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24/02/2025

Luc-Olivier d'Algange, Françoise Bonardel et "la conversation sacrée":

 

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1.Triptyque pour Albrecht Dürer



Peu d'essais échappent à l'alternative, ou au double écueil, de l'érudition pure et de la simplification plus ou moins polémique. Triptyque pour Albrecht Dürer est de ceux-là, rares, qui, tout en étant à la fois œuvre érudite et œuvre de combat, ne l'est que pour accomplir ce dont elle parle, rejoignant ainsi, à travers ses manifestations, et dans un beau voyage, l'instant de la rencontre du regard avec l'œuvre qui, en nous, mystérieusement, est antérieure au regard.

Une intuition vague hante les esprits. Quelque chose semble s'être perdu que l'on ne saurait définir mais qui nous tient en exil de cette part de nous-mêmes et du monde qui resplendit dans le secret et que l'on pourrait, si des réminiscences nous en viennent, nommer l'Ame, la nôtre, l'intime, la proche et si lointaine, et l'Ame du monde, à laquelle elle donne accès,- celle que Virgile figure sur le Bouclier de Vulcain.

Or, en ces temps profanés et profanateurs, une si âpre volition nihiliste, issue de l'esprit de vengeance, s'est emparée de nous que nous en sommes venus à manquer à l'Ame du monde, tant est si bien, avec de telles ingéniosités techniques, un tel affairisme, que notre propre âme s'est éloignée vertigineusement de nous-mêmes, au point qu'il semblerait presque, parfois, qu'elle n'existe pas, qu'il n'y eût jamais d'âme nulle part, pas davantage en nous-même que dans le monde, et que tout, l'univers, les hommes, la nature, se réduit à une machine, destinée à servir d'autres machines plus performantes.

Ce qui nous manque, Françoise Bonardel le nomme et l'illustre, le définit et l'exerce, n'est autre que la conversation sacrée. L'ouvrage, à cet égard, dépasse de loin l'intérêt que déjà nous pourrions porter à un travail fortement étayé sur Albrecht Dürer. On ne saurait mieux dire ce qu'est une conversation sacrée qu'en s'y livrant, c'est-à-dire en s'aventurant dans cette subversion du temps qui révèle les strates, le palimpseste, les nuées et les nuances des temporalités qui échappent habituellement à l'attention limitée, calculante, à l'égrènement uniforme, au cours linéaire qui est celui de l'usure.

Dans la conversation sacrée le temps devient espace. Une œuvre n'est pas un objet de consommation culturel, moins encore une «  côte  » sur le marché de l'art, mais un événement de l'âme, voire un avènement qui surgit de l'entretien que nous avons avec elle. Or cette œuvre fut elle-même en conversation avec le paysage, l'idée, la forme, l'espace qu'elle créa et qu'elle porte jusqu'à nous, nous donnant ainsi accès au temps profond, où l'histoire et la légende de l'artiste et notre propre histoire coïncident.

André Breton, ressaisissant le propos de Nicolas de Cues, évoquait le point suprême à partir duquel toutes choses cessent d'être perçues de façon contradictoire. Cette «  omnivision  » n'est jamais, pour l'être humain, que fugace, mais ce que cette expérience inscrit en nous est l'empreinte de l'œuvre que nous devrons accomplir, tels le Chevalier entre la Mort et le Diable, dont la Figure, nous dit Françoise Bonardel, ne saurait se réduire ni à un piétisme militant issu de la Réforme, ni à une figure faustienne, - mais s'ouvrant peut-être, ainsi que Friedrich Schlegel en eut l'intuition, qui voyait en Dürer «  le Jacob Böhme de la peinture  », à une autre Figure, à la fois antérieure et apocalyptique, au sens étymologique, laissant au visible la puissance de révéler l'Invisible.

