémoire des pluies et des soleils, refuge de feuillages, jardins de la mer. Ce qui nous en sépare est un leurre, une sinistre fiction inventée par des esprits moroses qui se sont emparés du réel pour en faire une “réalité” profanée, réduite à l'abstraction et à la statistique, - autrement dit, à la restriction. A cette “science de la pénurie”, D'Annunzio, comme Jüger opposera la “science de l'abondance”, l'immmoriale sapience, la théodicée.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Lorsque tout conjure à nous contraindre à une vie inférieure, hypnotique, devant des écrans, où l'on ne sait plus guère si la distraction est travail où le travail parfaite distraction de l'essentiel, de la vraie vie sensible et intelligible, le songe d'Annunzien de la “vie supérieure”, qui fait échos à la “vie magnifique” qu'évoquait Ernst Jünger, redevient d'une lancinante actualité. Elle est exactement ce qui nous est ôté, mais dans ce manque, du coeur même de cet exil, brille, - comme l'<em>iota</em> de la lumière incréée au fonds de la pupille, l'appel du monde qui a été, arbitrairement, abstraitement, despotiquement, éloigné de nous, mais que la poésie, l'usage magique du Logos rapproche infiniment : “ <em>sous le ciel prié avec une foi sauvage, sur la terre labourée avec une patience séculaire</em>”. Faire chanter la vie, la faire vibrer, frémir, bourdonner comme les abeilles d'Aristée, la jeter toute entière dans la flamme qu'elle suscite, dans le volcan empédocléen ou sur la plage de Fiume, sous les tirs de ceux dont l'honneur eût été de n'être pas des ennemis; être nietzschéen, mais avec le bon conseil de L'Arétin et de Catulle, et la sagesse natale, et la fidélité aux morts avec lesquels toute âme généreuse poursuit la conversation par-delà l'apparaître et le disparaître, - telle fut la vocation, l'<em>appel</em> de celui que vous allez lire et relire, sa raison d'être à laquelle nous nous rendrons, sans rendre les armes, pour un “<em>paradis à l'ombre des épées</em>”, pour la grande paix du coeur retrouvée des hommes qui agissent et qui rêvent, sachant la fugacité de tout et qui n'obéissent qu'à la seule devise: “<em>Penser comme si nous étions éternels et vivre comme à notre dernier jour</em>”.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">L'éternité pour D'Annunzio, comme pour Nietzsche, n'est pas ailleurs que dans l'instant, et la pensée est la <em>juste pesée</em> de cet instant qui oscille doucement, amoureusement, entre le passé et l'avenir. Toute vie est toujours au bord de l'abîme. De le méconnaître ne nous empêche guère d'y tomber mais ternit, avilit les heures infiniment précieuses qui nous en séparent.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">D'Annunzio nous parle en ami, et dans la gloire, l'enthousiasme, comme dans l'épreuve et le désarroi, ses phrases résistent à ces forces qui voudraient nous déposséder, et mieux encore, elles sont contre-attaques afin de reprendre l'estuaire d'où reviendront à nous “<em>notre bien et notre beau</em>”, si loin qu'ils paraissent être, en quelque lointaine Atlantide où ils semblent d'être perdus, scintillantes îles englouties et ressurgies à la faveur des mots qui les évoquent, là où nous sommes, dans les ténèbres de la nuit extrême ou dans les blondeurs du soleil du matin, hommes de désir, fragiles et fervents, entre les contrées de l'Aigle et le territoire du Serpent.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Luc-Olivier d'Algange </span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-6512788" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/01/00/4081674169.jpg" alt="fiume 2.jpg" /></p><p style="text-align: justify;"> </p><p align="CENTER"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: xx-large;"><strong>D'Annunzio, tra le terre dell'Aquila e il territorio del Serpente</strong></span></span></p><p align="CENTER"> </p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><strong>Era inevitabile che il poeta che tanto lasciava trasparire nelle sue opere la visione di un paradiso terrestre - l'assoluto non nell'indefinito, ma in una splendente finitudine, incarnata, in un'anima che fa fremere il corpo e innalza lo spirito all'avventura e alla gloria - uscisse finalmente dal purgatorio in cui menti</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><strong>meschine cercavano di imprigionarlo per sempre.</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">D'Annunzio è stato magnificamente tutto ciò che il nostro tempo ci prescrive di non essere più. Non c'è una sola delle sue virtù, o dei suoi vizi, che non sia bandita, e soprattutto le sue virtù, che devono essere prese qui nel senso originario, come una volta si parlava della virtù del condottiero.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">La sua fama ai suoi tempi era immensa, ma pochi gli rimasero fedeli, tranne Montherlant e quell'altro condottiero, autore del più bel viaggio in Italia, André Suarès, che meglio di chiunque altro riuscì a capirlo, anche nella sua tenuta fiumana.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Del "Comandante" e del "Comediante" si è detto molto, della sua audacia e della sua genialità, della sua italianità, che non è poi così lontana dalla nostra francesità, incarnata da Cyrano de Bergerac, che non fu solo il corrusco personaggio del dramma di Edmond Rostand, ma anche, come talvolta si dimentica, il geniale autore del Voyage aux pays de la Lune et du Soleil, che eleva la prosa francese a uno dei suoi zenit più ardenti.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Sotto questi buoni auspici - che comprendono anche, tra i contemporanei, <strong>la magistrale biografia di Maurizio Serra e l'attiva fedeltà, nel cuore del Vittoriale degli Italiani, ultima dimora di d'Annunzio, di Giordano Bruno Guerri, autore di diversi libri dedicati al Vate - d'Annunzio ritorna ed è giunto il momento di ricordare il poeta che soprattutto è stato</strong>. I guastafeste, i Lugubri e i puritani hanno sogghignato amaramente, ma è nella loro natura non capire nulla di nulla e tenersi stretti alla linea difensiva della loro mediocrità; gli ideologi ci hanno messo in guardia contro lo spirito libero, ma è loro compito selezionare amministrativamente i buoni dai cattivi soggetti. <strong>Queste denigrazioni, tuttavia, trasudano invidia,</strong> che è il più stupido dei peccati, perché non c'è gioia in esso, per quanto fugace o colpevole.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Gloria e lusso, con le preoccupazioni però di un uomo perennemente indebitato, ma con un senso di disinvoltura e di brio, la più grande gloria letteraria del suo tempo, una ricchezza di presenze femminili, il tutto gettato nella bilancia del rischio e dell'audacia, - D'Annunzio riprende la famosa frase di Pompeo, citata da Plutarco: <strong>"Navigare è necessario, ma non è necessario vivere"</strong>- c'era senza dubbio qualcosa in essa che torceva le viscere di coloro che hanno strangolato i loro sogni prima del tempo!<br /><strong>Che una vita del genere sia stata possibile, e amata, dovrebbe tuttavia farci riflettere sui poteri della poesia stessa, poteri magici che vanno molto indietro nel tempo, ai Misteri di Delfi e di Epidauro, a Empedocle e ai primi sogni orfici, e ancora più indietro, alla comunione immemorabile dell'uomo con la terra d'Abruzzo, con il cielo, con il mare. Per D'Annunzio la poesia non è una rappresentazione ma una presenza reale, un'estensione della natura e del mondo, che emana da esso e ne testimonia il segreto, quel fuoco centrale dell'essere che, senza l'intercessione del poeta, rimarrebbe misconosciuto -</strong> "una terra senza leggende condannata a morire di freddo", per dirla con Patrice de la Tour du Pin.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">D'Annunzio è stato spesso criticato per essere un poeta di sole sensazioni, e preferibilmente di sensazioni forti, ma questo non tiene conto del fatto che la sensazione, quando una poesia se ne impadronisce e la canta, non è solo sensazione, così come la vita non è solo vita, ma un segno, un annuncio: quello del proprio nome: "La vita era bella per quello che vivevo e perché mi aveva creato come l'immagine velata dell'Angelo del mio nome".</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Per D'Annunzio la vita è un segno e un intersegno, un'analogia creativa; la voce che lascia in noi è simile a quella da cui è nata, i suoi oggetti più precisi, più familiari, vengono dalla notte dei tempi, come la cicala talismanica amata dai Félibres¹, che per tanti versi erano vicini a D'Annunzio, la cicala "nera ma coperta di una peluria cinerea che brillava come una veste di seta".</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Per D'Annunzio, il rifiuto di un'esistenza piatta, sottomessa e utilitaristica non è solo una posa, o addirittura un'etica - che sarebbe già onorevole - ma, più profondamente, una metafisica sperimentale. Chiunque pensi di sacrificare la propria vita in battaglia giudica un'idea superiore alla vita, non come un'astrazione, ma come la sua avanguardia.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Per D'Annunzio la vita non è solo vita, la ragione non è solo ragione, la patria non è solo patria, ma sono tutte impronte di una verità superiore, divina, che è compito del poeta sperimentare e lodare. Non c'è nulla di anemico o di vacillante in questo idealismo, è potenza in azione, non priva di quel superiore pragmatismo che caratterizza l'eroe omerico, - e poi, non è forse tutta la vita un sacrificio, quel "fuoco misto ad aromi” di cui parlava Eraclito? Meglio le fiamme alte e crepitanti di profumi che il fuoco fetido e puzzolente della sicurezza e della comodità. Il dono ricevuto alla nascita è immenso, indicibilmente immenso.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">L'intento di D'Annunzio fu, durante tutta la sua vita fervida ed inquieta, di non esserne indegno. La spedizione fiumana succeduta al Notturno ricorda il viaggio degli Argonauti. Prima di questa avventura, che evoca la conquista del Vello d'Oro, il Notturno, nel suo paradosso temporale, è una prefigurazione. Per riconquistare ed elevare la bellezza conquistata al di là della bellezza perduta, bisogna essere stati lasciati, abbandonati sulle rive della notte; bisogna essere stati quasi sconfitti, traditi; la propria legittimità deve essere stata calpestata e negata.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">In alcune circostanze, che poi appartengono al Mito, il destino individuale si unisce a quello collettivo. Il ricordo diventa allora presagio. L'onore reso agli eroi del passato nel Notturno preannuncia, attraverso l' "Angelo del nome", coloro che si solleveranno contro la "vittoria mutilata".</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Ogni vita pienamente vissuta è mitologica. <strong>Per D'Annunzio, i miti non sono i testimoni di un'antica civiltà scomparsa, ma le chiavi per decifrare il proprio destino, proprio come lo erano per un greco contemporaneo di Omero o Empedocle. Lungi, molto lungi dall'essere semplici ornamenti metaforici di un letterato, sono la sostanza viva delle sue azioni e dei suoi pensieri.</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">È un modo mitologico di vedere il mondo, di farne parte, e un modo raziocinante, borghese, nel senso flaubertiano di "uno che pensa basso". D'Annunzio, che era allo stesso tempo un contadino abruzzese e un esteta alla maniera di Des Esseintes, non avrebbe lasciato che il pensiero calcolatore e pianificatore ordinasse la sua vita; si sarebbe unito agli dei, alle loro leggende e ai loro misteri.<br />Potremmo vedere questo semplicemente come il fascino di un grande spettacolo, una sfida ai tempi, se l'opera di Jung, per esempio, non ci avesse insegnato che i miti sono la nostra trama segreta, la filigrana della spiaggia bianca su cui scriviamo i nostri giorni e le nostre notti, le radici della nostra coscienza che le astrazioni del mondo moderno vorrebbero recidere.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><strong>Tutto ciò che è avventuroso nella vita di D'Annunzio appare quindi come una serie di atti rituali volti a liberare la parte mitologica, orfica, e a dargli quella luminosità, quella verità la cui bellezza brilla, come il sole del mattino sulla superficie dell'acqua.</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Il grande pericolo non è quello che pensiamo noi, ma, come diceva Ernst Jünger, quello di "lasciare che la vita ci diventi quotidiana" - non perché le cose più semplici non bastino alla nostra gioia, ma proprio perché nell'astrazione moderna rischiano di diventare irraggiungibili. E così D'Annunzio non si stancava di cantare il fogliame, la pioggia, gli animali, i sapori, le stagioni, le fatiche e le lotte dei suoi simili, "il miele che la bocca strappa alla cera ostinata", la felice diversità delle apparenze e, naturalmente, le donne che abbracciava o solo desiderava.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">La sua preoccupazione nasce da una constatazione alla quale non si rassegnerà mai: la gente, soprattutto quella del suo tempo, si sta perdendo una vita magnifica. Tutto viene offerto e nulla viene preso. Per qualche oscuro incantesimo - che pone una sfida alla razionalità - il magnifico dono di Dio viene costantemente rifiutato nelle circostanze più minute e in quelle più grandiose.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><strong>Il suo immenso poema Laus Vitae</strong> - di un'altezza, di un vigore e di un'ispirazione paragonabili alle Cinq grandes odes di Claudel o agli Amers di Saint-John Perse - <strong>è questo controincantesimo, questa operazione teurgica la cui vocazione è, attraverso la lode, liberare la vita dalla sua triste prigionia, innalzarla all'altezza ideale del canto,</strong> e rendere così il suo lettore contemporaneo di Virgilio, di Dante e del più grande futuro, quello delle "albe vediche", secondo la citazione che Nietzsche scrisse in esergo alla sua <em>Gaia Scienza</em>.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Questo contro-incantesimo ricorda il “contro-mondo” di Stephan George che, peraltro, tradusse D'Annunzio e lo pubblicò nella sua antologia dei poeti emblematici del suo tempo. <strong>Questo contro-incantesimo e questo contro-mondo in questi tempi di standardizzazione globale sono ancora più necessari di quanto lo fossero ai tempi di Stefan George e D'Annunzio. Ciò che temevano questi poeti altezzosi sta accadendo a noi con una forza livellatrice senza precedenti. Da qui l’importanza di seguire i loro consigli e di ignorare i giudizi parziali di chi li considera obsoleti o pericolosi.</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Pericolosi, certo, ma per i guardiani, gli uomini senza volto, i Lugubri. Pericolosi, certo, per i discorsi che ci ingiungono la servitù volontaria, per l'umanità che si accontenta di essere "QR coded" o ridotta al ruolo di topi da laboratorio, la cui unica ambizione, in un labirinto assurdo, è trovare la leva che attiva la distribuzione del cibo, il famoso "potere d'acquisto".</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Nella notte, D'Annunzio ricorda l'asse, l'arcano di tutti i soli. Questa notte non è una pura e semplice assenza di luce. È popolata da fosfeni, reminiscenze e prefigurazioni. Questo tuffo nel bulbo oculare, in una rete di nervi, in un cervello, in un corpo, è straordinariamente preciso: fa esattamente ciò che ogni scrittore dovrebbe fare: scrivere a partire dall'essere fisico e metafisico.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Questa era la regola d'oro dei più grandi scrittori, Proust, Faulkner, Conrad, Artaud, Jünger e, naturalmente, Nietzsche, che D'Annunzio considerava giustamente non come una guida ("Sono restio a seguire quanto a guidare", dice in Zarathustra) ma come un fratello ferito. Dopo tutti gli studi che da allora sono stati dedicati al Solitario d'Engadina, potremmo considerare D'Annunzio un nietzschiano approssimativo, ma resta il fatto che <strong>la sua vita fu senza dubbio quella che Nietzsche avrebbe amato: mediterranea, solare, bellicosa, guidata da una volontà di potenza che non confuse mai con le procrastinazioni e le servitù del potere.</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Quando divenne signore di Fiume, lo fece come Vate piuttosto che come dittatore, se non altro per promuovere l'esercizio della libertà da parte di tutti. <strong>La Costituzione di Fiume, redatta da Alceste de Ambris, era vicina all'ideale libertario e, in Europa, all'avanguardia di tutte le libertà conquistate sul puritanesimo e sullo spirito borghese.</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Nella vita, e in politica in particolare, bisogna scegliere ciò che serviamo, essendo l'individualismo assoluto un'illusione, o almeno un orizzonte irraggiungibile, tranne che in un'opera giovanile di Julius Evola. Le più grandi dispute ideologiche si giocano intorno alla nozione di individuo, con alcuni che sostengono un individualismo astratto e intercambiabile e altri che sostengono varie forme di collettivismo. Ma il genio di D'Annunzio sfugge subito a questa alternativa che somiglia moltissimo ad una trappola.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><strong>Fiume è stato, ma nella logica dell'intera opera, - un tentativo di allentare la presa, di aprire una possibilità di essere che non sia esclusivamente soggetta agli interessi dei notabili o di uno Stato ipertrofizzato sotto il solo regno dell'economia e della tecnica. </strong>Questa possibilità di essere definisce una nozione di individuo estranea al regno della quantità che ci assoggetta alle statistiche.<br />Per D'Annunzio, l'individuo è incarnato; è, nello spirito, nell'anima e nel corpo, una cosa insostituibile, indivisa, forgiata o scolpita da quelle influenze che sono la sua lingua, il suo paesaggio preferito, i suoi amori, la sua immaginazione in movimento, la sua fedeltà alle ore più profonde e felici, la sua preghiera più segreta. Ogni individuo si differenzia dall'altro proprio per l'organizzazione variabile delle sue influenze, attraverso le quali è comunque legato agli altri, legato ma non aggregato.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Il genio di D'Annunzio fu dunque quello di inventare un impulso comune fondato sul <strong>rifiuto del gregarismo.</strong> <strong>Le grandi libertà che la Costituzione di Fiume concede ai singoli sono destinate non a un edonismo di massa, ma alla liberazione dei poteri,</strong> quelli stessi che giacciono, nei ricordi, nei presentimenti, nelle mitologie vive nelle profondità del Notturno.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Fiume, certo, è stata schiacciata dalla forza meccanica delle persone serie, ma la sua esemplarità resta. Gli uomini hanno altri destini possibili oltre a essere insetti, ingranaggi di un meccanismo sociale. Tutto ciò che vibra e canta, l'irriducibile singolarità di ogni persona dove concordano la molteplicità delle sue influenze, resta di fronte a noi stessi e di fronte al nulla, tragico e gioioso insieme. Tragico proprio perché insostituibile, e gioioso perché la sua fiamma insostituibile illumina le nostre diversità, i nostri amici e il nostro comune fervore. Contro la società anonima, D'Annunzio ci dà quella del "nome che annuncia" Contro il pensiero calcolatore, quello del Dono, - "Io ho quel che ho donato". Contro la servitù volontaria, un orizzonte omerico e virgiliano: <strong>la poesia prima di tutto.