Comment, au pas de sa monture, vaincre la Mort et tenir le Diable à distance ? Comment surmonter ce qui divise, le diaballein, et ne plus craindre la Mort, qui n'est ici qu'insignifiante et grotesque, afin d'aller vers ce qui, - loin, là-bas - laisse l'âme verdoyer dans la contemplation de l'infime et de l'immense ? La question ne saurait se réduire à l'histoire de la culture ou à une identification sentimentale car ce qui est en vue, cette Cité,- au-delà des arbres, tout en haut, où l'on devine le règne d'une grande paix de l'âme, - est tout aussi important que celui qui se dirige vers elle et dont la force et la résolution, en accord avec la perfection formelle de la gravure, son détail péremptoire, valent surtout par le dessein qu'elles proposent.

«  L'exceptionnelle symbiose graphique entre simplicité et grandeur  » qu'évoque Françoise Bonardel à propos de Dürer, donne au mot apparaître la plénitude de son sens. L'apparaître n'est pas seulement apparence, surface sur laquelle l'attention glisserait pour se perdre dans l'indéfini, mais une force qui se grave, un sceau invisible qui suscite le visible, le fait paraître, le dévoile dans son irréductible singularité ontologique. Françoise Bonardel cite à juste escient Heidegger: «  Lui, le peintre Dürer en représentant un objet isolé à partir de sa situation fortuite, ne se borne pas à en faire apparaître un aspect isolé, offert au regard; mais à montrer chaque fois l'objet isolé en tant que cet objet unique dans son unicité, il rend visible l'Etre même dans un lièvre, l'être-lièvre, l'être animal de cet animal  ».

A la singularité des êtres, témoins de l'attente et de l'éclaircie de l'être, correspond, mais de façon plus mystérieuse, l'harmonique propre d'une cité, son être, à nul autre semblable, et avec lequel il nous est possible, dès lors que nous ne sommes pas exclusivement assignés à une durée profane, d'entrer en conversation. Le livre de Françoise Bonardel nous donne ainsi à visiter, ou mieux encore, à hanter, en voyageurs du temps, les trois cités emblématiques du destin d'Albrecht Dürer, Anvers, Nuremberg et Venise.

«  Plus encore que les œuvres d'un artiste, écrit Françoise Bonardel, et que sa biographie, les lieux où il vécut, ou simplement passe, paraissent a postériori, la matrice où s'est forgé son regard dont nous aimerions comprendre quel défi, quel pari sur la vie en raviva un jour l'éclat  ». A qui s'approche d'une cité emblématique, y entre, non en touriste mais en pèlerin, avec cette inscience divine, cette innocence qui laisse advenir les signes et les intersignes, un Réel est donné qui n'a plus rien de commun avec le réel des «  réalistes  », qui ne sera jamais qu'une chose abstraite.

Chaque voyageur, s'il n'est pas touriste, sait avancer tel le chevalier de Dürer, entre la Mort et le Diable, - entre la mort, toujours menaçante, de sa propre perception du monde qui en ferait un absent passant à côté de tout sans rien voir, et le Diable qui va diviser, en analyste chafouin, chaque chose, chaque paysage, chaque heure, jusqu'à les rendre incompréhensibles. Le bon voyageur se défie de lui-même et de ses représentations, et cette défiance est nécessaire à l'éveil de la plus grande confiance, que nous donnons et recevrons en retour. Avant même que notre savoir ou notre intelligence ne nous en disent les causes, l'aile de la réminiscence nous a frappés. Ce beau cheminement en compagnie du Noble Voyageur et de Dürer, son témoin, nous donne à comprendre que la raison ratiocinante, la raison redondante, la raison qui ignore sa propre raison d'être, peut-être, lorsqu'elle veut totaliser et planifier le monde, la pire folie.