</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Ricordiamo la bibliografia di Cocteau, che divideva le sue opere in poesia romanzesca, poesia teatrale, poesia saggistica, ecc. Il metodo sarebbe stato altrettanto pertinente per D'Annunzio, se non fosse che sarebbe stato necessario aggiungere la <strong>poesia d'azione</strong>. Il Notturno è una meditazione sull'azione, basata certo sul ricordo ma anche, come abbiamo visto, sulla prefigurazione, sull'annuncio. "La poesia non darà più il ritmo all'azione, ma le starà davanti", scriveva Rimbaud. La poesia precede l'azione, l'azione non è più ciò che si canta dopo, ma il canto di cui l'azione sarà la punta di diamante, - e questa stessa azione varrà solo per l'intensità della poesia che risveglia, per sempre, come una fiamma che nulla, nemmeno la sconfitta storica, potrà spegnere.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Sulla carta su cui D'Annunzio scrisse le sue lodi, le sue gioie, la sua malinconia, il suo coraggio, appariva questa filigrana: "Per non dormire", non dormire, anche e soprattutto nella notte fosforescente, anche e soprattutto nel cuore del Sogno. Come spiegare che colui che passava per un poeta decadente, un Des Esseintes preso dalla vertigine delle sinestesie, sapesse conquistare con tanta felicità il cuore degli Arditi - che non erano particolarmente delicati studiosi di camere da letto o di salotti? Questo perché ha fornito la prova (secondo la formula di Cocteau “la prova del nove delle nove Muse”) che la poesia, come Hamann sapeva, è effettivamente il linguaggio originario dell'umanità.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Di questo richiamo, nonostante l'apparente fallimento di Fiume, resta il ringiovanimento dell'anima, la sua inalterata possibilità. Questa grana, del colore del cinabro che, a contatto con il piombo, trasmuta, attraverso un effetto della luce solare interna, la materia opaca. Il segreto del sole è nella notte, e il segreto della notte è nel sole nero alchemico.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Nessuno meglio dell'opera di D'Annunzio mostra che il ricorso al passato, alla memoria più lontana, è al principio dello slancio, della forza di andare, di conquistare. La nostalgia è una cosa poco compresa. Si crede sia una perdita di potere, è la sua risorsa, il suo viatico. Si presume che il nostalgico si abbandoni a immagini del passato, mentre in realtà le sta inventando. Come quei filosofi, pittori e scultori del Rinascimento che si rivolsero al mondo antico per fondare meglio il loro pensiero e la loro arte e dar loro audacia inaspettata, D'Annunzio lavora con questo doppio sguardo, questo virtuosismo bifronte.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Per fare della sua lingua la prua della nave che si muove verso il futuro, D'Annunzio sa che deve tornare alla verità del Logos, alla sua verità eliaca, imperiale, virgiliana - la verità che ci dirà che vola, che va oltre il Grande Capo, "oltre ogni miseria, oltre questa vita, oltre noi stessi".</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Et remotissima prope.</em> Attraverso il Logos, le cose più lontane diventeranno le più vicine a noi. Nel sole nero del Notturno, D'Annunzio riscopre, ci racconta, la saggezza degli indiani, degli egizi, dei caldei, dei persiani, degli etruschi, dei greci, e l'occhio stesso di Mosè, che credeva di leggere l'origine del mondo nei segni dell'universo - ma tutto questo in un corpo, tutto questo nel suo occhio cieco, nel fiume nero della sua sofferenza fisica, prima che si si aprisse sulla sua vita ultraterrena: la visione delle Alpi trasfigurate, una notte d’una stella morta che viene dal profondo della memoria millenaria", ci dirà, "da chissà quale dio estatico".</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Il passato è infatti questa presenza che sarà coronata dai favori della poesia che risveglia ciò che chiama: "L'odore dei libri fu a poco a poco sopraffatto dall'odore dei fiori" scrive D'Annunzio ne Il trionfo della morte: "Le cose suggerivano al sopravvissuto una schiera di ricordi. Da queste cose si levava il coro leggero e mormorante che lo avvolgeva. Le emanazioni del passato salivano da ogni parte. Era come se le cose emettessero gli effluvi di una sostanza spirituale che le aveva impregnate (...) Mi sto esaltando?" si chiedeva alla vista delle immagini che si susseguivano nella sua mente con prodigiosa rapidità, chiare come visioni, non offuscate da un'ombra funerea, ma vive di una vita superiore.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Niente passa, tutto ritorna. Ogni ora, ovunque sia, è intatta, pura del proprio fuoco, in una dimensione passata, ma sempre presente, così come il solco di un disco, anche quando l’ago di zaffiro lo ha attraversato, rimane con la sua musica incisa; allo stesso modo ci interpella la rivolta annunciatrice di D'Annunzio, come tutta la bellezza che, nel suo vivace corso, è passata nella nostra vita, come tutti i paesaggi che ci hanno accolto, città emblematiche, pietre che custodiscono la memoria delle piogge e dei soli, rifugi di foglie, giardini dal mare. Ciò che ci separa da loro è un'illusione, una finzione sinistra inventata da menti cupe che si sono impadronite della realtà per farne una realtà dissacrata, ridotta ad astrazione e statistica, - in altre parole, alla restrizione. A questa "scienza della scarsità", D'Annunzio, come Jünger, opporrà la "scienza dell'abbondanza", la sapienza immemorabile, la teodicea.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Quando tutto cospira per costringerci a una vita inferiore, ipnotica, davanti agli schermi, dove non sappiamo quasi più se la distrazione è lavoro o se il lavoro è una perfetta distrazione dall'essenziale, dalla vera vita sensibile e intelligibile, i<strong>l sogno dannunziano della vita superiore</strong>, che riecheggia la vita magnifica evocata da Ernst Jünger, torna ad essere di struggente attualità. È proprio ciò che ci viene tolto, ma in questa mancanza, nel cuore stesso di questo esilio, risplende - come un briciolo di luce increata in fondo alla pupilla - l'appello del mondo che è stato arbitrariamente, astrattamente, dispoticamente allontanato da noi, ma che la poesia, l'uso magico del Logos, avvicina infinitamente: "sotto il cielo pregato con fede selvaggia, sulla terra arata con pazienza secolare".</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Far cantare la vita, farla vibrare, fremere, ronzare come le api di Aristeo, gettarla tutta nella fiamma che suscita, nel vulcano empedocleo o sulla spiaggia di Fiume, sotto il fuoco di coloro il cui onore sarebbe stato quello di non essere nemici; essere nicciano, ma con i buoni consigli dell'Aretino e di Catullo, e la saggezza innata, e la fedeltà ai morti con cui ogni anima generosa persegue il dialogo oltre l'apparire e lo scomparire, - tale era la vocazione, il richiamo di colui che noi leggeremo e rileggeremo, la sua ragione d'essere alla quale ci arrenderemo, senza rinunciare alle armi, per un “paradiso all'ombra delle spade”, per la grande pace del cuore ritrovata dagli uomini che agiscono e sognano, conoscendo la caducità di ogni cosa e che obbediscono soltanto al motto: “Pensa come se fossimo eterni e vivi come nel nostro ultimo giorno”.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Per D'Annunzio, come per Nietzsche, l'eternità si trova solo nell'attimo, e il pensiero è la giusta pesatura di questo attimo che oscilla dolcemente, amorevolmente, tra il passato e il futuro. Tutta la vita è sempre sull'orlo dell'abisso. Ignorarlo difficilmente ci impedisce di caderci dentro, ma offusca e degrada le ore infinitamente preziose che ci separano da esso.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">D'Annunzio ci parla da amico, e nella gloria e nell'entusiasmo, come nella prova e nello sgomento, le sue frasi resistono a quelle forze che vorrebbero spodestarci, e meglio ancora, sono contrattacchi per reclamare l'estuario da cui torneremo a noi stessi, per dirla con Rimbaud, "il nostro bene e il nostro bello", per quanto lontane appaiano, in qualche remota Atlantide dove sembrano perdute, scintillanti isole sommerse e restituite sopra l’orizzonte grazie alle parole che le evocano, dove noi siamo, nel buio della notte estrema o nel biondo del sole mattutino, uomini del desiderio, fragili e ferventi, tra le terre dell'Aquila e il territorio del Serpente.</span></span></p><p align="JUSTIFY"> </p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Luc-Olivier d'Algange</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">(traduction d'Aldo Righetti ) </span></span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"> </p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlUn texte de Stéphane Barsacq sur les "Propos réfractaires" de Luc-Olivier d'Algange:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2024-01-07:64791552024-01-07T19:52:59+01:002024-01-07T19:52:59+01:00 Saint-Augustin raconte ses erreurs, Rousseau justifie les...
<p style="text-align: center;"><img id="media-6502746" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/01/00/2896489980.jpg" alt="256039137_2496398420493846_8476458562857372159_n.jpg" /></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 18pt;">Saint-Augustin raconte ses erreurs, Rousseau justifie les siennes, Stendhal a les impudences des masques, Gide est plus près du modèle que du tableau et de la pose que de la grâce. La sincérité de Luc-Olivier d'Algange est d'une exactitude nonchalante. L'observation n'y est pas au piquet ni figée et morte comme le glacier d'Amiel; ici l'oiseau rend des libertés avec son arbre. Il se retranche mais il tranche. Il a des fenêtres qui donnent sur la guerre, sur la sottise, sur l'Europe. Prudent, il ne bégaye pas; avisé, il n'est pas irrésolu. Il est assez original pour citer souvent parce que l'esprit naît dans une société d'esprits. S'il nous parle de lui, c'est qu'il nous connaît. On ne le range pas parmi les philosophes parce qu'il refuse leurs cages, leur jargon, leur pédanterie, leurs querelles de fantômes. Aussi quelle succulence de langage ! J'aime Luc-Olivier d'Algange comme il aime Paul Valéry. "Les fous nous rendent fous, les sages nous rendent sage sans le vouloir". </span></p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 18pt;">Stéphane Barsacq </span></p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Luc-Olivier d'Algange, <strong>Propos réfractaires,</strong> éditions de L'Harmattan.</span></p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlUn article de Maximilien Friche paru dans "Zone critique":tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2024-01-07:64791452024-01-07T18:50:29+01:002024-01-07T18:50:29+01:00 Dans Propos réfractaires , Luc-Olivier d’Algange...
<p align="JUSTIFY"><strong><span style="color: #333333;"><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: medium;">Dans </span></span></span></strong><strong><span style="color: #333333;"><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: medium;"><em>Propos réfractaires</em></span></span></span></strong><strong><span style="color: #333333;"><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: medium;">, Luc-Olivier d’Algange s’attaque au Moderne qui est </span></span></span></strong><strong><span style="color: #333333;"><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: medium;"><em>contre tout ce que nous aimons. </em></span></span></span></strong><strong><span style="color: #333333;"><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: medium;">L’auteur nous propose tout simplement de partir au combat pour l’Âme du monde, mais avec un zeste de désinvolture et dans la joie de contempler les </span></span></span></strong><strong><span style="color: #333333;"><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: medium;"><em>éternités chatoyantes</em></span></span></span></strong><strong><span style="color: #333333;"><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: medium;">.</span></span></span></strong></p><div id="attachment_36021" dir="LTR"><p align="CENTER"><img src="https://zone-critique.com/wp-content/uploads/2023/12/telechargement-7.jpeg" alt="Luc-Olivier d'Algange, Propos réfractaires" width="178" height="283" name="images1" align="BOTTOM" border="0" /><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: xx-small;">s</span></span></p></div><p align="JUSTIFY"><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;">« </span></span></span><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;"><em>Être réfractaire, ce n’est pas être révolté avec le pathos moderne, c’est rompre là, avec calme et le plus simplement du monde afin de demeurer fidèle à l’essentiel</em></span></span></span><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;">. » A la lecture du dernier essai de Luc-Olivier d’Algange, ne vous attendez pas à un énième pamphlet réac. Ce n’est pas du tout le genre de notre dandy métaphysique. Ce qui est en jeu dans </span></span></span><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;"><em>Propos réfractaires</em></span></span></span><span style="color: #333333;"><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: medium;"> </span></span></span><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;">relève de la raison d’être. Et nous entrons dans ce livre comme nous entrons en conversation avec un ami qui va à la rencontre de la pensée en cherchant ses mots. Quelques références sont parsemées comme des balises : Bloy, Blanchot, Guénon, Dominique de Roux, Nietzsche, Daumal, Dante. Pas de dialectique ici, on ne peut utiliser l’outil de celui que l’on veut combattre sans le rejoindre dans l’arène et devenir son simple reflet. Luc-Olivier d’Algange ne cherche pas à convaincre car il ne cherche pas à tromper. Comme Sainte Bernadette, il ressent juste le devoir de nous le dire. Qu’il est doux de fréquenter celui qui parle avec autorité… celui-là distribue les aphorismes comme on ouvre les fenêtres d’un monde sentant le renfermé. Ses phrases se changent presque en dictons mâtinés de sagesse orientaliste. Ce qu’il nous livre ressemble parfois à la morale d’une fable et cette fable, nous la connaissons bien, c’est la farce de notre monde. Dans cette farce, Luc-Olivier d’Algange a identifié le protagoniste, c’est le Moderne. Ce Moderne, comme l’</span></span></span><em><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;">Homo Festivus</span></span></span></em><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;"> de Muray, devient le masque archétypal figé d’un théâtre antique pour nos jours. Ce qui fige ce masque dans une grimace, est tout ce qui l’empêche d’être : le monde du travail, l’ère de la technologie, la société du contrôle, le dogme de l’utilité, le culte de la quantité… « </span></span></span><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;"><em>L’arme du barbare moderne étant la haute technologie</em></span></span></span><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;">. » Mais cela ne s’arrête pas là car d’Algange a bien identifié que cette modernité était aussi un virus de la pensée ou plus exactement un refus de penser qui ordonne jusqu’aux décisions politiques. « </span></span></span><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;"><em>Les modernes ont cette passion, nier l’évidence</em></span></span></span><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: medium;">. »</span></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="color: #333333;"><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: medium;"><strong>Un plaidoyer pour l’incarnation et la vie intérieure</strong></span></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span id="Cadre1" dir="LTR"></span><span style="color: #333333;"><span style="font-family: arvo, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-family: Spectral, serif;">Pour notre auteur, face aux attaques que subit l’être, l’enjeu est de demeurer humain dans un monde qui veut nous faire trans-humains dans un confort post-humain. Voilà, « </span><span style="font-family: Spectral, serif;"><em>Les modernes fabriquent du chaos…</em></span> <span style="font-family: Spectral, serif;">». Lui se fait plutôt le chantre de la tradition en action : « </span><span style="font-family: Spectral, serif;"><em>Je n’aime pas le passé ; j’aime ce qui est présent du passé.</em></span> <span style="font-family: Spectral, serif;">» La subtilité est de taille pour échapper au conservatisme et au moralisme et mieux combattre toutes ses formes insidieuses du totalitarisme moderne. Via l’érotisme des phrases, des saisons, l’invitation à convertir notre regard aux épiphanies, aux éternités chatoyantes, à reconnaître les symboles, à entrer en contact avec l’âme du monde, Luc-Olivier d’Algange nous offre un plaidoyer pour l’incarnation et la vie intérieure. « </span><span style="font-family: Spectral, serif;"><em>Symboliser est un acte amoureux. Noces du visible et de l’invisible.</em></span> <span style="font-family: Spectral, serif;">» Tout est pourtant mis en place pour brouiller ces épiphanies. Il faut dire que « </span><span style="font-family: Spectral, serif;"><em>L’immense gratuité de la création inquiète et scandalise les calculateurs, les impies.</em></span> <span style="font-family: Spectral, serif;">» Le Moderne ayant la pensée courte se contente de croire en l’homme et finit par être </span><span style="font-family: Spectral, serif;"><em>contre tout ce que nous aimons</em></span><span style="font-family: Spectral, serif;">. Notre auteur dandy se veut chevalier. « </span><span style="font-family: Spectral, serif;"><em>Le combat pour l’Âme du monde oppose un sacrifice à un gâchis. Le moderne, ne voulant rien sacrifier, gâche tout</em></span><span style="font-family: Spectral, serif;">. » En refermant ces </span><span style="font-family: Spectral, serif;"><em>Propos réfractaires</em></span><span style="font-family: Spectral, serif;">, nous avons bien envie d’épouser cette chevalerie spirituelle proposée pour échapper au monde policier, de l’épouser avec cette </span><span style="font-family: Spectral, serif;"><em>pointe de désinvolture nécessaire</em></span> <span style="font-family: Spectral, serif;">à la lettre et l’esprit. « </span><span style="font-family: Spectral, serif;"><em>Être réfractaire, ce serait alors se souvenir que nous avons reçu.</em></span> <span style="font-family: Spectral, serif;">» </span></span></span></span></p><ul><li><p align="JUSTIFY"><span style="color: #333333;"><span style="font-family: Spectral, serif;"><span style="font-size: small;"><em>Propos réfractaires</em>, essai de Luc-Olivier d’Algange, L’Harmattan, 2023</span></span></span></p></li></ul>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlLuc-Olivier d'Algange, les inédits de Gustave Thibon:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-12-16:64760962023-12-16T22:36:23+01:002023-12-16T22:33:00+01:00 Propos d'avant-hier pour après-demain , les inédits de...