Celui qui échappe aux Normes profanes et à la sécurité fallacieuse prend le risque de la mort et de la division pour l'éminente raison qu'il n'est encore, lui, contrairement à l'individu interchangeable, ni mort, ni désagrégé. La compacité de la Figure, sa précision drue creusée en détails, la façon encore dont elle s'inscrit dans la paysage, par une forme qui semble le sceau d'une empreinte invisible, en témoigne: son chemin sera celui de l'interprétation, de la droiture, de la chevalerie spirituelle telle que sut la définir Henry Corbin, et le risque encouru pour avoir quitté la fausse sécurité est déjà une victoire. C'est ainsi que nous le trouvons, ou le retrouvons, par l'intercession du Maître-livre de Françoise Bonardel, après de longs oublis et de piètres reniements, pour nous faire signe et nous dire qu'il ne tient qu'à nous d'être, par le ressouvenir d'une certaine tradition européenne, le matin profond d'une nouvelle et fière résolution.

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2. Antonin Artaud, toujours ardoyant

 

Les plus profonds enseignements nous viennent sans doute des œuvres qui, adressant à notre entendement une mise-en-demeure radicale, se refusent à être édifiantes. Une défaillance, un refus, voire un effondrement, ou la conscience d'un effondrement collectif, sont alors la mesure, en précipices, de la plus haute exigence qui s'irise, comme en neiges éternelles, des hauteurs de l'âme, et interdit la réduction de l'écrit au rôle subalterne d'objet artistique.

« Nous ne sommes pas encore au monde », nous dit Antonin Artaud. Nous ne pensons pas encore dans une âme et un corps. Pire encore, nous pensons moins que nous ne pensions; une force, une lucidité ont été perdues et toutes les évaluations, sciences, religions réduites à leurs écorces mortes, à leurs superstitions, travaillent encore à rendre impossible l'advenue du ressac de cette pensée entrevue par la brèche qu'Antonin Artaud décrit dans L'Ombilic des limbes et dans ses premières lettres à Jacques Rivière.

Ce que sa pensée ne peut faire, - c'est-à-dire réduire son langage à l'édification d'une forme littéraire convenue - sera le principe de la puissance, d'une magie concrète qui débute par la conscience de l'œuvre-au-noir et dont le « théâtre alchimique » sera l'instrument de connaissance, non en termes scientifiques, mais rituels, selon l'ordre abyssal d'un sacré originel qui transparaît en feux noirs et feux de roue, selon la formule alchimique , à chaque ligne écrite.

Le livre de Françoise Bonardel, Antonin Artaud ou la fidélité à l'infini, se tient à la hauteur de cette mise-en-demeure. Plus encore que de parler de la vie et de l'œuvre d'Antonin Artaud, ce qu'elle fait admirablement, Françoise Bonardel nous parle de ce dont il est question dans cette vie et cette œuvre, « l'honneur vital » qui s'y trouve engagé, fidélité à l'infini.

Au-delà d'une analyse strictement universitaire qui prétendrait à une explication, l'auteur s'engage, et c'est ce qui rend ce livre passionnant, dans une interprétation, une herméneutique orientée vers une implication dans l'œuvre et dans la pensée agissante de l'œuvre, échappant ainsi au double écueil du mimétisme et de la distanciation.

Le diagnostic que fait Antonin Artaud est clair, sa critique du monde moderne, radicale. L'Occident moderne s'est effondré: « Nous vivons des temps tragiques et plus personne n'est à la hauteur de la tragédie ». Nous avons cessé de penser et d'être. Un envoûtement pénombreux nous tient dans une abstraction restreinte, fallacieuse et mortifère, nous avons perdu « la culture cuivrée du soleil ». Seul, nous dit Antonin Artaud, « un homme en marche depuis toujours » peut dire la sapience perdue. A tant dénier la mort, et la dimension tragique qu'elle impose à chaque être et à chaque moment, l'Occident moderne a renié la Vie: « Réaliser la suprématie de la mort, n'équivaut pas à ne pas exercer la vie présente. C'est mettre la vie présente à sa place, la faire chevaucher divers plans à la fois, éprouver la stabilité des plans qui font du monde vivant une grande force en équilibre. »

L'Occident moderne est apostasie, reniement de ses ressources européennes, triste régression vers un état larvaire de docilité, « règne de l'On » comme disait Heidegger, ou du « dernier des hommes » dont parlait Nietzsche. De Nietzsche à Artaud, au demeurant, se tissent des affinités. « Quand le corps est blessé, écrit Artaud, c'est là qu'on trouve l'âme, l'Aigle et le Serpent » ; totems protecteurs dont nous recevrons, ou non, la force de tout perdre ou de tout gagner, - ce qui est peut-être la même chose.