<p style="text-align: center;"><img id="media-6498002" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/02/00/110306928.jpg" alt="Thibon 2.jpg" /></p><p><em><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: xx-large;"><strong>Propos d'avant-hier pour après-demain</strong></span></span></em><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: xx-large;">,</span></span></p><p><strong><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: x-large;">les inédits de Gustave Thibon</span></span></strong></p><p> </p><p> </p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Le livre d'inédits de Gustave Thibon, qui vient de paraître aux éditions Mame, est un événement. L'ouvrage rassemble des notes, des conférences, « </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>feuilles volantes et pages hors champs</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> », lesquelles, pour les lecteurs non encore familiers constitueront une introduction du meilleur aloi, et pour les autres, une vision panoramique des plus instructives. Presque tous les thèmes connus de l'oeuvre sont abordés, et d'autres encore, où l'on découvre un philosophe dont la vertu première est l'attention. Il y est question de la France, des « liens libérateurs », formule qui n'est paradoxale qu'en apparence, des « corps intermédiaires », de Nietzsche et de Simone Weil, du mystère du vin, de l'âme du Midi, du Portugal, de la vie et de la mort. Ces « </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>pensées pour soi-même »</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, nous donnent la chance de remonter vers l'</span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>amont</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, vers la source d'une pensée qui ne se contente pas d'être édifiante et sauvegarde l'inquiétude, ce corollaire de la Foi, qui est au principe de toute aventure intellectuelle digne d'être vécue. </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Encore qu'il eût, depuis plus d'un demi-siècle, des lecteurs fidèles, et, mieux encore, de ceux qui surent entrer en conversation avec lui et prolonger sa pensée et son œuvre, - tel Philippe Barthelet auteur d'un livre d'entretiens avec Gustave Thibon, et d'un magistral </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Dossier H </em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">consacré à l'auteur</span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em> de L’Ignorance étoilée,</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> aux éditions de L'Age d'Homme - il est à craindre que Gustave Thibon ne soit pas encore reconnu à sa juste valeur, et surtout, à sa </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>juste audace</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">. Une image s'interpose : celle du « philosophe-paysan » qui se contenterait de dispenser une sagesse traditionnelle appuyée sur le catholicisme et l'amour de la terre.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Forts de cette vision réductrice, sinon fausse, on se dispense de le lire, de confronter son œuvre à celles des philosophes, plus universitaires, de son temps, et l'on méconnaît ce qu'il y a de singulièrement affûté, et sans concession d'aucune sorte, dans sa pensée érudite, mais de ligne claire et précise, sans jargon. Gustave Thibon, dans ces pages « </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>hors champs </em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">», adresse au lecteur, une mise-en-demeure </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>radicale</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, non certes au sens actuel de radicalisme, mais, à l'inverse, par un recours aux profondeurs du temps, aux palimpsestes de la pensée, à cette archéologie, voire à cette géologie de l'âme, à cette géographie sacrée, celle de la France, qui est, par nature, la </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>diversité même</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, qui se décline de la Bretagne à l'Occitanie, et n'en nécessite point d'autre, abstraite, importée ou forcée.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Certes, la terre est présente, et Gustave Thibon rejoint Simone Weil dans ses réflexions sur l'enracinement ; certes, il est catholique, sans avoir à passer son temps à le proclamer, - mais ces deux évidences sont, avant tout, l'expérience d'une transcendance véritable, qui ne cède jamais à la facilité revendicatrice, à ces représentations secondes qui nous poussent, sur une pente fatale parfois, à parler « en tant que ». Gardons-nous, dit Gustave Thibon, de nous reposer dans l'image que nous nous faisons de nous-mêmes ou dans le sentiment, d'être, par nos opinions et nos convictions, une incarnation du « Bien ». </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Il existe bien un narcissisme religieux, une satisfaction indue, une façon de </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>s'y croire</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, au lieu de croire vraiment, une pseudo-morale de dévots, une « </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>charité profanée</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> » (selon l'expression de Jean Borella) que Gustave Thibon, dans ces inédits, n'épargne pas de ses flèches. On se souviendra, en ces temps hâtifs et planificateurs que nous vivons, de sa formule qui ne cesse de gagner en pertinence : « </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Il ne faut pas faire l'Un trop vite</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> ». Contre la fiction d'un universalisme abstrait, Gustave Thibon propose un </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>retour au réel</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> , celui du monde, avec ses limites et ses frontières heureuses ; celui de l'homme qui défaille et parfois se dépasse. Il suivra Nietzsche, pas à pas, dans son « humain, trop humain », dénonçant les leurres, la morale comme masque du ressentiment et de la faiblesse, non pour « déconstruire », et se livrer au désastre dans «</span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em> un vacarme silencieux comme la mort </em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">» ainsi que l'écrivait Nietzsche, - noble naufragé qui en fit la tragique expérience, - mais pour comprendre que le </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>vide</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> qui se dissimule derrière nos vanités est appel à une plénitude infiniment proche et lointaine. </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">La faiblesse exagère tout. Son mode est l'outrance. Elle conspue, elle maudit, elle excommunie avec la rage de ceux dont la Foi est incertaine. Ces </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Propos d'avant-hier pour après-demain</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, le sont aussi pour notre pauvre aujourd'hui. Nous avons nos Robespierre, nos Précieuses ridicules, nos propagandistes du chaos, sous l'habit policé des technocrates, perfusés d'argent public, et tous ont pour dessein de faire table rase de notre héritage pour y établir leurs fatras, leurs encombrements de laideurs, de fictions lamentables, autant d'</span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>écrans </em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">entre nous et le monde ; écrans entre nous et un « </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>au-delà de nous-mêmes</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> », vaste mais autrefois familier, comme le furent les Rameaux, Pâques, Noël. - ces temporalités qualifiées où les hommes se retrouvaient entre eux et </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>en eux-mêmes</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> à la recherche de «</span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em> la juste balance de l'âme </em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">» : « </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Existence simultané des incompatibles, balance qui penche des deux côtés à la fois : c'est la sainteté</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> » écrivait Simone Weil, citée, dans ces pages, par Gustave Thibon. </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Philosophe-paysan, Gustave Thibon le serait alors au sens où il nous intime de nous désembourgeoiser, de cesser, par exemple, de considérer l'argent comme le socle des valeurs et de retrouver le « dépôt à transmettre » : le fief, la terre, la religion. « Le socle dévore la statue (…), avarice bourgeoise, aucune magnificence, pas de générosité ; abaissement des valeurs : pour le marchand tout se chiffre – et mépris des valeurs artistiques ; mentalité étriquée (…) ; règne du Quantitatif. Les « gros » ont replacé les « grands ». </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Où demeurer alors ? Gustave Thibon nous le dit, en forme de devise héraldique : « </span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Contre l'espoir dans l'espoir</em></span></span><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> ».</span></span></p><p align="JUSTIFY"> </p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Luc-Olivier d'Algange</span></span></p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlUn article d'Eric Naulleau sur les "Propos réfractaires" de Luc-Olivier d'Algange:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-12-03:64739752023-12-03T15:51:48+01:002023-12-03T15:51:48+01:00 Un article d'Eric NAULLEAU sur les Propos réfractaires de...
<p style="text-align: center;"><img id="media-6494598" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/01/02/2763648139.jpg" alt="227606540.jpg" /></p><p style="text-align: center;"> </p><p><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Un article d'Eric NAULLEAU sur les <em>Propos réfractaires </em>de Luc-Olivier d'Algange, Le journal du dimanche, 5 novembre 2023.</span></span></p><p> </p><p align="CENTER"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: x-large;"><strong>Pour une vie poétique</strong></span></span></p><p> </p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><span style="color: #cc0000;">Révélation</span>. Cioran et Philippe Muray ont un fils, commet l'appellent-ils ? Luc-Olivier d'Algange ! Ses <em>Propos réfractaires</em> plongent leurs racines plus profondément encore dans la tradition des moralistes du dix-septième siècle, que l'auteur prend soin de distinguer des moralisateurs : « <em>Le moralisateur ne peut penser qu'en accord préalable avec son groupe : il ne pense pas ce qu'il pense, il pense ce qu'il faut penser, en obéissant à l'argument d'autorité des spécialistes.</em> »</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Dissipons d'emblée un possible malentendu, nous n'avons pas ici affaire à quelque scrogneugneu du « c'était mieux avant ». Sculptés dans une langue dépouillée jusqu'à l'essentiel, ces fragments désignent tous la même issue hors d'une existence ravagée par le matérialisme en roue libre et « <em>l'individualisme de masse</em> » - il s'agit de rétablir l'homme dans toutes ses souverainetés perdues, de choisir « <em>la passation du feu </em>» contre « l<em>e parti des éteignoirs</em> ». Soit renouer les liens entre visible et invisible, entre tradition et modernité, réveiller par l'écriture et par la lecture le souvenir des textes fondateurs et des matins du monde : «<em> Un Grand Large scintille du fond de nos mémoires, l'âme odysséenne nous revient dans cette épiphanie d'eau et de lumière qu'avive le cours de nos phrases françaises.</em> » </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Luc-Olivier d'Algange descend volontiers du ciel des illuminations pour revenir sur terre afin de distribuer les aphorismes comme autant de bourre-pifs à l'époque : « <em>Les modernes ont cette passion, nier l'évidence </em>», « <em>Nous ne reprochons pas à la vulgarité d'être vulgaire, mais d'être totalitaire </em>» ou « <em>il faut plus de force pour résister à la meute que pour en manger les restes : le politiquement correct s'explique ainsi</em>. »</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Nuire à la bêtise, après Nietzsche, tel est le programme, ou plutôt, nuire à l'assotement, son synonymes jeté au rebut par l'Académie française et ainsi remis à l'honneur : « <em>Se laisser assoter n'est rien d'autre que se laisser vaincre. On nous assote par la veulerie et la frayeur, la distraction et le travail, par l'ignorance et par le bourrage de l'information, par les généralités idéologiques et par les potins, par la musique d'ambiance et par le vacarme des rues, par la désolation des centres commerciaux et par le puanteur de l'air, et même par les bons sentiments. » </em></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Sortie par le très haut, par la transcendance entendue dans son sens le plus large, par cette voie étroite frayée entre fanatisme et nihilisme. Nul n'est à l'abri de la révélation, quand un poème fait soudain tourner sur ses gonds une porte dérobée et suscite une présence accrue au monde l'espace d'un instant ou tout au long d'un passage sur terre.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Dès lors que celui-ci se trouve garanti par l'or littéraire, comme la monnaie d'autrefois par l'or tout court, dès lors que l'ici-bas et l'au-delà deviennent l'endroit et la doublure d'une même étoffe, «<em> dès lors que nous comprenons que toute grande politique s'ordonne et s'est toujours ordonnée à la poésie, dès lors que notre stratégie se fonde sur Homère, la Bhagavad-Gîta ou la Geste arthurienne plutôt que sur un stage "force de vente"</em>. »</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Lus d'une traite ou à raison d'un fragment chaque matin au réveil, peu importe la posologie, ces <em>Propos réfractaires</em> fortifient la santé de l'esprit. </span></span></p><p align="JUSTIFY"> </p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Eric NAULEAU </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="color: #ff0000;">Propos réfractaires</span>, <span style="font-size: small;">LUC-OLIVIER D'ALGANGE</span>, L'Harmattan, 192 pages, 21 euros </span></span></p><p> </p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlOlivier François. D'où parle luc-Olivier d'Algange ?tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-12-01:64737692023-12-01T22:40:23+01:002023-12-01T22:18:00+01:00 Olivier François Eléments N° 205, décembre 2023...
<p><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: x-large;"><img src="https://fr.wahooart.com/Art.nsf/O/8YEB7Q/$File/Albert-Bierstadt-Mountain-Scene-2-.JPG" alt="Le Kunst Museum de Winterthour propose l'Allemagne romantique de Carl ..." /></span></span></p><p><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: x-large;">Olivier François</span></span></p><p><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Eléments </em>N° 205, décembre 2023</span></span></p><p> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 18pt;"><em><strong>D'où parle Luc-Olivier d'Algange ?</strong></em></span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Certaines révoltes contre le monde moderne, certaines charges contre le désordre établi viennent parfois moins d'une aspiration au vrai, au beau et au juste que d'un ressentiment ou du désir de s'anéantir dans la défense d'une <em>bonne cause.</em> Il ne s'y entend pas un chant profond, mais des grincements de dents, la clameur des slogans scandés par les militants ou les trémolos de tribuns qui cherchent à rallier la foule des humiliés. Cela est sinistre et vindicatif. Cela est gros déjà de futurs conformismes, de servitudes inédites, de nouvelles formes d'abaissement et de dégradation. Il n'y a rien à espérer de ces révoltes d'esclaves qui se rêvent tyrans. Je suis assuré que Luc-Olivier d'Algange n'a jamais été un esclave et qu'il ne se rêve pas tyran. Il suffit s'ouvrir son dernier livre pour s'en convaincre. Propos réfractaires, recueil de discours et d'aphorismes que viennent de publier les éditions de l'Harmattan, signale encore une fois que cet écrivain a su se préserver des atteintes de l'époque et incarner une dissidence qui ne cède jamais à cet <em>esprit de lourdeur </em>qu'évoque Nietzsche dans <em>Ainsi parlait Zarathoustra</em>. C'est hélas aujourd'hui une chose bien rare quand se multiplient les espèces les plus invasives de culs-de-plomb et d'imbéciles plombés.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><strong>Les réfractions d'un réfractaire</strong> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">On en voit désormais qui agitent des drapeaux, qui revendiquent et qui protestent, comme dit la chanson, et qui se font une estrade de la poutre qu'ils ont trouvée dans l'oeil de leurs adversaires. Agités par les passions les plus tristes, ils arborent des faces vengeresses et se saoulent de rages impuissantes. Et ils nomment cela "lutter pour un monde plus juste et plus humain" . Luc-Olivier d'Algange, lui, n'est pas un entrepreneur en bonheur public et en simplification sociale. Il émane de ses livres un air d'altitude . On ne s'y sent jamais confiné. Pour ma part, en lisant d'Algange, il me semble toujours être un peu en promenade, en promenade quelque part en montagne, loin, très-loin des zones soumises au règne de la quantité où s'entassent les ruines, « ruines des choses, ruines des dogmes, ruines des institutions ». je chemine, je m'arrête un instant pour contempler le paysage ou pour méditer sur les joies et les mystères que nous offre l'univers. Je respire. </span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">« D'où parle Luc-Olivier d'Algange ? » me demande un ami qui aime à employer ironiquement le vocabulaire des anciens gauchistes. C'est là une excellente question, cher camarade ! A rebours de beaucoup de nos contemporains, disons que l'auteur de <em>Propos réfractaires</em> sait cultiver ces anciennes vertus que sont la piété et la ferveur. Il ne pratique pas cette mélancolie morbide et cette nostalgie incapacitante qui précède souvent les redditions. Il n'a pas renié les dieux. « <em>Contre le pouvoir qui nous avilit, que nous le subissions ou que nous l'exercions, les deux occurrences étant parfaitement interchangeables, des alliés nous sont donnés, qu'il faut apprendre à discerner dans la confusion des apparences. Ces alliés infimes ou immenses, dans l'extrême proximité ou le plus grand lointain, les hommes, jadis, les nommaient les dieux. </em>» écrit-il. Et, plus loin loin, ces phrases qui peuvent servir de viatique : « <em>Tant que, dans l'aventure, les dieux et les déesses veillent, rien n'est dit. Les circonstances les plus hostiles ou les plus favorables peuvent tourner et se retourner. Ce toujours possible est la puissance même, celle qui nous porte à échapper au monde des planificateurs et des statisticiens</em> ».</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Nos temps sont hostiles à toutes les formes de méditation, et le silence est violé ou calomnié . Le découragement nous guette et nous colle à l'âme comme une mauvaise graisse. Nous sommes encombrés par des êtres aussi que par des choses surnuméraires. Et nous évoluons dans un grand fatras d'événements qui se succèdent pour nous désorienter, nous désorbiter, nous énerver c'est-à-dire nous priver de ces nerfs qui nous permettraient de nos ressaisir. Le livre de Luc-Olivier d'Algange vient justement à point. Il faut en savourer toutes les pages. Peut-être aurez-vous soudain l'envie, en achevant la lecture, d'emprunter certains chemins peu défrichés, de quitter la zone ou d'aller au large.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Olivier François</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Luc-Olivier d'Algange, <strong>Propos réfractaires</strong>, éditions de L'Harmattan, collection Théôria. 178 pages. 21 euros.</span></p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.html"La métaphysique enchantée", un article de Rémi Soulié sur le dernier livre de Luc-Olivier d'Algangetag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-07-26:64541432023-07-26T21:29:54+02:002023-07-26T21:29:54+02:00 La Métaphysique enchantée Il ne faut...
<p style="text-align: center;"><img id="media-6464679" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/02/00/4102212059.jpg" alt="Propos couv.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">La</span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"> Métaphysique enchantée</span></span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><span style="font-size: 14pt;">Il</span><span style="font-size: 14pt;"> ne faut pas se méprendre sur le titre du dernier livre de l’admirable Luc-Olivier d’Algange, </span></span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Propos réfractaires</em>, en y entendant un écho, fût-il lointain, d’un ressentiment et d’une </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">vengeance, ou en y soupçonnant un positionnement malencontreux qui le placerait sous la </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">dépendance de ce qu’il observe de très loin mais, surtout, de très haut, soit, dirait Guénon, « la </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">fin d’un monde », ou l’anéantissement d’une civilisation. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 14pt;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">Si L.-O. d’Algange était un guerrier, </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">je dirais qu’il a le calme des vieilles troupes ; comme c’est un brahmane ou, si l’on préfère, un </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">métaphysicien-poète, je dirais plutôt qu’il a la sérénité du sage. Nul énervement, chez lui </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">(dans tous les sens du mot), mais la paix de celui qui a séjourné au Centre (la « paix du </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">Christ », dira-t-on préférentiellement sous nos latitudes) ou qui, sait-on jamais, a aussi la vertu </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">platonicienne de force pour y demeurer.</span></span></p><p style="text-align: justify;"><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">L’ « Égout central », comme dirait Renaud Camus, est pourtant torrentiel – cette excellente </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">formule désigne l’une des parodies modernes du Centre et l’une des inversions </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">caractéristiques du Kali-Yuga, terme sanskrit que l’Évangile traduit par « abomination de la </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">désolation » (βδέλυγμα τῆς ἐρημώσεως) et Heidegger par « détresse » (die Not) : destruction </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">de la langue, envahissement de la laideur, démonie de l’économie (Julius Evola), propagandes </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">publicitaires et idéologiques, mélange des castes (René Guénon) puis indistinction, </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">uniformisation, planifications, etc. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 14pt;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">Au chaos titanique, L.-O. d’Algange oppose non la rage – </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">ce qui reviendrait à se placer sur le cercle infernal (Tartare) des Titans – mais « <em>le sourire de la </em></span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"><em>pensée la plus profonde </em>» (ainsi Montherlant désignait-il le sourire du Bouddha) et, au </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">vacarme caverneux qui, hélas non sans succès, essaie de recouvrir le son de la vibration </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">initiale (AUM ou Fiat lux), l’écoute ou la contemplation attentive et précaire (priante, donc) </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">du Logos resplendissant, le silence d’où surgit la parole, la <em>vox cordis</em>. Cela suppose donc de </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">comprendre le temps tel qu’il est, en le relativisant (ce qui exclut toute religion de l’histoire) </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">et de percevoir en lui, selon la formule platonicienne, l’image mobile de l’éternité immobile. </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">Qui parvient, ainsi, à se centrer, devient littéralement hors d’atteinte – ce que nous sommes </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">depuis toujours mais que nous avons le plus grand mal à réaliser tant nous sommes attachés à </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">l’illusion phénoménale, laquelle a un versant obscur et lumineux, un ubac et un adret </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">(l’essentiel étant de gravir la montagne, évidemment, sans perdre de vue le sommet).</span></span></p><p style="text-align: justify;"><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Avec raison, L.-O. d’Algange insiste sur le second, ce qui est également ma pente, si j’ose </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">dire, d’autant plus que dans l’Âge sombre, la splendeur phénoménale, naturellement, </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">s’obscurcit et que les ténèbres paraissent tout recouvrir, interdisant (et, à travers ses agents, </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">pénalisant) toute recouvrance. La métaphysique consiste à fermer les yeux pour voir, certes </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">(la preuve par ces hauts métaphysiciens que furent Homère ou Tirésias), ou à les ouvrir </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">jusqu’à l’éblouissement, ce qui revient au même (je songe au soleil platonicien). Quoi qu’il en </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">soit, voir, c’est toujours savoir. La question se pose alors de savoir qui voit quoi.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"> Le poète, </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">bien entendu, est le voyant (ou le clairvoyant) par excellence. Pour lui, dit Goethe, le bleu du </span><span style="font-size: 14pt;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">ciel est la théorie (θεωρία), la contemplation même – ce pourquoi la couverture de la c</span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">ollection Théôria (dirigée par le non moins admirable Pierre-Marie Sigaud), dans laquelle le </span></span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">livre de L.-O. d’Algange est publié, est aussi bleue que le manteau de la Vierge. Il faut être </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">aussi obtus qu’un Chinois de Königsberg pour ne pas voir que le phénomène est le noumène </span><span style="font-size: 14pt;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">et qu’il n'y a même que lui qui soit (le Noûs, le νοῦς). Comment voulez-vous voir les formes </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">si vous ne voyez pas les dieux ? Le sortilège est devenu si puissant que nos contemporains ne </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">voient même plus l’envers de la Sainte Face, qui s’affiche pourtant sur tous les écrans et dont </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">le nom est Légion. Ce livre est un <em>pharmakon</em>, mais au sens exclusif de l’antipoison. Autant </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">dire qu’il est un enchantement et qu’il relève donc du réalisme le plus profond.</span></span></p><p style="text-align: justify;"><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Un bref Propos, moins métaphysique en apparence, qui convaincra les plus politiques d’entre </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">nous : « La Monarchie était sensiblement mieux une république que ne le sont nos </span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">démocraties. Plus nos démocraties liquident l’héritage royal et plus elles s’éloignent de la <em>res </em></span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>publica</em> : on s’afflige d’avoir à énoncer, contre l’opinion générale, de pareilles évidences ».</span></p><p style="text-align: justify;"><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Propos réfractaires ? Certes, mais surtout, Propos réfracteurs de lumière.</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Rémi Soulié</span></strong></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Luc-Olivier d’Algange, Propos réfractaires, L’Harmattan.</span></p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlLe "Nocturne" de D'Annunzio, pour la première fois en ce siècle, dans son texte intégral avec les gravures d'origine:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-07-18:64528502023-07-18T16:27:42+02:002023-07-18T16:21:00+02:00 266 pages, 25 euros, aux éditions Alcor.
<p style="text-align: center;"><img id="media-6462897" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/01/01/3546198246.jpg" alt="Nocturne 1.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;">266 pages, 25 euros, aux éditions Alcor.</span> </p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlVient de paraître:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-06-28:64496612023-06-28T14:39:20+02:002023-06-28T14:39:20+02:00 180 pages, 21euros
<p style="text-align: center;"><img id="media-6458153" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/01/01/4102212059.jpg" alt="Propos couv.jpg" /></p><p style="text-align: center;">180 pages, 21euros </p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlLuc-Olivier d'Algange, Prologue aux "Propos réfractaires", nouvelle édition augmentée, à paraître en Juin, aux éditions de L'Harmattan:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-05-27:64451612023-05-27T21:08:57+02:002023-05-27T19:37:00+02:00 Luc-Olivier d'Algange Prologue aux Propos réfractaires...
<p style="text-align: center;"><img id="media-6450080" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/00/00/3184811031.jpg" alt="Albrecht_Dürer_-_The_Large_Piece_of_Turf,_1503_-_Google_Art_Project.jpg" /></p><p style="text-align: center;" align="JUSTIFY"><span style="color: #050505; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 24pt;"><span style="font-size: 18pt;">Luc-Olivier d'Algange</span></span></p><p style="text-align: center;" align="JUSTIFY"><span style="color: #050505; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 24pt;"><span style="font-size: 18pt;">Prologue aux <strong>Propos réfractaires</strong></span> </span></p><p align="JUSTIFY"> </p><p align="JUSTIFY"><span style="color: #050505;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Le titre de cet ouvrage est venu de lui-même, et presque malgré nous. Quelques mots ne seront pas inutiles pour en dissiper le malentendu possible. Etre réfractaire n'est pas un projet, ni une vocation, et, à Dieu ne plaise, une pose. Le monde est assez achalandé de subversifs subventionnés, de marchands de libertés par procuration, de fortes gueules approximatives, de râleurs et de rabat-joie pour, au moins, hésiter de faire chœur avec eux. </span></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="color: #050505;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Le monde moderne, certes, est sinistre, et sans en disconvenir, il convient de ne point trop mélancoliser et de tenir la bride courte aux nostalgies. Réfractaires, nous eussions préféré ne l'être pas, et recevoir le monde qui nous entoure, mais désormais nous <em>enserre</em> avec une idiosyncrasie carcérale , avec moins de réticences ; la ferveur et la piété sont plus aimables.</span></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="color: #050505;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Une civilisation et une civilité s'effacent. Dans leur relativisme général, les intellectuels bien-pensant s'en indiffèrent. Mais la conséquence est là : voici le temps des calculateurs, des moroses, des jaloux, des agités et des dépités, qui ne savent ce qu'est servir plus grand que soi, ou plus vaste, - encalminés dans leurs subjectivités ulcérées, fermés à toute contemplation : rats traqués se dévorant entre eux dans les remugles du ressentiment, tandis que les barbares prennent la place.</span></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="color: #050505;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Pour atteindre à une affirmation souveraine, si lointaine de nos conditions, de nos fragilités, de nos incertitudes réelles, sans doute faut-il passer par la « négation de la négation » et ne pas méconnaître, car elle agit sur nous, cette grande machine de guerre planificatrice, en mouvement contre tout ce que nous aimons, ici et ailleurs, dans la diaprure des êtres et des choses, dans leurs singularités vivantes, dans le ressac du passé qu'elles nous portent, tels des embruns de pointe océanique. N'opposons pas un système à un autre, qui en serait l'envers ou la grimace. Nous sommes fugaces, comme une allumette brûlée au cœur de la nuit, mais d'un unique éclat. Que peut nous chaloir d'être agrégé à d'autres dont on supposerait qu'ils partagent nos révoltes et nos malheurs ? Le collectivisme comme l'individualisme de masse participent l'un et l'autre de notre expropriation, du refus de qui nous est </span></span></span><span style="color: #050505;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>propre</em></span></span></span><span style="color: #050505;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> : tradition, flamme presque indiscernable, qui passe, de mains en mains. L'amitié est notre seule cause commune. </span></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="color: #050505;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Les idéologues, ces dévergondés de l'abstraction, sont flatteurs et vivent aux dépens de ceux qu'ils prétendent défendre, ou, pire encore, « représenter », en les réduisant à leurs plus petits dénominateurs communs. Cette morne ruse n'est courue que par la presque infinie complaisance des hommes de notre temps à se faire plaindre et à vouloir « exister » non par leurs propres vertus, ou vices, dont ils héritent ou qu'ils inventent, mais par un statut de victime qui leur serait accordé d'office et sur lequel ils pourraient se reposer, - sans voir que ceux qui les encouragent à ce triste rôle se servent d'eux, et les avilissent. Le beau fromage de la reconnaissance sociale tombe ainsi du bec aux dents, et leur ultime bien, qui était leur irréductible singularité, leur est ôté dans une statistique.</span></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="color: #050505;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Il sera donc question, dans ces digressions et ces formes brèves, de ce qui, dans la nature humaine, résiste à ce qui voudrait nous uniformiser et nous avilir. L'ambition, somme toute est modeste, mais parfois modestie est gageure : demeurer humain dans un monde qui ne songe qu'à nous appareiller pour nous faire « trans-humain » ou nous installer, devant nos écrans, dans la servitude volontaire d'un confort « post-humain ». La voie qui rechigne à de si vantées perspectives, est parfois capricieuse et risquée, mais souvent bienheureuse en ce qu'elle nous relie à des beautés oubliées. D<span style="color: #000000;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">'où vient notre pensée ? Elle vient d'autres pensées et du monde. De la séquence de Sainte-Eulalie; de la romance arthurienne; de nos promenades en forêt ou au bord de la mer ; des nuits traversées au long cours jusqu'au petit matin froid et rose; d'Héraclite d'Ephèse et de son feu mêlé d'aromates dans l'Obscur; de la délicatesse violente de Valéry Larbaud; des romans d'aventure qui disent la vraie vie; des orages dont parle Henry Bosco; du Sacre de la cathédrale de Reims; de l'Éclair dans l'éclair d'Angélus Silésius; de l'ermitage aux buissons blanc; du gaélique et de la kabbale des arbres; de l'épaule de cette jeune femme où j'ai posé mes lèvres; de la lumière qui est l'ombre de Dieu.</span></span></span></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="color: #050505;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><span style="color: #000000;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">Etre réfractaire, ce serait alors se souvenir que nous avons reçu bien plus que nous ne pourrions jamais donner. Rompre là, pour mieux honorer, s'éloigner de ceux qui déprécient, qui se vengent, pour mieux s'approcher de l'éloge ingénu. </span></span>Si l'on considère à quel point les moralisateurs, de nos jours, enlaidissent le monde par leurs griefs, leurs jalousies, leurs morosités, leurs hystéries, leurs récriminations, leurs censures, leurs menaces et leurs jugements, à quel point ils jettent, venimeuses vermines, une systématique suspicion empoisonnée sur toute forme de beauté et de grandeur, à quel point ils sont aveugles à la vérité et au réel en leurs nuances, leurs gradations et leurs variations, nous devons reconnaître que l'alliance immémoriale entre le vrai, le beau et le bien a, hélas, été rompue, collectivement et délibérément, et que seules les âmes légères, baroques, désinvoltes, rares heureux, fils de Roi, pourront en retrouver le goût, la saveur, qui est sapience.<span style="color: #000000;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></span></span></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="color: #050505;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><span style="color: #000000;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">La reconnaissance est la clef et sa </span></span><span style="color: #000000;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"><em>mission</em></span></span><span style="color: #000000;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">, que résume propos du grand Latin, « </span></span><span style="color: #000000;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"><em>naviguer est nécessaire mais il n'est pas nécessaire de vivre </em></span></span><span style="color: #000000;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">» offre aux réfractaires cet horizon d'enfance qui détient un secret de poésie : combattre l'indéfini, la confusion, l'indistinction avec les armes de l'infini et reconquérir enfin nos paysages et l'armorial des songes dans les étymologies de notre langue natale.</span></span></span></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: large;">L-O.d'A.</span></p><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: xx-large;"><em>Bibliographie</em></span></span></span></p><ul><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Manifeste baroque</em>, Toulouse, Cééditions, 1981</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Orphiques</em>, éditions Style, 1988</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Le Secret d'or</em>, éditions des Nouvelles Littératures Européennes, 1989</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>La Victoire de Castalie</em></span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, Aguessac, Editions Clapàs, 2000</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Traité de l'ardente proximité</em>, Aguessac, Éditions Clapàs, 2005</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>L'Étincelle d'or : notes sur la science d'Hermès</em>, Paris, Les Deux Océans, 2006</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>L'Ombre de Venise</em></span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, essai, Billère, Alexipharmaque, 2006</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Le Songe de Pallas </em></span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, suivi de </span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>De la souveraineté</em></span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> et de </span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Digression néoplatonicienne</em></span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, essai, Billère, Alexipharmaque, 2007</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Fin mars. Les hirondelles</em>, éditions Arma Artis, 2009</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Terre lucide. Entretiens sur les météores</em></span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"> (avec Philippe Barthelet), La Bégude de Mazenc, Éditions Arma Artis, 2010 ; rééd. revue et corrigé Editions L'Harmattan</span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, coll. Théôria, 302 p., 2022</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Le Chant de l'Ame du monde</em>, poèmes, éditions Arma Artis, 2010</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Lectures pour Frédéric II</em></span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, Alexipharmaque, 2011</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Lux Umbra Dei</em>, éditions Arma Artis, 2012</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Propos réfractaires</em>, éditions Arma Artis, 2013</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Au seul d'une déesse phénicienne</em>, éditions Alexipharmaque, 2014</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Apocalypse de la beauté</em>, éditions Arma Artis, 2014</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Métaphysique du dandysme</em>, éditions Arma Artis, 2015</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Intempestiva Sapientia</em>, suivi de <em>L'Ange-Paon</em>, éditions Arma Artis, 2016</span></span></span></p></li><li><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Notes sur L'éclaircie de l'être</em>, éditions Arma Artis, 2016</span></span></span></p></li><li><p><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><span style="color: #202122;"><em>Le Déchiffrement du monde : la gnose poétique d'Ernst Jünger</em></span><span style="color: #202122;">, Paris, L'Harmattan, coll. Théôria, 2017 )</span></span></span></p></li><li><p><a name="cite_ref-13"></a> <span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">Sous la dir. de Pierre-Yves Rougeyron, </span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Pourquoi combattre ?</em></span></span></span><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;">, Éditions Perspectives Libres, Paris, Janvier 2019, .</span></span></span></p></li><li><p><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><span style="color: #202122;"><em>L'Âme secrète de L'Europe : Œuvres, mythologies, cités emblématiques</em></span><span style="color: #202122;">, Paris, L'Harmattan, coll. Théôria, 2022.</span></span></span></p></li><li><p><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><span style="color: #202122;"><em>Terre Lucide entretiens sur les météores et les signes des temps (</em></span><span style="color: #202122;">avec Philippe Barthelet</span><span style="color: #202122;"><em>)</em></span><span style="color: #202122;"> Paris, L'Harmattan, coll.Théôria, 2023.</span></span></span></p><p><span style="color: #202122;"><span style="font-family: Georgia, serif;"><span style="font-size: large;"><em>Propos réfractaires</em>, édition revue et augmentée, Paris, L'Harmattan ( à paraître)</span></span></span></p></li></ul>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlLuc-Olivier d'Algange, Mythe et Logos:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-04-08:64373902023-04-08T19:12:16+02:002023-04-08T19:12:16+02:00 Mythe et Logos Nous...
<div class="x11i5rnm xat24cr x1mh8g0r x1vvkbs xdj266r x126k92a"><div dir="auto" style="text-align: center;"> </div><div dir="auto" style="text-align: center;"><p style="text-align: center;"><img id="media-6438343" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/00/01/3924143517.jpg" alt="Mythe et Logos 2.jpg" /></p></div><div dir="auto" style="text-align: center;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 24pt;">Mythe et Logos</span></strong></div><div dir="auto" style="text-align: center;"> </div><div dir="auto"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Nous savons depuis Hölderlin et Nietzsche que la pensée grecque ne fut pas seulement dévouée à la mesure et à la clarté telles que nous les concevons aujourd'hui. La mesure, loin d'être seulement cette parcimonie de l'intelligence, voire cette étroitesse de caractère propre aux morales utilitaires, sans doute en faudrait-il chercher le sens ailleurs que dans les "<em>nobles glaçons</em>" de nos habitudes ratiocinantes, dont parlait Jean Cocteau, et, par exemple, dans les spéculations pythagoriciennes ou dans le néoplatonisme ardent de l'Empereur Julien: mesure d'infini alors, ou mesure confrontée à l'infini, s'en faisant l'épreuve, comme une balance (dont l'axe serait l'Axis mundi) qui laisse se reposer, de part et d'autre, un visible et un invisible, d'égale importance. Car si la pensée olympienne est claire, d'une clarté jamais entrevue avant elle, ni depuis lors, cette clarté est chargée d'une puissance tout à la fois intellectuelle et ouranienne sans commune mesure avec la clarté rationnelle qui suffit à planifier les activités ordinaires du travail ou de la didactique. La mesure et la clarté grecque ne peuvent se comprendre sans les dieux qui la manifestent, ces dieux qui appartiennent à un invisible qui est la condition même du visible.</span></div><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Nous autres modernes admirons les oeuvres de l'art et de la pensée grecque tout en méconnaissant ce qui en est le principe et qui demeure en elles comme un profonde raison d'être. Sur le passé antique, comme sur le passé médiéval, nous projetons nos propres façons de voir, notre inquiétude et nos indigences et nous admirons les conséquences au détriment des causes. Or pour ressaisir la pensée grecque dans sa plasticité, dans ses gradations infinies, dans son mouvement, dans son émotion, il nous faudrait remonter en amont de la séparation que nous opérons, comme si elle allait de soi, entre le Mythe et le Logos. Platon, certes, distingue le Mythe et le Logos tout en ne cessant d'établir entre l'un et l'autre une circulation qui nous enchante autant qu'elle nous déroute. Les néoplatoniciens, de Plotin à l'Empereur Julien, quant-à eux, refondèrent le Logos dans le Mythe en faisant du Logos lui-même un mythe fondateur, en reconnaissant dans le Logos, une puissance héliaque et divine.</span></div><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">L'étonnement, l'enchantement, l'ivresse, le merveilleux, l'extase que nous dissocions des travaux de la raison (à laquelle nous réduisons désormais le Logos, celui-ci n'étant plus que le logos de la logique) loin d'appartenir à un autre monde que celui du réel, animaient comme autant de grâces, de périls et de faveurs toutes les apparences, des plus augustes et lointaines aux plus proches et familières. La logique elle-même, dont les Grecs sont dans une certaine mesure les inventeurs, à tout le moins pour nous, leurs héritiers, leur apparaissait mystérieusement en accord avec les forces qui régissent le monde et comme un aperçu éblouissant de ses arcanes. Loin d'être cette routine de la pensée qui accompagne les tractations économiques et les planifications technologiques, la logique ailée, devineresse, leur apparut sans doute comme une pénétration dans la profondeur de l'être et comme une entente possible, une entente sacrée, de l'entendement humain avec la musique des sphères.</span></div><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Rien n'est plus difficile à saisir, pour nous qui vivons dans un monde disjoint, que cette entente entre la raison et le merveilleux, entre la clarté des lignes et l'intensité du numineux, - encore qu'elle subsiste, sous quelques aspects dans le "<em>merveilleux raisonnable</em>" de Perrault, qu'évoquait Pierre Boutang, et dans les mythologies chasseresses et apolliniennes de la France classique, et plus tardivement, dans l'oeuvre poétique et cinématographique de Jean Cocteau. Mais sinon cette ligne de crête, force est de reconnaître que nous sommes généralement emprisonnés dans une fausse alternative et qu'abandonnant les ressources de la plénitude jadis aimée, jadis couronnée, nous en sommes réduits à devoir choisir entre le merveilleux et la raison, à prendre le parti soit du Mythe, redevenu alors mensonge, récit fallacieux, soit le parti du Logos, ramené à une rationalité aux conséquences souvent déraisonnables. A vivre seulement dans une moitié de monde, c'est le monde entier que nous perdons, le Logos s'étiolant de sa rupture avec le Mythe et le Mythe laissé à lui-même devenant monstrueux ou cauchemardesque.</span></div><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Si le Logos nous ouvre les portes de la sapience, le Mythe nous ouvre celles de l'amour. Or que nous dit le choeur de la Médée d'Euripide ? Nommant Aphrodite, c'est-à-dire lui offrant l'oblation de sa présence heureuse, le choeur nous dit qu'Aphrodite "<em>envoie à la Sapience, pour l'assister, les dieux de l'Amour, les compagnons de toute excellence</em>". La Sapience, la <em>sophia</em>, est elle-même appel amoureux, appel aux dieux de l'amour, appel à la profondeur frémissante de la déesse, qui vient de la nuit et de la mer "<em>comme la douce respiration du vent qu'elle fait naître du Céphise</em>".</span></div><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">La sapience exige l'amour qui fera de l'amour de la sagesse, de la philosophie au sens antique et étymologique, une sapience amoureuse, accordée à la beauté en tant que "vérité de l'être". Aphrodite, "<em>déesse de l'heureuse navigation</em>", vient en témoignage de la profondeur de l'être, au secours de la sapience. Venue des ténèbres maritimes, surgie de l'écume des flots, du plus vaste indiscernable, l'infini de la nuit s'ajoutant à la vastitude de la mer, elle engendre alors, elle-même secourue par la parole du poète, par le Logos dont le poète est l'intercesseur, "<em>le miroir de la mer, le lointain lumineux du ciel</em>" qu'évoque Lucrèce. Le poète fût-il "matérialiste", comme on le dit parfois de Lucrèce, reconnaît ce recours, cette hospitalité réciproque, cette entente sacrée entre le Logos et le Mythe, entre les rumeurs de la nuit maritime et les claires prairies qu'évoque l'Hymne homérique à Aphrodite "<em>où seule l'abeille passe rêveuse au printemps</em>".</span></div><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Séparés, exilés l'un de l'autre, sans mesure ni oeuvre commune, comme saisis d'une rétractation, d'un rebroussement ou d'un retrait, le Mythe et le Logos nous laissent à ce désert d'abstractions, cette effarante restriction des sentiments du vrai et beau, du sensible et de l'intelligible, corrélative d'un appauvrissement du langage tel que toute poésie et toute métaphysique en deviennent peu à peu incompréhensibles. Toutefois si le Logos se restreint et se dessèche, les Mythes, eux ne meurent point. "Ce qui fut jadis, écrit Goethe, dans tout l'éclat de l'apparaître, cela se meut là-bas, cela veut être éternel". L'être des dieux, écrit Walter Otto est "<em>l'être de l'avoir été</em>". Or l'avoir été demeure, ne fût-ce que dans le chant du poète qui témoigne du chant des Muses. "<em>Cela n'est jamais advenu et pourtant c'est toujours</em>"</span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"> écrit l'Empereur Julien. Et ce "là-bas", cet "éternel", ce "toujours" où sont-t-il sinon dans la recouvrance du moment présent ?</span></div><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Homère, dans l'Iliade nomme les dieux "<em>ceux qui vivent légers</em>". Cette légèreté, cette apesanteur, nous seraient-elles ôtées à jamais ? La recouvrance nous est-elle à jamais interdite, et, avec elle, tous les enchantements nuptiaux de la rencontre du Mythe et du Logos ? Comment le croire, si nous devinons encore la profondeur du monde et de l'être, et si, dans cette profondeur, nous pressentons les dieux dans leur retrait ? Comment le croire, sinon dans un saisissement mortel qui nous laisserait comme interdits face au monde, statues de sel, âmes vitrifiées, imperméables ? "<em>Si l'oeil, écrit Goethe, n'était pas soleillant, comment verrions-nous la lumière ? Si la vigueur du dieu n'était vivante en nous comment l'appel divin pourrait-il nous ravir ?</em> "</span></div><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">L'épreuve du nocturne révèle par contraste le "soleillant". L'absence creuse l'abîme limpide de la toute-présence; l'exil du dieu signe sa proximité ardente. La mesure et la clarté, comme l'écume dont naît la déesse de l'amour, viennent à nous sur des houles de nuit.</span></div><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Luc-Olivier d'Algange</span></div><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div><div dir="auto" style="text-align: justify;"><p style="text-align: center;"><img id="media-6438342" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/02/00/1692548668.jpg" alt="L'Ame secrète.jpg" /></p></div></div><div class="x11i5rnm xat24cr x1mh8g0r x1vvkbs xtlvy1s x126k92a"><div dir="auto" style="text-align: justify;"> </div></div>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlLuc-Olivier d'Algange, Hommage à Roger Nimier:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-04-05:64369252023-04-05T19:11:58+02:002023-04-05T19:11:58+02:00 Luc-Olivier d’Algange Hommage à Roger Nimier ...