Antonin Artaud dépossédé de tout, - à commencer par l'usage utilitaire ou décoratif du langage, - s'empare du « tout », tellurique et ouranien, car ce « rien » qui lui reste n'est autre que la langue redevenue Soleil-Logos, puissance héliaque, fulgurance d'Apollon. On comprend mieux l'intérêt d'Artaud pour Apollonios de Thyane, Héliogabale ou le néoplatonisme solaire de l'Empereur Julien par lesquels il songera, je cite, à « retrouver et ressusciter les vestiges de l'antique culture solaire ».

Bien au-delà de la simple polémique anti-moderne, la guerre d'Artaud est ontologique: « Ne jamais discuter, frapper avec ma richesse, ça se taira ». Le dénuement total est la richesse absolue. Tout est dans l'acte d'être qu'il faut révéler par une suite d'épreuves, au sens vrai initiatiques. La conscience aiguë de l'Hors d'atteinte de la pensée et de la défaillance du langage, la vision abrupte, fatale, de cet effondrement central, seront ainsi le principe de la reconquête, mot par mot, geste par geste, d'une intégrité et d'une pureté perdue par une civilisation d'individus que plus rien ne relie à un ordre supérieur. Civilisation envoûtée de l'intérieur par la représentation qu'elle se fait d'elle-même et qui la condamne à être tenue à distance, déportée, exilée à l'intérieur de l'exil lui-même, - là où la servitude volontaire nous installe, dans ce « partout-nulle-part », déraciné, où plus rien ne symbolise avec rien.

Françoise Bonardel, dans ce livre magistral, nous rappelle à cette évidence: si Antonin Artaud n'est pas « homme de Lettres », si sa vie est, en soi, une insurrection et un cri, son œuvre ne saurait se réduire à un « cri » et s'avère être celle d'un très-grand écrivain français. Etre « toujours ardoyant » dans le creuset philosphal où s'animent l'Aigle et le Serpent, tel fut le dessein gnostique d'Antonin Artaud, qui renouvelle à certains égard celui de Maurice Scève, en ses blasons et cosmogonies.

L'ouvrage de Françoise Bonardel approfondit magistralement ce dessein que l'on peut dire gnostique et alchimique, ce « voyage vers Tula », qui est aussi la mythique Thulée hyperboréenne, - autrement dit, le voyage vers ce qu'Antonin Artaud, nomme la Vie, avec une majuscule, Mercurius alchimique. La Vie, pour Artaud, est magnétisation, émanation, irisation des dieux « qui jouent aux quatre coins sonnant du ciel, aux quatre nœuds magnétiques du ciel. »

Contre l'abstraction conceptuelle, Antonin Artaud ravive le spirituel concret dans la tradition de Paracelse, Böhme, Novalis, Hamann et Franz von Baader. La guerre est ouverte contre la pensée calculante, restrictive, pensée d'usure et de pénurie, capitalisante et profanatrice qui nous réduit à l'état de spectre dans les « cavernes de l'être ». Pour Antonin Artaud, rien n'est plus concret que le suprasensible: « J'ai de l'esprit une idée matérielle bien que j'aie une philosophie anti-matérialiste de la vie ». La magie est concrète et d'une exactitude « cruelle ».