<p style="text-align: center;"><img id="media-6437741" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/00/00/3945358695.jpg" alt="Nimier 10.jpg" /></p><p lang="" align="CENTER"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 18pt;">Luc-Olivier d’Algange</span></p><p lang="" align="CENTER"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 24pt;"><em>Hommage à Roger Nimier</em></span></p><p lang="" align="JUSTIFY"> </p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Roger Nimier fut sans doute le dernier des écrivains, et des honnêtes gens, à être d'une civilisation sans être encore le parfait paria de la société; mais devinant cette fin, qui n'est pas une finalité mais une terminaison.</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Après les futilités, les pomposités, les crises anaphylactiques collectives, les idéologies, viendraient les temps de la disparition pure et simple, et en même temps, des individus et des personnes. L'aisance, la désinvolture de Roger Nimier furent la marque d'un désabusement qui n'ôtait rien encore à l'enchantement des apparences. Celles-ci scintillent un peu partout dans ses livres, en sentiments exigeants, en admirations, en aperçus distants, en curiosités inattendues.</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Ses livres, certes, nous désabusent, ou nous déniaisent, comme de jolies personnes, du Progrès, des grandes abstractions, des généralités épaisses, mais ce n'est point par une sorte de vocation éducative mais pour mieux attirer notre attention sur les détails exquis de la vie qui persiste, ingénue, en dépit de nos incuries. Roger Nimier en trouvera la trace aussi bien chez Madame de Récamier que chez Malraux. Le spectre de ses affections est large. Il peut, et avec de profondes raisons, trouver son bien, son beau et son vrai, aussi bien chez Paul Morand que chez Bernanos. Léautaud ne lui interdit pas d'aimer Péguy. C'est assez dire que l'esprit de système est sans prise sur lui, et que son âme est vaste.</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">On pourrait en hasarder une explication psychologique, ou morale. De cette œuvre brève, au galop, le ressentiment qui tant gouverne les intellectuels modernes est étrangement absent. Nimier n'a pas le temps de s'attarder dans les relents. Il va à sa guise, voici la sagesse qu'il nous laisse. Ses quelques mots pointus, que l'on répète à l'envie, et que ses fastidieux épigones s'efforcent de reproduire, sont d'un piquant plus affectueux que détestateur. Pour être méchant, il faut être bien assis quelque part, avec sa garde rapprochée. Or le goût de Roger Nimier est à la promenade, à l'incertitude, à l'attention. Fût-ce par les méthodes de l'ironie, il ne donne pas la leçon, mais invite à parcourir, à se souvenir, à songer, - exercices dont on oublie souvent qu'ils exigent une intelligence toujours en éveil. Son goût n'est pas une sévérité vétilleuse dissimulée sous des opinions moralisatrices, mais une liberté exercée, une souveraineté naturelle. Il ne tient pas davantage à penser comme les autres qu'il ne veut que les autres pensent comme lui, puisque, romancier, il sait déjà que les autres sont déjà un peu en lui et lui dans les autres. Les monologues intérieurs larbaudiens du <em>Hussard bleu</em> en témoignent. Nimier se défie des représentations et de l'extériorité. Sa distance est une forme d'intimité, au rebours des familiarités oppressantes.</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">L'amour exige de ces distances, qui ne sont pas seulement de la pudeur ou de la politesse mais correspondent à une vérité plus profonde et plus simple: il faut aux sentiments de l'espace et du temps. Peut-être écrivons nous, tous, tant bien que mal, car nous trouvons que ce monde profané manque d'espace et de temps, et qu'il faut trouver quelque ruse de Sioux pour en rejoindre, ici et là, les ressources profondes: le récit nous autorise de ses amitiés. Nul mieux que Roger Nimier ne sut que l'amitié est un art, et qu'il faut du vocabulaire pour donner aux qualités des êtres une juste et magnanime préférence sur leurs défauts. Ceux que nous admirons deviendront admirables et la vie ressemblera, aux romans que nous écrivons, et nos gestes, aux pensées dites « en avant ». Le généreux ne jalouse pas.</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Il n'est rien de plus triste, de plus ennuyeux, de plus mesquin que le « monde culturel », avec sa moraline, son art moderne, ses sciences humaines et ses spectacles. Si Nimier nous parle de Madame Récamier, au moment où l'on disputait de Mao ou de Freud, n'est-ce pas pour nous indiquer qu'il est possible de <em>prendre la tangente</em> et d'éviter de s'embourber dans ces littératures de compensation au pouvoir absent, fantasmagories de puissance, où des clercs étriqués jouent à dominer les peuples et les consciences ? Le sérieux est la pire façon d'être superficiel; la meilleure étant d'être profond, à fleur de peau, - « peau d'âme ». Parmi toutes les mauvaises raisons que l'on nous invente de supporter le commerce des fâcheux, il n'en est pas une qui tienne devant l'évidence tragique du temps détruit. La tristesse est un péché.</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Les épigones de Nimier garderont donc le désabusement et s'efforceront de faire figure, pâle et spectrale figure, dans une société qui n'existe plus que pour faire disparaître la civilisation. La civilisation, elle, est une eau fraîche merveilleuse tout au fond d'un puits; ou comme des souvenirs de dieux dans des cités ruinées. L'allure dégagée de Roger Nimier est plus qu'une « esthétique », une question de vie ou de mort: vite ne pas se laisser reprendre par les faux-semblants, garder aux oreilles le bruit de l'air, être la flèche du mot juste, qui vole longtemps, sinon toujours, avant son but.</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Les ruines, par bonheur, n'empêchent pas les herbes folles. Ce sont elles qui nous protègent. Dans son portrait de Paul Morand qui vaut bien un traité « existentialiste » comme il s'en écrivait à son époque (la nôtre s'étant rendue incapable même de ces efforts édifiants), Roger Nimier, après avoir écarté la mythologie malveillante de Paul Morand « en arriviste », souligne: « <em>Paul Morand aura été mieux que cela: protégé. Et conduit tout droit vers les grands titres de la vie, Surintendant des bords de mer, Confident des jeunes femmes de ce monde, Porteur d'espadrilles, Compagnons des vraies libérations que sont Marcel Proust et Ch. Lafite.</em> »</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Etre protégé, chacun le voudrait, mais encore faut-il bien choisir ses Protecteurs. Autrefois, les tribus chamaniques se plaçaient sous la protection des faunes et des flores resplendissantes et énigmatiques. Elles avaient le bonheur insigne d'être protégées par l'esprit des Ours, des Lions, des Loups ou des Oiseaux. Pures merveilles mais devant lesquelles ne cèdent pas les protections des Saints ou des Héros. Nos temps moins spacieux nous interdisent à prétendre si haut. Humblement nous devons nous tourner vers nos semblables, ou vers la nature, ce qui n'est point si mal lorsque notre guide, Roger Nimier, nous rapproche soudain de Maurice Scève dont les poèmes sont les blasons de la langue française: « <em>Où prendre Scève, en quel ciel il se loge ? </em>Le Microcosme <em>le place en compagnie de Théétète, démontant les ressorts de l'univers, faisant visiter les merveilles de la nature (...). </em>Les Blasons <em>le montrent couché sur le corps féminin, dont il recueille la larme, le soupir et l'haleine. </em>La Saulsaye <em>nous entraîne au creux de la création dans ces paradis secrets qui sont tombés, comme miettes, du Jardin royal dont Adam fut chassé. »</em></span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Hussard, certes, si l'on veut, - mais pour quelles défenses, quelles attaques ? La littérature « engagée » de son temps, à laquelle Nimier résista, nous pouvons la comprendre, à présent, pour ce qu'elle est: un désengagement de l'essentiel pour le subalterne, un triste "politique d'abord" (de Maurras à Sartre) qui abandonne ce qui jadis nous engageait (et de façon engageante) aux vertus mystérieuses et généreuses qui sont d'abord celles des poètes, encore nombreux du temps de Maurice Scève: « <em>Ils étaient pourtant innombrables, l'amitié unissait leurs cœurs, ils inspiraient les fêtes et décrivaient les guerres, ils faisaient régner la bonté sur la terre</em>. » De même que les Bardes et les Brahmanes étaient, en des temps moins chafouins, tenus pour supérieurs, en leur puissance protectrice, aux législateurs et aux marchands, tenons à leur exemple, et avec Roger Nimier, Scève au plus haut, parmi les siens.</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Roger Nimier n'étant pas « sérieux », la mémoire profonde lui revient, et il peut être d'une tradition sans avoir à le clamer, ou en faire la réclame, et il peut y recevoir, comme des amis perdus de vue mais nullement oubliés, ces auteurs lointains que l'éloignement irise d'une brume légère et dont la présence se trouve être moins despotique, contemporains diffus dont les amabilités intellectuelles nous environnent.</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Qu'en est-il de ce qui s'enfuit et de ce qui demeure ? Chaque page de Roger Nimier semble en « répons » à cette question qui, on peut le craindre, ne sera jamais bien posée par l'âge mûr, par la <em>moyenne</em>, - dans laquelle les hommes entrent de plus en plus vite et sortent de plus en plus tard, - mais par la juvénilité platonicienne qui emprunta pendant quelques années la forme du jeune homme éternel que fut et demeure Roger Nimier, aimé des dieux, animé de cette jeunesse « <em>sans enfance antérieure et sans vieillesse possible</em> » qu'évoquait André Fraigneau à propos de l'Empereur Julien.</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Qu'en est-il de l'humanité lorsque ces fous qui ont tout perdu sauf la raison régentent le monde ? Qu'en est-il des civilités exquises, et dont le ressouvenir lorsqu’elles ont disparu est <em>exquis</em>, précisément comme une douleur ? Qu'en est-il des hommes et des femmes, parqués en des camps rivaux, sans pardon ? Sous quelle protection inventerons-nous le « nouveau corps amoureux » dont parlait Rimbaud ? Nimier écrit vite, pose toutes les questions en même temps, coupe court aux démonstrations, car il sait que tout se tient. Nous perdons ou nous gagnons tout. Nous jouons notre peau et notre âme en même temps. Ce que les Grecs nommaient l'<em>humanitas</em>, et dont Roger Nimier se souvient en parlant de l'élève d'Aristote ou de Plutarque, est, par nature, une chose tant livrée à l'incertitude qu'elle peut tout aussi bien disparaître: « <em>Et si l'on en finissait avec l'humanité ? Et si les os détruits, l'âme envolée, il ne restait que des mots ? Nous aurions le joli recueil de Chamfort, élégante nécropole où des amours de porphyre s'attristent de cette universelle négligence: la mort</em> ».</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Par les mots, vestiges ultimes ou premières promesses, Roger Nimier est requis tout aussi bien par les descriptifs que par les voyants, même si « <em>les descriptifs se recrutent généralement chez les aveugles</em> ». Les descriptifs laisseront des nécropoles, les voyants inventeront, comme l'écrivait Rimbaud « <em>dans une âme et un corps</em> ». Cocteau lui apparaît comme un intercesseur entre les talents du descriptif et des dons du voyant, dont il salue le génie: «<em>Il ne fait aucun usage inconsidéré du cœur et pourtant ses vers ont un caractère assez particulier: ils semblent s'adresser à des humains. Ils ne font pas appel à des passions épaisses, qui s'essoufflent vite, mais aux patientes raisons subtiles. Le battement du sang, et c'est déjà la mort, une guerre, et c'est la terre qui mange ses habitants ».</em>Loin de nous seriner avec le style, qui, s'il ne va pas de soi, n'est plus qu'un morose « travail du texte », Roger Nimier va vers l'expérience, ou, mieux encore, vers l'intime, le secret des êtres et des choses: « <em>Jean Cocteau est entré dans un jardin. Il y a trouvé des symboles. Il les a apprivoisé. »</em></span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Loin du cynisme vulgaire, du ricanement, du nihilisme orné de certains de ses épigones qui donnent en exemple leur vide, qui ne sera jamais celui des montagnes de Wu Wei, Roger Nimier se soucie de la vérité et du cœur, et de ne pas passer à côté de ce qui importe. Quel alexipharmaque à notre temps puritain, machine à détruire les nuances et qui ne connaît que des passions courtes ! Nimier ne passe pas à côté de Joseph Joubert et sait reconnaître en Stephen Hecquet l'humanité essentielle (« <em>quel maître et quel esclave luttant pour la même cause: échapper au néant et courir vers le soleil</em> ») d'un homme qui a « <em>Caton pour Maître et Pétrone pour ami</em>. » Sa nostalgie n'est pas amère; elle se laisse réciter, lorsqu'il parle de Versailles, en vers de La Fontaine: « <em>Jasmin dont un air doux s'exhale/ Fleurs que les vents n'ont su ternir/ Aminte en blancheur vous égale/ Et vous m'en faites souvenir</em> ».</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">On oublie parfois que Roger Nimier est sensible à la sagesse que la vie et les œuvres dispensent « <em>comme un peu d'eau pris à la source</em> ». La quête d'une sagesse discrète, immanente à celui qui la dit, sera son génie tutélaire, son <em>daemon</em>, gardien des subtiles raisons par l'intercession de Scève: « <em>En attendant qu'à dormir me convie/ Le son de l'eau murmurant comme pluie</em> ».</span></p><p lang="" align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Luc-Olivier d'Algange</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-6437743" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/00/01/1514408852.2.jpg" alt="Terre Lucide couv (2).jpg" /></p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlLuc-Olivier d'Algange, notes sur Fernando Pessoa:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-04-03:64365922023-04-03T19:06:59+02:002023-04-03T19:06:59+02:00 Luc-Olivier d’Algange Hétéronymes et « états multiples de...
<p style="text-align: center;"><img id="media-6437229" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/00/02/2384350786.jpg" alt="Pessoa 3.jpg" /></p><p style="text-align: center;" align="CENTER"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 18pt;">Luc-Olivier d’Algange</span></p><h3 class="western" style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 18pt;"><em>Hétéronymes et « états multiples de l’être »</em></span></h3><h4 class="western" style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 18pt;">Notes sur l’œuvre de Fernando Pessoa</span></h4><h5 class="western" style="text-align: center;"> </h5><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Le dessein initiatique de Fernando Pessoa est de donner accès à ce paysage qui, bien qu'il soit à jamais, à l'exemple du poète, « <em>tel qu'en lui-même l'éternité le change</em> », offre des visages multiples. De même que change l'apparence de la mer et des feuillages selon la position du soleil, de même, dans l'œuvre de Fernando Pessoa, change, par l'usage des hétéronymes et en vertu des états multiples de l'être, le sens et l'orientation du poème.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Tout va se jouer dans cette autre conception de l'être et du temps dont la perspective non-utilitaire suffit déjà à nous délivrer des identités fixées par des déterminismes étrangers à la poésie et à la métaphysique. Il suffit que le désir de transmettre un message spirituel prime sur l'utilité de la « communication » pour que nous entrions dans cet espace limpide et incandescent où les « valeurs » du monde moderne ne sont plus que d'imperceptibles écorces de cendre. Le sens d'un poème, alors, s'avère identique, par essence, au sens d'une cathédrale, d'un <em>cairn</em>, d'une rune gravée sur la pierre qui contient l’audace de transcender le temps, la volonté d'abattre Kronos du trait de cette lance de feu que l'on nomme l'Instant. A cette exigence correspondent également une éthique et une esthétique.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">L'initiation n'est pas une formalité. Elle n'est pas le résultat invariable de quelques lectures ou rituels choisis, mais avant tout, pour reprendre le mot de Malraux, le destin d'un « anti-destin », une rébellion, éternisée par l'Instant, contre les déterminismes et les normes profanes qui nous condamnent habituellement à la médiocrité, à la banalité hargneuse ou satisfaite, morne ou fanfaronne. Le monde moderne étant, par définition, un monde subverti (et particulièrement dans ses mœurs les plus bourgeoises), il ne saurait être question d'y prôner ces valeurs d'obéissance, de fidélité, d'enracinement, ou de civisme, qui seraient légitimes dans un ordre traditionnel. L'homme de la Tradition ne saurait obéir au chaos, être fidèle à l'ignorance, s'enraciner dans la parodie ni certes exercer les vertus civiques à l'endroit d'une société qui, à chaque instant, bafoue le Vrai, le Beau et le Bien.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><span lang="fr-FR">Disciple sur une terre traditionnelle, l'homme de la Tradition se voudra, ainsi que l’écrit Fernando Pessoa, « </span><span lang="fr-FR"><em>indisciplineur » </em></span><span lang="fr-FR">dans le monde moderne et bourgeois: « </span><span lang="fr-FR"><em>Le Portugal a besoin d'un indisciplineur... </em></span><em>Travaillons au moins, nous les jeunes, à perturber les âmes, à désorienter les esprits...</em> » Que ceci nous aide à dissiper une fois pour toute l'équivoque issue de l'usage ésotérique ou initiatique du mot <em>Tradition</em>. L'homme de la Tradition sera toujours, à l'égard des morales bourgeoises, travaillistes ou grégaires infiniment plus « libertaire » que ceux-là mêmes qui se revendiquent comme tels. L'initiation commence par une révolte contre l'identité profane, c'est-à-dire, comme l'indique le sens même du mot révolte, par un <em>retour sur soi</em>. L'aventure débute ainsi: il faut rompre les amarres, être fidèle, non aux convenances, mais à l'appel du Grand Large que décrit admirablement l'hétéronyme Alvaro de Campos, dans son <em>Ode maritime</em>:</span></p><p align="JUSTIFY"> </p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><span lang="fr-FR"><strong>« </strong></span><span lang="fr-FR"><em>Mais mon âme est avec ce que je vois le moins</em></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Avec le paquebot qui entre</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Parce qu'il est avec la Distance, avec le Matin</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Avec la signification maritime de cette Heure...</em><strong> »</strong></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Pessoa évoque ainsi, dans une splendide inspiration néoplatonicienne:</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">« <em>Le Grand Quai Antérieur, éternel et divin,-</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><span lang="fr-FR"><em>De quel port? En quelles eaux? </em></span><em>Et pourquoi ainsi ai-je rêvé</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Grand Quai, comme les autres quai, mais l'Unique</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Plein comme eux de silences bruissant dès</em><strong> </strong><em>l'aurore...</em><strong> »</strong></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">L’<em>Idée </em>est très-exactement une chose vue, ainsi que nous l'enseignent Jamblique, Proclus ou Porphyre. Le matin profond de la vision commence le temps sacré, le Grand Départ vers les jardins de la mer, et le vent est soudain annonciateur de la présence invisible, mais indubitable, de l'Ile Verte, refuge des dieux et des héros, qui n'est autre que le Soi:</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">« <em>Plus je sentirai, plus je sentirai en personnes diverses,</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Plus j'aurai de personnalités</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Plus je les aurai avec intensité, avec stridence</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Plus je sentirai simultanément avec elles toutes</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Plus divers dans l'unité, attentif dans la dispersion</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Je sentirai, je vivrai, je serai dans l'Instant et dans mon essence,</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Plus je possèderai l'existence totale de l'univers</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR" style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Plus je serai complet dans l'espace entier</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR" style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Plus je serai analogue à Dieu, quel qu'il soit</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR" style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Parce que, quel qu'Il soit, Lui à coup sûr, est Tout</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Et hors de Lui il n'est que Lui, et tout pour Lui n'est guère.</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Chaque âme est une échelle qui mène à Dieu</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Chaque âme est un corridor-univers qui débouche sur Dieu.</em><strong>.. »</strong></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><span lang="fr-FR">Nul mieux qu'Alvaro de Campos, dans son </span><span lang="fr-FR"><em>Ode Maritime</em></span><span lang="fr-FR">, n'éclaire le sens même du dessein « hétéronymique » de Fernando Pessoa, qui, en aucune façon ne saurait se réduire à quelque jeu littéraire (du genre oulipiste) issu de quelque scepticisme philosophique, de même que l'on ne saurait réduire l'ésotérisme à un vague syncrétisme de croyances religieuses. « </span><span lang="fr-FR"><em>La religion, </em></span><span lang="fr-FR">écrit René Guénon</span><span lang="fr-FR"><em>, considère l'être uniquement dans l'état individuel humain et ne vise aucunement à l'en faire sortir mais au contraire à lui assurer les conditions les plus favorables à cet état même, tandis que l'initiation a essentiellement pour but de dépasser les possibilités de cet état et de rendre effectivement possible le passage aux états supérieurs, et même, finalement, de conduire l'être au-delà de tout état conditionné quel qu'il soit.</em></span><span lang="fr-FR"><strong> » </strong></span><span lang="fr-FR">La fonction de l'acteur, du personnage et du masque s'en trouvent singulièrement éclairée. </span>« <em>L'acteur, </em>écrit encore René Guénon<em>, est un symbole du Soi ou de la personnalité se manifestant par une série indéfinie d'états et de rôles différents, et il faut noter l'importance qu'avait l'usage du masque pour la parfaite exactitude de ce symbolisme.</em><strong> »</strong> Le propre<em> </em>de l'œuvre de Fernando Pessoa étant justement de se manifester « <em>par une multiplicité de noms représentant autant de modalités de l'être </em>», le théâtre spirituel dissimule et divulgue à la fois l'unité du dessein et du message.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Indissolublement liés, l'œuvre et la destinée de Fernando Pessoa semblent ainsi illustrer cet autre propos de René Guénon concernant les noms profanes et les noms initiatiques: « <em>La désignation par un nom profane, même si elle est exacte matériellement, sera toujours entachée de fausseté, à peu près comme le serait la confusion entre un acteur et un personnage dont il joue le rôle et dont on s'obstinerait à lui appliquer le nom dans toutes les circonstances de son existence... On peut aller plus loin: à tous degrés d'initiation effective correspond encore une autre modalité de l'être; celui-ci devra donc recevoir un nom pour chacun de ces degrés.</em><strong> »</strong></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Un nombre considérable d'études se contentent de constater des similitudes symbologiques ou thématiques entre certains textes littéraires et le corpus des écrits dits « ésotériques » sans toutefois s'attacher à préciser la nature de la ressemblance, laquelle peut être d'ordre purement formel, et donc, sans aucune conséquence autre qu'ornementale, ou, au contraire, témoigner d'une <em>expérience de la pensée</em> qui réactualise véritablement l'esprit des Mystères. Il se peut aussi qu'un dessein ou un processus initiatique soient présents en des œuvres qui, par ailleurs, ne portent aucune référence explicite à la Tradition. On pourrait dire que, par définition même, les formes et les références sont toujours d’importance secondaire. <span lang="fr-FR">Ainsi que l'écrit Joao Gaspar Simoes (in </span><span lang="fr-FR"><em>Vida e obra de Fernando Pessoa</em></span><span lang="fr-FR">, qui publié en 1949, fut le premier livre consacré à Pessoa): « </span><span lang="fr-FR"><em>La grandeur de sa poésie ne réside pas tant dans ses extrêmes beautés de forme ou dans ses prodigieuses richesses de contenus, ou dans la complexité de l'âme même du poète qui l'a produite que dans le fait qu'elle se trouve toute entière réellement structurée sur une pensée métaphysique, métaphysique magique, métaphysique occultiste, si l'on veut mais non moins révélatrice, pour autant, d'une conscience qui vécut en communion avec l'insondable mystère.</em></span><span lang="fr-FR"><strong> »</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">De même que la rigueur, qui tranche de façon systématique et puritaine, s'oppose à l'exactitude, qui discerne et respecte les nuances, de même les convenances, les conformismes et les fondamentalismes sont les ennemis de la Tradition. L'uniformité est la parodie et l'ennemie de l'unité. La théorie du corps des couleurs d'Oswald (que cite à juste escient l'auteur anonyme des <em>Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot</em>) éclaire cette idée. Ce corps de couleur est constitué de deux cônes et donc de deux pôles et d'un équateur. Le pôle « nord » est le pôle blanc, synthèse de toutes les couleurs. La lumière blanche se différencie de plus en plus à mesure qu'elle descend vers l'équateur. Les mêmes couleurs, en continuant leur descente de l'équateur vers le pôle sud perdent progressivement leurs distinctions, s'obscurcissent et deviennent toutes également noires. Le pôle blanc est la synthèse, le pôle noir la confusion de toutes les couleurs. Or, ce point lumineux de synthèse transcendante (qui correspond à l<em>'En-Sof</em> de l'Arbre séphirotique) se retrouve dans tous les ordres de la pensée et du monde. Il est, en quelque sorte, la clef de voûte de toute herméneutique du Livre et du monde. Ainsi, l'idée de Tradition primordiale correspond de toute évidence au pôle blanc alors que l'universalisme moderne, qui réduit tous les hommes au plus petit dénominateur commun, correspond au pôle noir. En tout ce qui concerne l'initiation et les sciences traditionnelles, voire les questions métapolitiques, il importe de garder présente à l'esprit cette distinction, sous peine de lâcher la proie pour l'ombre et se laisser abuser par des contrefaçons, les totalitarismes uniformisateurs s'opposant ici à l'unificence impériale. <span lang="fr-FR">Aussi bien ne s'étonnera-t-on pas de trouver l'idée d'Empire au cœur même de la pensée de Fernando Pessoa dont l'œuvre, il faut le redire, ne vise point à charmer les loisirs mais se propose comme un instrument de </span><span lang="fr-FR"><em>transmutation de l'entendement.</em></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">« <em>Tout Empire, </em>écrit Fernando Pessoa<em>, qui n'est pas fondé, sur un impérialisme spirituel est un cadavre régnant, une Mort sur un trône. </em><span lang="fr-FR"><em>Seule une petite nation peut véritablement réaliser un Empire</em></span><span lang="fr-FR"><em> </em></span><span lang="fr-FR"><em>Spirituel car en elle la croissance d'un idéal national ne saurait susciter nulle tentative d'annexion territoriale qui finirait par adultérer son impérialisme psychique initial et le détourner de son destin spirituel.</em></span><span lang="fr-FR"><strong> »</strong></span><span lang="fr-FR"> L'idée d'Empire pose ainsi la question de l'au-delà et de l'en-deçà de l'individualisme. </span>« <em>L'individu, c'est la masse</em><strong> »</strong> écrivait Ernst Jünger, s'en prenant à cet individualisme bourgeois où chaque individu se trouve uniformisé par un même idéal de réussite sociale et de confort matériel. <span lang="fr-FR">Ce pourquoi, les prétendues élites du monde moderne, technocratiques ou financières, pas davantage que les masses ne sauraient prétendre à donner une orientation à nos destinées. </span>Or, tel est le magnanime pressentiment de Fernando Pessoa: de la destruction nuptiale des identités naîtront de nouveaux règnes.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Au pôle transcendantal de l'unique souveraineté de l'Esprit s'oppose donc la sinistre parodie des « identités » soumises à un « ordre moral » que les classes dominantes, aussi bien que les subalternes, s'accorderaient à faire régner au détriment des poètes, des esthètes, des mystiques et des hommes de connaissance. On devine ainsi de quelles nostalgies et de quels pressentiments s'éclaire le dessein initiatique de Fernando Pessoa, ce dessein qui débute avant la page écrite et s'achève après elle en des oeuvres vives, ardentes, que l'on peut dire philosophales. En refusant, par le jeu des hétéronymes, le romantisme inférieur de l'individualisme psychologique, l'œuvre polyphonique de Pessoa entre d'emblée dans cette « impersonnalité active » condition impérieuse de l’expérimentation des états multiples de l'être. Comparable à l'Arbre séphirotique de la Kabbale, l'arbre généalogique des hétéronymes de Fernando Pessoa, avec ses colonnes de Clémence et de Rigueur, et ses stations opératoires que surplombe l’<em>En-Sof</em> (l'infini souverain d'où procèdent toutes les couleurs et toutes les valeurs sensibles ou intellectuelles), nous laisse entrevoir une anthropologie radicalement différente de celle de l'humanisme moderne. <span lang="fr-FR">Encore faut-il, pour ne pas rester dans le vague, se familiariser quelque peu avec </span><span lang="fr-FR"><em>la pensée par analogie </em></span><span lang="fr-FR">dont on peut dire qu'elle œuvre sur les qualités alors que la pensée par déduction travaille sur les quantités. </span>« <em>De même, </em>écrit Fernando Pessoa<em>, que l'intelligence dialectique, que l'on nomme raison, régente et ordonne tous les éléments de la connaissance scientifique, de même l'intelligence analogique, qui n'a aucun nom particulier, régente et ordonne tous les éléments de la connaissance occulte. La perfection de l'œuvre matérielle est un tout parfaitement constitué dans lequel chaque partie a sa place et concourt selon son mode et son grade à la formation de ce tout; la perfection de l'œuvre spirituelle est l'exacte correspondance entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'âme et le corps, de telle sorte que la connaissance de l'un englobe la connaissance de l'autre. Dans le Grand Oeuvre, le métal préparé selon la raison pour devenir l'or, perfection de la matière, doit, dans le même acte, être préparé selon l'Analogie pour devenir l'Or Spirituel symbolisé. Dans ces quelques mots réside ce qui fait l'intime distinction entre la production artificielle de l'or par l'alchimie et cette même production par la science. </em><span lang="fr-FR"><em>Dans les deux cas l'or matériel sera identique en tant que matière, mais l'or produit par la science ne sera rien de plus que de l'or, puisque dans la fabrication de celui-ci elle ne visait qu'à produire de l'or, tandis que l'Or produit par l'alchimie sera beaucoup plus que de l'or, puisque dans la fabrication de celui-ci elle cherchait non seulement à produire de l'or mais aussi le secret de l'or</em></span><span lang="fr-FR"><strong>. »</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Ce <em>secret d'Or</em> est le dessein de l'œuvre, sa vie intime, ardente, inextinguible. Le refus de l'ésotérisme n'est souvent que la haine du secret. Cette haine, comme le soulignait René Guénon dans ses <em>Aperçus sur l'Initiation </em>est un trait caractéristique de l'homme moderne. A cette haine du secret s'ajoute la haine de l'élite, présumée défendre jalousement ces secrets. La vérité est tout autre. Le secret initiatique n'est pas un secret bancaire. Secret <em>par nature</em> et non par convention, il relève du secret de l'Art, voire du secret de la jouissance du l'Art. A l'homme dépourvu de toute sensibilité musicale, <em>l'Art de la fugue</em> de Bach demeurera secrète; l'accès de cette beauté lui sera à jamais défendue, non par une volonté délibérée mais par la nature même de l'œuvre. Sans doute la haine du secret n'est-elle rien d'autre que la haine du Sens et du Sacré. Le Sens s'oppose à l'insignifiance comme l'ordre s'oppose au chaos. Séparé de l'insignifiance, pourvu de limites précises et claires, le Sens est retranché, secret. Il ne s'en révèle pas moins à notre conscience par un geste où la divulgation extérieure se confond à la réminiscence intérieure. La naissance du Sens est dévoilement, <em>anamnèse</em>. Elle nous donne accès à la « <em>conscience de la conscience</em> », où le Soleil du soleil<em> </em>s'exhausse des ténèbres antérieures, conscience aurorale et aurifère.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Ainsi, à la haine du secret Pessoa oppose un <em>amour du secret</em> qui serait d'abord un amour de la nuance, de la variation, de la transition infime, presque imperceptible, subtile. L'attente contemplative, l'ardente veillée précède les Retrouvailles du visible et de l'Invisible. <em>« L'acte même de la foi, </em>écrit Frithjof Schuon<em>, est le souvenir de Dieu. Or se souvenir en latin est recordare, c'est-à-dire re-cordare, ce qui évoque un retour au cœur, cor. L'acte d'oraison, en tant qu'acte de foi actualise en effet la certitude immanente et quasi-paraclétique; le cœur est la foi immanente et incréée, il coïncide avec cette grâce naturellement surnaturelle qu'est l'Intellection. Le mystère de la certitude, c'est notre consubstantialité avec tout le connaissable, avec tout ce qui est</em><strong>. » </strong>Art hiératique, fidèle au dessein initiatique, la poésie, à la fois royale et sacerdotale, dépassera ainsi les dualités connues. L'archaïsme ingénu d'Alberto Caiero et le futurisme savant d'Alvaro de Campos, témoignent que, pour Pessoa, l'antérieur est la fleur ultime de l'ultérieur. « <em>Inventons, </em>écrivait Pessoa<em>, un Impérialisme androgyne réunissant qualités masculines et féminines; un impérialisme nourri de toutes les subtilités féminines et de toutes les forces de structuration masculines</em><strong>. »</strong> Soit un Empire à l'image exacte du <em>rebis </em>alchimique, irisé d'une fulgurance apollinienne.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Le grand songe du Cinquième Empire fut, pour Fernando Pessoa, à n'en pas douter, la seule vision possible de l'avenir: <em>« L'avenir du Portugal que je n'imagine pas mais que je sais est déjà écrit, pour qui sait lire, dans les strophes de Bandara et dans les quatrains de Nostradamus. Cet avenir c'est d'être tout. Qui donc, s'il est portugais, peut vivre dans l'étroitesse d'une seule personnalité, d'une seule nation, d'une seule foi ?</em> » Qu'advienne enfin cet impérialisme des poètes ! <span lang="fr-FR">« </span><span lang="fr-FR"><em>Absorbons tous les dieux, nous avons déjà conquis la Mer, il ne reste qu'à conquérir le Ciel,</em></span><span lang="fr-FR"> en laissant aux autres, la terre. </span><span lang="fr-FR"><strong>»</strong></span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><span lang="fr-FR">Luc-Olivier d'Algange</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><span lang="fr-FR">Extrait<strong> </strong>de<strong> L'Ame secrète de L'Europe, </strong>éditions de L'Harmattan, collection Théôria. </span></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-6437230" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/00/00/1692548668.jpg" alt="L'Ame secrète.jpg" /></p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlLuc-Olivier d'Algange, Léon Bloy l'Intempestif, suivi d'une traduction en espagnol:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-03-26:64352052023-03-26T19:49:41+02:002023-03-26T19:49:41+02:00 Luc-Olivier d’Algange Léon Bloy l'Intempestif...
<p align="CENTER"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-6435197" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/01/01/3729874305.jpg" alt="Léon.jpg" /></p><p align="CENTER"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 18pt;">Luc-Olivier d’Algange</span></p><p align="CENTER"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 24pt;"><strong>Léon Bloy l'Intempestif</strong></span></p><p align="CENTER"> </p><p align="CENTER"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>« Il est indispensable que la Vérité soit dans la Gloire. »</em></span></p><p align="CENTER"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Léon Bloy</span></p><p align="JUSTIFY"> </p><p align="JUSTIFY"> </p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">A mesure que les années passent, avec une feinte ressemblance dans leur cours de plus en plus désastreux depuis la première parution du Journal de Léon Bloy, l'écart n'a cessé de se creuser entre ceux qui entendent cette parole furibonde et ceux qui n'y entendent rien. Certes, on ne saurait s'attendre à ce que les rééditions des œuvres de Léon Bloy fussent accueillies comme des événements ou des révélations par un milieu « culturel » qui ne cesse de donner les preuves de sa soumission à l'Opinion, de son aveuglement et de son mépris pour toute forme de pensée originale. Une sourde hostilité est la règle et je lisais encore des jours-ci un folliculaire récriminant contre « <em>le douloureux labyrinthe narcissique</em> » que serait à ses yeux le Journal de Léon Bloy. Certes, labyrinthiques et préoccupés de l'Auteur, tous les journaux le sont par définition, mais au contraire du fastidieux et potinier Journal de Léautaud, devant lequel maints critiques modernes pratiquèrent une ostensible génuflexion, le Journal de Bloy est d'une vivacité électrique. L'humour ravageur, les flambées de colère, les fulgurantes intuitions mystiques, un style d'une densité et d'une musicalité prodigieuse font de ce Journal un chef d'œuvre de la forme brève, aphoristique ou illuminative. Que lui vaut donc cette disgrâce où nous le voyons ? Sans doute la pensée qui s'y affirme et s'y précise sous la forme d'une critique radicale du monde moderne, dans la lignée de Barbey d'Aurevilly et de Villiers de L'Isle-Adam.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">« <em>Tout ce qui est moderne est du démon »,</em> écrit Léon Bloy, le 7 Août 1910. C'était, il nous semble, bien avant les guerres mondiales, les bombes atomiques et les catastrophes nucléaires, les camps de concentration, les manipulations génétiques et le totalitarisme cybernétique. En 1910, Léon Bloy pouvait passer pour un extravagant; désormais ses aperçus, comme ceux du génial Villiers de L’Isle-Adam des <em>Contes Cruels</em>, sont d'une pertinence troublante. L'écart se creuse, et il se creuse bien, entre ceux qui somnolent à côté de leur temps et ne comprennent rien à ses épreuves et à ses horreurs, et ceux-là qui, à l'exemple de Léon Bloy vivent au cœur de leur temps si exactement qu'ils touchent ce point de non-retour où le temps est compris, jugé et dépassé. Léon Bloy écrit dans l'attente de l'Apocalypse. Tous ces événements, singuliers ou caractéristiques qui adviennent dans une temporalité en apparence profane, Léon Bloy les analyse dans une perspective sacrée. L'histoire visible, que Léon Bloy est loin de méconnaître, n'est pour lui que l'écho d'une histoire invisible. « <em>Tout n'est qu'apparence, tout n'est que symbole, </em>écrit Léon Bloy.<em> Nous sommes des dormants qui crient dans leur sommeil. Nous ne pouvons jamais savoir si telle chose qui nous afflige n'est pas le principe de notre joie ultérieure. »</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Cette perspective symbolique est la plus étrangère qui soit à la mentalité moderne. Pour le Moderne, le temps et l'histoire se réduisent à ce qu'ils paraissent être. Pour Bloy, le temps n'est, comme pour Platon et la Théologie médiévale, que « <em>l'image mobile de l'éternité</em> » et l'histoire délivre un message qu'il appartient à l'écrivain-prophète de déchiffrer et de divulguer à ses semblables. Pour Léon Bloy, le Journal, loin de se borner à la description psychologique de son auteur a pour dessein de consigner les « signes » et les « intersignes » de l'histoire visible et invisible afin de favoriser le retour du temps dans la structure souveraine de l'éternité.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Pour Léon Bloy, qui se définit lui-même comme<em> « un esprit intuitif et d'aperception lointaine, par conséquent toujours aspiré en deçà ou au-delà du temps »</em>, la fonction de l'auteur écrivant son journal n'est pas de se soumettre à l'aléa de la temporalité, du passager ou du fugitif, mais tout au contraire « <em>d'envelopper d'un regard unique la multitude infinie des gestes concomitants de la Providence »</em>. Le Journal, - tout en marquant le pas, en laissant retentir en soi, et dans l'âme du lecteur ami, la souffrance ou la joie, plus rare, de chaque jour, les « nouveautés » menues ou grandioses du monde, ne s'inscrit pas moins dans une rébellion contre le fragmentaire, le relatif ou l'éphémère. Ce Journal, et c'est en quoi il décontenance un lecteur moderne, n'a d'autre dessein que de déchiffrer la <em>grammaire de Dieu</em>.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Là où le Moderne ne distingue que des vocables sans suite, de purs signes arbitraires, Léon Bloy devine une cohérence éblouissante, et, par certains égards, vertigineuse et terrifiante. Léon Bloy n'est pas de ces dévots qui trouvent dans la foi et dans l'Eglise de quoi se rassurer. Ces dévots modernes, bourgeois au sens flaubertien, Léon Bloy les fustige ainsi que la<em> « société sans grandeur ni force »</em> dont ils sont les défenseurs. Il est fort improbable, quoiqu'en disent les journaleux peu informés qui voient en Bloy un « intégriste », que l'auteur du <em>Désespéré</em> et de <em>La Femme Pauvre</em> se fût retrouvé du côté de nos actuels, trop actuels « défenseurs des valeurs », moralisateurs sans envergure ni générosité,- et par voie de conséquence, sans le moindre sens de la rébellion. Or s'il est un mot qui qualifie avec précision la tournure d'esprit de cet homme de Tradition, c'est<em> rebelle</em> !</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Pour Léon Bloy, quel que soit par moment son harassement, le combat n'est pas fini, il y retourne, chaque jour est le moment décisif d'une guerre sainte. Léon Bloy est un moine-soldat qui va son chemin d'écrivain, non sans donner ici et là quelques coups de massue, pour reprendre la formule évolienne. Ainsi le sport, objet, depuis peu, d'un nouveau culte national est-il, pour Léon Bloy « <em>le moyen le plus sûr de produire une génération d'infirmes et de crétins malfaisants</em> ». Quant à la Démocratie, bien vantée, elle lui suggère cette réflexion : « <em>Un des inconvénients les moins observés du suffrage universel, c'est de contraindre des citoyens en putréfaction à sortir de leurs sépulcres pour élire ou pour être élus. »</em> Cette outrance verbale dissimule souvent une intuition. Tout, dans ce monde planifié, ne conjure-t-il pas à faire de nous une race de morts-vivants, réduits à la survie, dans une radicale dépossession spirituelle. Que sont les Modernes devant leurs écrans ? Quel songe de mort les hante ? Les rêveries du Moderne ne sont-elles pas avant tout macabres ? Non, la religion de Léon Bloy n'est pas faite pour les « tièdes ». C'est une religion pour ceux qui ressentent les grandes froidures et qui attendent l'embrasement des âmes et des esprits. Le modèle littéraire de Léon Bloy ce sont les langues de feu de la Pentecôte.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Léon Bloy s'est nommé lui-même « <em>Le Pèlerin de l'Absolu »</em>. Chaque jour qui advient, et que l'auteur traverse comme une nouvelle épreuve où se forge son courage et son style, le rapproche du moment crucial où apparaîtront dans une lumière parfaite la concordance de l'histoire visible et de l'histoire invisible. Cette quête que Léon Bloy partage avec Joseph de Maistre et Balzac le conduit à une vision du monde littéralement liturgique. L'histoire de l'univers, comme celle de l'auteur esseulé dans son malheur et dans son combat, est<em> « un immense Texte liturgique. »</em> Les Symboles, ces « <em>hiéroglyphes divins »,</em> corroborent la réalité où ils s'inscrivent, de même que les actes humains sont « <em>la syntaxe infinie d'un livre insoupçonné et plein de mystères. »</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Cette vision symbolique et théologique du monde en tant que Mystère limpide, c'est à dire offert à l'illumination<em> (« l'illumination, lieu d'embarquement de tout enseignement théologique et mystique »)</em> est à la fois la cause majeure de l'éloignement de l'œuvre de Léon Bloy et le principe de sa proximité extrême. Pour le moderne, la « folie » de Léon Bloy n'est pas dans sa véhémence, ni dans son lyrisme polémique, mais bien dans cette vision métaphysique et surnaturelle des destinées humaines et universelles. Pour Léon Bloy, qui n'est point hégélien, et qui va jusqu'à taquiner Villiers pour son hégélianisme « magique », les contraires s'embrassent et s'étreignent avec fougue. La nature porte la marque de la Surnature, mais par un vide qui serait l'empreinte du Sceau. De même, l'extrême pauvreté engendre le style le plus fastueux. C'est précisément car l'écrivain est pauvre que son style doit témoigner de la plus exubérante richesse. La pauvreté matérielle est ce vide qui laisse sa place à la dispendieuse nature poétique. Car la pauvreté, pour Bloy, n'est pas le fait du hasard, elle est la preuve d'une élection, elle est le signe visible d'un privilège invisible qu'il appartient à l'Auteur de célébrer somptueusement. La richesse verbale de Léon Bloy est toute entière un hommage à la pauvreté, à sa profondeur lumineuse, à la grâce qu'elle fait à la générosité de se manifester. Celui qui donne se sauve. Le mendiant peut donc, à bon droit être « ingrat ». Son ingratitude rédime celui qui pourrait s'en offenser. Mais qu'est-ce qu'un pauvre, dans la perspective métaphysique ? C'est avant tout celui qui récuse par avance toute vénalité. Or qu'est-ce que le monde moderne si ce n'est un monde qui fait de la vénalité même un principe moral, une cause efficiente du Bien et « des biens » ? Pour le Moderne, celui qui parvient à se vendre prouve son utilité dans la société et donc sa valeur morale. Celui qui ne parvient pas, ou, pire, qui ne veut pas se vendre est immoral.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Contre ce sinistre état de fait, qui pervertit l'esprit humain, l'œuvre de Léon Bloy dresse un grandiose et intarissable réquisitoire. Or, c'est bien ce réquisitoire que les Modernes ne veulent pas entendre et qu'ils cherchent à minimiser en le réduisant à la « singularité » de l'auteur. Certes Léon Bloy est singulier, mais c'est d'abord parce qu'il se veut religieusement « un Unique pour un Unique ». La situation dans laquelle il se trouve enchaîné n'en est pas moins réelle et la description qu'il en donne particulièrement pertinente en ces temps où face à la marchandise mondiale le Pauvre est devenu encore beaucoup plus radicalement pauvre qu'il ne l'était au dix-neuvième siècle. La morale désormais se confond avec le Marché, et l'on pourrait presque dire que, pour le Moderne libéral, la notion d'immoralité et celle de non-rentabilité ne font plus qu'une. Refuser ce règne de l'économie, c'est à coup sûr être ou devenir pauvre et accueillir en soi les gloires du Saint-Esprit, dont la nature dispensatrice, effusive et lumineuse ne connaît point de limite.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Contre le monde moderne, Léon Bloy ne convoque point des utopies sociales, ni même un retour au « religieux » ou à quelque manifestation « révolutionnaire » ou « contre-révolutionnaire » de la puissance temporelle. Contre ce monde, « <em>qui est du démon</em> », Léon Bloy évoque le Saint-Esprit, au point que certains critiques ont cru voir en lui un de ces mystiques du « troisième Règne », qui prophétisent après le règne du Père, et le règne du Fils, la venue d'un règne du Saint-Esprit coïncidant avec un retour de l'Age d'Or. Lorsqu'un véritable écrivain s'empare d'une vision dont la justesse foudroie, peu importent les terminologies. Sa vision le précède, elle n'en précède que mieux les interprétations historiographiques.<em> « Aussi longtemps que le Surnaturel n'apparaîtra pas manifestement, incontestablement, délicieusement, il n'y aura rien de fait. »</em></span></p><p style="padding-left: 40px; text-align: center;" align="JUSTIFY"> </p><table><tbody><tr><td> </td></tr><tr><td> </td></tr></tbody></table><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 18pt;"><strong>Léon Bloy, el Extemporáneo</strong></span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">“Es indispensable que la Verdad esté en la Gloria.” Léon Bloy.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">“Todo lo moderno pertenece al demonio”, escribe Léon Bloy el 7 de agosto de 1910. Fue, según nos parece, mucho antes de las guerras mundiales, las bombas atómicas y las catástrofes nucleares, los campos de concentración, las manipulaciones genéticas y el totalitarismo cibernético. En 1910, a Léon Bloy se lo podía tomar por un extravagante; hoy en día sus vislumbres, como los del genial Villiers de L’Isle-Adam de los <em>Cuentos crueles,</em> son de una pertinencia turbadora. Aumenta, y cada vez más, la distancia entre los que dormitan al margen de su época y no comprenden nada de las pruebas y los horrores a los que nos somete, y los que, a ejemplo de Léon Bloy, viven tan precisamente en el centro mismo de su época que alcanzan ese punto de no retorno en el que se la comprende, se la juzga y se la supera. Léon Bloy escribe a la espera del Apocalipsis. Todos esos acontecimientos, singulares o característicos, que se producen en una temporalidad aparentemente profana, Léon Bloy los analiza en una perspectiva sagrada. La historia visible, que Léon Bloy está lejos de desconocer, sólo es para él el eco de una historia invisible.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">“Todo es pura apariencia, todo es puro símbolo”, escribe Léon Bloy. “Somos durmientes que gritan durante el sueño. Nunca podemos sabes si algo que nos aflige no es el principio de nuestra dicha ulterior.”</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Esta perspectiva simbólica es la más ajena posible a la mentalidad moderna. Para el Moderno, el tiempo y la historia se reducen a lo que parecen ser. Para Bloy, el tiempo sólo es, como para Platón y la teología medieval, “la imagen móvil de la eternidad”, y la historia comunica un mensaje que al escritor-profeta le toca descifrar y divulgar entre sus semejantes. Para Léon Bloy, el <em>Diario</em>, lejos de limitarse a la descripción psicológica de su autor, tiene por objetivo el de dejar registrados los “signos” y los “intersignos” de la historia visible e invisible, a fin de favorecer el retorno del tiempo en la estructura soberana de la eternidad.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Para Léon Bloy, que se define a sí mismo como “un espíritu intuitivo y de apercepción lejana, y, por consiguiente, siempre arrastrado más acá o más allá del tiempo”, la función del autor al escribir su diario no es la de someterse a la temporalidad fugitiva sino, muy por el contrario, la de “abarcar con una mirada única la multitud infinita de los gestos concomitantes de la Providencia”. El <em>Diario</em> —al mismo tiempo que marca el paso, dejando resonar en sí mismo, y en el alma del lector amigo, el sufrimiento o la dicha, menos frecuente, de cada día, las “novedades” modestas o grandiosas del mundo— no deja de inscribirse en una rebelión contra lo fragmentario, lo relativo o lo efímero. Este <em>Diario</em>, que en esto desconcierta a un lector moderno, no tiene otra finalidad que la de descifrar la gramática de Dios.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Allí donde el Moderno sólo distingue vocablos inconexos, puros signos arbitrarios, Léon Bloy intuye una coherencia deslumbrante y, en ciertos aspectos, vertiginosa y aterradora. Léon Bloy no es uno de esos devotos que encuentran en la fe y en la iglesia con qué tranquilizarse. A esos devotos modernos, burgueses en el sentido de Flaubert, Léon Bloy los fustiga al igual que a la “sociedad sin grandeza ni fuerza” que defienden. Es altamente improbable, digan lo que digan los periodistuchos poco informados que ven en Bloy a un “integrista”, que el autor de <em>El desesperado</em> y de <em>La mujer pobre</em> hubiese estado en el mismo campo de nuestros actuales, demasiado actuales “defensores de los valores”, moralizadores sin envergadura ni generosidad —y, por consiguiente, sin el menor sentido de la rebelión. Ahora bien, si hay una palabra que define con precisión la mentalidad de este hombre de Tradición, esta palabra es “rebelde”.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Para Léon Bloy, por más extenuado que esté por momentos, el combate no ha terminado, vuelve a él, cada día es el momento decisivo de una guerra santa. Léon Bloy es un monje soldado que sigue su camino de escritor, no sin dar acá y allá algunos mazazos, para emplear la expresión de Julius Evola. Así es como el deporte, objeto, desde hace poco, de un nuevo culto nacional, es para Léon Bloy “el medio más seguro de producir una generación de inválidos y de cretinos dañinos”. En cuanto a la Democracia, tan ensalzada, le sugiere esta reflexión: “Uno de los inconvenientes menos observados del sufragio universal es el hecho de obligar a ciudadanos en estado de putrefacción a salir de su sepulcros para elegir o ser elegidos”. Esta desmesura verbal a menudo disimula una intuición. ¿Acaso no conspira todo, en este mundo planificado, para hacer de nosotros una raza de muertos vivos, reducidos a sobrevivir en una radical desposesión espiritual? ¿Qué son los Modernos delante de sus pantallas? ¿Qué sueño de muerte los posee? ¿Las Ensoñaciones del Moderno no son, ante todo, macabras? No, la religión de Léon Bloy no está hecha para los “tibios”. Es una religión para quienes sienten los grandes fríos y esperan el incendio de las almas y los espíritus. El modelo literario de Léon Bloy son las lenguas de fuego de Pentecostés.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Léon Bloy se llamó a sí mismo “El Peregrino del Absoluto”. Cada día que llega, y que el autor atraviesa como una nueva prueba en que se templan su coraje y su estilo, lo acerca al momento crucial en que aparecerán con perfecta claridad la concordancia entre la historia visible y la historia invisible. Esta búsqueda, que Léon Bloy comparte con Joseph de Maistre y Balzac, lo conduce a una visión del mundo literalmente litúrgica. La historia del universo, tanto como la del autor aislado en su desdicha y en su combate, es “un inmenso Texto litúrgico”. Los Símbolos, esos “jeroglíficos divinos”, corroboran la realidad en que se inscriben, así como los actos humanos son “la sintaxis infinita de un libro insospechado y lleno de misterios”.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Esta visión simbólica y teológica del mundo como Misterio límpido, es decir, alcanzable por la iluminación (“la iluminación, punto de embarque de toda enseñanza teológica y mística”), es, al mismo tiempo, la causa principal de lo alejado de la obra de Léon Bloy y el principio de su cercanía extrema. Para el moderno, la “locura” de Léon Bloy no reside en su vehemencia ni en su lirismo polémico, sino precisamente en esta visión metafísica y sobrenatural de los destinos humanos y universales. Para Léon Bloy, que no es en absoluto hegeliano, y que hasta llega a burlarse de Villiers de l’Isle-Adam por su hegelianismo “mágico”, los contrarios se abrazan y se estrechan con ardor. La naturaleza tiene la impronta de la Sobrenaturaleza, pero por medio de un vacío que fuese la marca del Sello. De igual modo, la extrema pobreza engendra el estilo más fastuoso. Es precisamente porque el escritor es pobre por lo que su estilo debe dar testimonio de la riqueza más exuberante. La pobreza material es el vacío que le cede el lugar a la dispendiosa naturaleza poética. Ya que la pobreza, para Bloy, no es el resultado del azar: es la prueba de una elección, es el signo visible de un privilegio invisible que le incumbe al Autor celebrar suntuosamente.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">La riqueza verbal de Léon Bloy es toda ella un homenaje a la pobreza, a su profundidad luminosa, al favor que le hace a la generosidad permitiéndole manifestarse. El que da, se salva. El mendigo puede entonces, con toda razón, ser “ingrato”. Su ingratitud redime al que podría tomarla como una ofensa. Pero ¿qué es un pobre, en la perspectiva metafísica? Es, ante todo, aquél que rechaza de antemano toda venalidad. Ahora bien, ¿qué es el mundo moderno sino un mundo que hace de la venalidad misma un principio moral, una causa eficiente del Bien y de “los bienes”? Para el Moderno, el que logra venderse prueba su utilidad en la sociedad y, por lo tanto, su valor moral. El que no logra o, peor aún, no quiere venderse, es inmoral.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Contra esta siniestra situación de hecho, que pervierte el espíritu humano, la obra de Léon Bloy lanza una grandiosa e inagotable acusación. Ahora bien, es precisamente esta acusación lo que los Modernos no quieren oír y tratan de minimizar, reduciéndola a la “singularidad” del autor. Por cierto, Léon Bloy es singular, pero esto es, en primer término, porque elige ser, religiosamente, “un Único para un Único”. La situación en que se encuentra encadenado no es por esto menos real, y la descripción que da de ella es particularmente pertinente en estos tiempos en que, ante la mercancía mundial, el Pobre se ha vuelto aún mucho más radicalmente pobre de lo que lo era en el siglo XIX. La moral, ahora, se confunde con el Mercado, y casi podríamos decir que, para el Moderno liberal, la noción de inmoralidad y la de no rentabilidad no son más que una y la misma. Rechazar este reino de la economía es, con toda seguridad, ser o volverse pobre, y acoger en uno mismo las glorias del Espíritu Santo, cuya naturaleza dispensadora, efusiva y luminosa no conoce límite alguno.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Contra el mundo moderno, Léon Bloy no llama a ninguna utopía social, ni siquiera a un regreso a lo “religioso” o a alguna manifestación “revolucionaria” o “contrarrevolucionaria” del poder temporal. Contra este mundo, “que pertenece al demonio”, Léon Bloy invoca al Espíritu Santo, hasta el punto de que algunos críticos han creído ver en él a uno de esos místicos del “Tercer Reino” que profetizan, para después del Reino del Padre y del Reino del Hijo, el advenimiento de un reino del Espíritu Santo que coincidirá con un retorno a la Edad de Oro. Cuando un auténtico escritor se apodera de una visión de exactitud fulminante, poco importan las terminologías. Su visión le precede y, por lo mismo, mejor aún precede a las interpretaciones historiográficas. “Mientras lo Sobrenatural no se muestre de modo manifiesto, indiscutible, delicioso, nada estará hecho.”</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Traducción de <a href="http://literaturafrancesatraducciones.blogspot.com.ar/search/label/Carlos%20C%C3%A1mara">Carlos Cámara</a> y <a href="http://literaturafrancesatraducciones.blogspot.com.ar/search/label/Miguel%20%C3%81ngel%20Front%C3%A1n">Miguel Ángel Frontán</a>.</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-6435199" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/00/02/1514408852.2.jpg" alt="Terre Lucide couv (2).jpg" /></p>
Cahiers de la Déliehttp://cahiersdeladelie.hautetfort.com/about.htmlLuc-Olivier d'Algange, Maurice Magre, fidèle de Mélusine:tag:cahiersdeladelie.hautetfort.com,2023-03-19:64339782023-03-19T21:52:29+01:002023-03-19T21:52:29+01:00 Luc-Olivier d'Algange Maurice Magre, fidèle de...
<h1 class="western" style="text-align: center;"> </h1><p style="text-align: center;"><img id="media-6433464" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://cahiersdeladelie.hautetfort.com/media/01/02/1019630870.jpg" alt="Magre Bataille (1).jpg" /></p><h1 class="western" style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 24pt;"><strong>Luc-Olivier d'Algange</strong></span></h1><h1 class="western" style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 24pt;"><em>Maurice Magre, fidèle de Mélusine</em></span></h1><p style="text-align: center;" align="JUSTIFY"> </p><p align="CENTER"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>« Je percevais dans l’air des forces en suspens »</em></span></p><p align="CENTER"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Maurice MAGRE</span></p><p align="CENTER"> </p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">De Maurice Magre, on serait tenté de dire, les oxymores seuls pouvant définir les êtres <em>entiers</em>, qu’il fut un hédoniste spiritualiste (ou un spiritualiste hédoniste), espèce qui fut moins rare jadis que naguère et qui devient, par les temps qui courent, rarissime. De nos jours, les spiritualistes sont, en général, d’austères pions et les hédonistes, des gorilles. Il demeure cependant dans nos civilisations, et ailleurs, de merveilleux dispositifs, tels que la philosophie plotinienne ou le premier Romantisme allemand, celui de Schlegel ou de Novalis, conjuguant le frémissement sensible et l’ardeur de la connaissance, le bouleversement à fleur de peau et l’audace à franchir « <em>les portes de corne et d’ivoire qui nous séparent du monde invisible </em>» (Nerval)</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Avant de désirer la vie éternelle, à laquelle Maurice Magre croyait en toute liberté, c’est-à-dire en dehors de tous les dogmes, encore faut-il, selon la formule de Pindare, traduite par Valéry, « <em>épuiser le champ du possible</em> ». Cette vie si passagère, si troublée, si incertaine que nous traversons est un appel à la plénitude, une convocation, ainsi que l’écrivait Montaigne, à <em>« jouir loyalement de son être</em> ». Or, nos temps sont à la restriction ; ils ne supportent plus ces alliances subtiles, ces noces philosophales entre le souffre et le mercure, la volupté et la sagesse, entre ce qui flambe dans les hauteurs et disparaît et ce qui roule et se divise dans le miroitement de l’immanence.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Le puritanisme s’est substitué aux ascèses et la pornographie aux jeux de l’Eros : triomphe de la marchandise sur la gratuité heureuse qui n’est autre que la part divine dans un monde humain, trop humain. Maurice Magre célèbre ainsi d’un même mouvement l’ascèse et le plaisir, la quête d’une transcendance, d’un Idéal, et le consentement à la beauté féminine, la recherche de la grandeur et l’amour des humbles. Son sens du grand art, subtil et savant, ne lui interdit pas de faire sienne la juste revendication des pauvres. Ses premières œuvres, comme la <em>Prière au Soleil</em> appartiennent à la tradition du socialisme français, d’inspiration libertaire, unanimiste et païenne :</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">« <em>Un esprit Fraternel frémissait dans chaque herbe ;</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Les Vieux arbres avaient des voix d’êtres aimés ;</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Et nous sentions le soir assis parmi les gerbes</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>La poussière des morts mêlée au sol sacré</em>. »</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Proche, à cet égard, de Péguy, Maurice Magre sut dire, au-delà de l’éminente dignité des pauvre, « <em>l’éminente pauvreté des dignes »</em>, dont il fut l’un des premiers : « <em>J’ai voulu écrire la chanson des hommes d’aujourd’hui, de ceux que font souffrir l’affaissement des énergies, la pauvreté du cœur, toutes les misères morales et matérielles.</em> » Loin de l’orienter vers un rigorisme aux inclinations totalitaires, cette révolte anti-bourgeoise le conduisit jusqu’aux frontières mêmes de l’invisible, qui n’est point l’abstraction, mais la puissance d’une âme libre, l’au-delà de l’orée qui enchante toutes les apparences du monde :</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">« <em>Le monde est un secret que soudain je comprends :</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Notre corps est léger et notre esprit fidèle</em> »</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Ce prosateur qui connaît l’art des longues périodes et de la « <em>rhétorique profonde</em> » fut particulièrement sensible à l’éclat de la soudaineté, qu’elle soit dans l’emportement de la compassion, dans la conversion ou la rencontre des regards. Les « choses vues » lui sont des Symboles, les Cités qu’il habite ou parcourt lui deviennent peu à peu <em>emblématiques</em>, tels le Londres de Thomas de Quincey, dont il partagea le goût de l’Opium, ou l’Ispahan des poètes persans dont les « jardins d’émeraude », suspendus entre le sensible et l’intelligible, sont familiers à ses voyages intérieurs. Ses spéculations et ses rêveries se lovent également dans les lieux de gloire ou de misère. Ses amantes sont haussées au rang de déesses ; ses rares amis lui apparaissent comme des héros ou des saints. De ses ennemis, il ne garde que le souvenir de l’inaccomplissement. Maurice Magre est de ces auteurs sur lesquels la médiocrité n’a aucune prise, quand bien même il s’en accuse, et par cela même. Loin de se croire parfait, ce qui est précisément le propre de la médiocrité forte de son nombre, Maurice Magre mesure, avec autant de précision que possible, l’écart entre son vœu et sa réalisation ; et cet écart n’est autre que l’espace même de son œuvre. Ses regrets ne sont pas moralisateurs : ils sont le secret de la musique des mots, non point contrition mais persistance amoureuse, consentement au « <em>beau secret</em> ».</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Ses <em>Confessions sur les femmes, l’amour, l’opium, l’idéal</em>, disent cette soudaineté du secret, cette pointe exquise où le plaisir et la sapience se ressemblent, cette légèreté du corps (car, pour Maurice Magre, c’est bien le corps qui est dans l’âme et non l’âme qui est dans le corps), cette fidélité de l’esprit à l’émotion de ses premières épreuves et de ses premiers émerveillements. Rien ne lui est plus étranger que le reniement ou cette versatilité du consommateur, qui se croit libre pour brûler le lendemain ce que la veille il adora. Ses <em>Confessions</em> s’achèvent sur des « Remerciements à la destinée », d’une hauteur goethéenne, et qui ne sont point sans évoquer, aussi, l’émouvant « Bonsoir aux choses d’ici-bas » qui furent les derniers mots de Valery Larbaud : <em>« Je remercie la loi qui préside à la destinée. Elle a placé mon enfance dans une maison de banlieue toulousaine, dans un jardin où il y avait un pin, un buis et une île de noisetiers…</em> »</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Par le don de la gratitude, devenu si rare, toute beauté devient frissonnante. Ni l’habileté technique « <em>qui se manifeste par la glorification du laid</em> », ni les cités industrielles « <em>qui remplacent les antiques cités de pierre qui abritaient jadis des bonheurs paisibles et lents, où les hommes avaient la possibilité de pratiquer la rêverie et l’étude</em> » ne donnent, ou plutôt, ne <em>restituent</em>, à la beauté du monde ce que nous lui devons. Le monde moderne apparaît à Maurice Magre comme « <em>ces pyramides dressées par les esprits du mal</em> ». Or, rien ne nous interdit, sinon quelque mauvais sort jeté à grands renforts de puissance et d’argent, de saisir la seconde heureuse, de retrouver le resplendissement de ce qui est :</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">« <em>Un frisson de beauté circule une seconde.</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Je sens qu’un beau secret dans l’atmosphère passe.</em></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><em>Un bal mystérieux s’éveille dans les choses.</em> »</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">L’œuvre de Maurice Magre se propose ainsi comme un viatique contre la tristesse et le nihilisme qui nous privent à la fois de la vérité sensible et de la beauté intelligible. Cet hérésiarque de belle envergure, qui trouve son bien chez les gnostiques albigeois, non moins que dans le néoplatonisme des ultimes résistances païennes (qui lui inspira l’admirable roman intitulé <em>Priscilla d’Alexandrie</em>) n’a d’autre ambition que de nous nous enseigner une liberté dont l’apogée serait la fidélité même. Fidélité aux premières rencontres, aux premiers amours, aux premières lectures et aux premières ivresses ; fidélité aux moments d’intensité et de grâce. <em>Priscilla d’Alexandrie</em>, publiée en 1925, qui se situe dans l’Egypte tourmentée entre le christianisme et la paganisme, du quatrième siècle, nous invite, et c’est un genre d’invitation qui ne se refuse pas, à fréquenter les philosophes d’Alexandrie, tel Olympios, ermite néoplatonicien, ou Aurélius qui accomplira un pèlerinage <em>« à l’ombre de l’arbre bodhi </em>». Priscilla qui sera la réincarnation d’Hypathie, après avoir participé à sa lapidation, médite, en compagnie de ses amis philosophes sur l’accord possible entre la volupté et la sagesse, entre l’assentiment au monde sensible et l’aspiration au monde invisible. Le sceau et l’empreinte, ce qui symbolise et ce qui est symbolisé ne sont-ils pas une seule et même réalité ? <em>« Toute la nature avec ses soleils et ses nuits douces ne serait alors qu’un vaste piège pour empêcher l’homme, par le réseau des désirs, de parvenir à la plus haute spiritualité. Ce n’est pas possible. Il doit y avoir une conciliation entre la splendeur de la matière et le règne de l’esprit. Il doit existe une sagesse qui aime, une vérité qui a du sang</em> ».</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">On songe à cet autre livre, de Mario Meunier, qui fut un éminent traducteur de Platon et de Sophocle, <em>Pour s’asseoir au Foyer de la Maison des Dieux </em>: « <em>Etre volupteux : c’est entendre en son sang bouillonner tous les vins ; c’est aimer le besoin de multiplier ses amours, ses sympathies et ses admirations ; c’est participer à l’infini de l’Etre, collaborer à son éternité et aimer la vie jusqu’au désir de souffrir pour mieux vivre, et de mourir pour changer et revivre. </em>» Pas davantage que le sensible ne s’oppose à l’intelligible, le multiple ne s’oppose à l’Un, ni le provincial à l’universel : « <em>Ne te scandalise donc pas de la multiplicité des dieux. Si les morcellements de la divinité ne nous apprennent rien sur la vérité de son être insondable, ils affirment néanmoins, en tous temps et partout, sa souveraine présence (…) Une des plus nobles activités de l’esprit est de surprendre, en chacun des dieux des nations, la parcelle d’infini qu’il contient. En cette interminable théorie de déités, ma pensée reconnaît et adore les rayons divers d’un soleil identique.</em> »</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Libertaire, par goût de la légèreté, hostile aux pomposités et au puritanisme bourgeois, dont il se moque sans amertume mais avec une sereine ironie, Maurice Magre demeure avant tout fidèle à <em>l’esprit des lieux</em>. L’esprit des lieux, comme toutes les choses difficiles à définir et qui échappent aux ensembles abstraits (dont certains voudraient nous voir dépendre exclusivement) exerce sur nous une influence profonde. Simone Weil évoquait la persistance d’une science romane, d’une gnose occitanienne, Raymond Abellio, Joë Bousquet vinrent à la rencontre du reste du monde à partir de Toulouse, cette Thulée cathare. Il en fut de même pour Maurice Magre. Ne méprisons point le sens de l’universel, mais sachons qu’il n’est jamais que la fine pointe d’une réalité provinciale, d’un cheminement à partir d’un lieu, d’une méditation sur une configuration historique et sensible, d’une tradition dont on ne saurait s’exclure à moins de saccager en nous le Logos lui-même.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Nous existons à parti d’un lieu, et qu’importent nos pérégrinations ou nos errances, une fidélité demeure inscrite dans notre langage même, dans le ressouvenir de nos rencontres, dans la lumière. L’esprit des lieux est un composé de culture et de nature ; le cosmos et l’histoire y ourdissent ces admirables conjurations où nous trouvons nos raisons d’être. L’auteur du <em>Sang de Toulouse</em> et du <em>Trésor de Albigeois</em> donne le sens de son cheminement par l’<em>incipit</em>, cher au cœur des toulousains évoquant le second âge d’or de la cité palladienne : « <em>Par les quatre merveilles de Toulouse, par la beauté de ses clochers et la jeunesse de ses jardins ; par Clémence Isaure, la virginale et la protectrice, par Pierre Goudoulin aux beaux chants, par l’hôtel d’Assezat aux belles sculptures…</em> ».</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Ainsi débute la quête du Graal pyrénéen, par cette voix qui s’adresse une nuit de septembre à son héros Michel de Bramevaque : <em>« Lève-toi ! Marche dans le pays toulousain, Retrouve le Graal qui est caché et les hommes seront sauvés !</em> » La quête du héros sera de retrouver les descendants des quatre chevaliers « <em>portant sous leur manteau l’héritage de Joseph d’Arimathie, l’émeraude en forme de lys</em> ». Ne divulguons pas davantage de ce roman, sinon qu’il y figure une « Nuit des loups » qui est l’un des hauts moments de la littérature fantastique. Evoquons encore, parmi les innombrables romans de Maurice Magre, <em>Jean de Fodoas</em>, qui fut réédité sous le titre <em>La Rose et l’Epée</em> où, ainsi que l’écrit Robert Aribaut, dans son ouvrage sur Maurice Magre, « <em>la fleur royale n’est plus offerte au héros par quatre cavaliers noirs mais par Inès de Saldanna, sœur du vice-roi de Goa !</em> ». C’est bien la profonde méditation sur le « sang de Toulouse », qui circule d’un mouvement invisible dans l’architecture de la Cité ; c’est bien l’accord du promeneur avec les rues de sa ville, où les temps se superposent et transparaissent les uns dans les autres, qui donne sa vertu poétique à sa conquête du monde, à son amour baudelairien des cartes et des estampes, à sa nature prodigue et accueillante aux merveilles de l’étrange et du lointain.</span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Dans cette œuvre immense, d’une imagination vive, colorée et voyageuse, où l’art d’écrire n’est ni trop ostensible ni trop caché, où la beauté consent à se manifester, mais comme sous une injonction supérieure dont l’auteur ne serait que l’intercesseur, les romans d’aventures, tels <em>Les Aventuriers de l’Amérique du Sud</em> ou <em>Les Frères de l’or vierge</em>, les récits de voyage aux Indes, alternent avec les romans poétiques ou initiatiques tels <em>Mélusine</em>, où, sous l’égide des Lusignan, et de la reine Chypre, qui hantent aussi un célèbre poème de Gérard de Nerval, Maurice Magre annonce, en le précédant de quelques années, <em>l’Arcane 17</em> d’André Breton : « <em>Avec quel incommensurable amour étaient attentifs les êtres vivants de la terre et de l’air. Il flottait une pureté que je n’avais jamais ressentie. Elle était dans le dessin des nervures des feuilles, la cristallisation des gouttes de rosée, la fluidité de l’air pénétré par la prescience du soleil levant… ». </em>C’est vers cette <em>« fille de l’air et des songe</em> » que va l’ultime passion de Maurice Magre. « <em>Mélusine</em>, notera Michel Carrouges<em>, est en relation intime avec les forces de la nature et par conséquent avec l’inconscient ; mais elle a des ailes et par là elle est aussi en communication avec les mondes supérieurs, ceux d’où elle s’envole selon la légende </em>». Symbole de ce spiritualisme hédoniste, que nous évoquions plus haut, de ce supra-sensible concret qui appartient au monde imaginal, la Mélusine de Maurice Magre est la divulgatrice de l’enchantement des apparences, l’amie de ces « <em>créatures messagères</em> » que sont les grillons et les rossignols, elle qui fait de notre âme, non plus cet espace insolite, restreint, carcéral mais une nuit de Pentecôte peuplée de lucioles, de signes d’or, messagers d’une «<em>connaissance cosmologique</em> », à l’instar de ces « <em>paroles profondes</em> » qui étendent le royaume du secret et transfigurent le monde. A l’orée de sa mort, dans ses derniers écrits, Maurice Magre ne demandera plus au monde que d’être lui-même, mais en beauté : « <em>Des milliers de petites gouttes de rosée, invisibles jusqu’alors, devenaient brillantes, s’allumaient comme les lampes d’une féerie minuscule, mais répandue à l’infini. Sortant du bain mystérieux de la nuit, le jardin émergeait, rajeuni et purifié. La lumière cependant continuait à naître d’elle-même</em>. »</span></p><p align="JUSTIFY"> </p>