Se déprendre de ce qui désincarne nos présences en représentations, de ce qui dégrade nos « actes d'être » en concepts abstraits, de ce qui avilit la tradition (qui est transmission ardente, transfusion) en coutumes bourgeoises, c'est enfin, pour Antonin Artaud, retrouver, en même temps, l'intensité et l'exaltation, les longitudes et les latitudes de l'âme et du monde, sans lesquelles les corps sont sans esprit et les esprits sans corps. La Thulée de l'âme est cette contrée murmurante, ce « voyage à travers son propre sang », comme l'écrit Françoise Bonardel, ce « Styx rutilant de tous les feux nocturnes » qui « nous invite à entreprendre dès ce monde-ci, l'ultime navigation vers et dans l'au-delà. »

L'œuvre sera cette « lame d'obsidienne », éclat solaire porté à la jonction des mondes qui donnera à Antonin Artaud le droit d'écrire: « Mais moi, je suis un être vrai, sans rien de phénoménal, et je me manifeste à tout instant, mort et vivant ».

Luc-Olivier d'Algange

 

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22/02/2025

Un article de Marc Obregon paru dans L'Incorrect N° 83, février 2025:

LUC-OLIVIER D'ALGANGE

Une chaine d'or pour les relier toutes

 

La collection Théôria de L'Harmattan devient une sorte de bibliothèque interdite incontournable pour tout lecteur exigeant porté sur des sujets tels que le mystique chrétienne ou les relents kali-yuguesques de notre époque. Illustration avec l'éminent poète et dandy Luc-Olivier d'Algange. 

Contre les écrans qui divisent, contre la segmentation des connaissances qui produit des chiens savants tout juste capables de vomir des lignes de code pour enfermer un peu plus le réel dans une nasse numérique, Luc-Olivier d'Algange, dans ses Droits de l'âme, propose de réunifier le savoir, de faire comprendre à nouveau quelle grande Tradition (ou sophia perennis) sous-tend les textes majeurs, de rappeler les tunnels et les rhizomes d'idées qui travaillent secrètement les oeuvres, qui les relient entre elles dans un vaste dédale de références, de liaisons quasi-chimiques relevant d'une sapience ésotérique. A ce titre, il s'élève contre les approximations et les dérives idéologiques d'un enseignement de la littérature qui voudrait ranger les époques dans des cases, et opposer, par exemple, le classicisme au romantisme: " Il est temps d'en finir avec ce dualisme de pacotille qui ne se lasse pas d'opposer une raison diurne à une irrationalité nocturne, un classicisme prétendument raisonnable et un romantisme qui serait tout embarbouillé d'obscurantisme".

Lecture maistrienne

A ce titre, il réhabilite l'influence primordiale de Joseph de Maistre sur les romantiques, à commencer par Nerval et Baudelaire qui, tous deux, ont reconnu chez le philosophe une influence capitale - et ce contre l'avis de Sartre, dont les tentatives pour prouver le superficialité de cette influence sont soigneusement démontées par d'Algange. Qu'est-ce qu'une époque ? Qu'est-ce qu'est-ce que la sensation de vivre dans son présent, d'où vient cette impression qu'un sens à la fois intime et universel découle du passage des années ? Rien de plus, juge Luc-Olivier d'Algange, en méditant sur Les Soirées de Saint-Pétersbourg, que le surplomb de la Providence sur le temps. Sans Providence, le temps et l'histoire ne sont que des successions d'événements travaillés par une cyclicité amorphe, c'est bien la Providence qui a déplié la flèche du temps, et sorti les époques de la glaise des itérations amorphes. 

Gnose contre gnose

Chez d'Algange se joue également un vieux conflit qui oppose certaines hérésies jugées "gnostiques" dans le sillage des condamnations de saint Irénée de Lyon.  Pour d'Algange, opposer la foi chrétienne et la gnose est une erreur, puisqu'il différentie lui-même deux gnoses: l'une négative: "le gnoticisme des sectes qui vitupèrent contre le monde, qui haïssent le sensible" et une gnose vertueuse qui ne serait pas "volonté de pouvoir mais puissance du silence, la gnose qui approfondit et diffracte la croyance, s'y accorde, comme la voûte romane s'accorde au coeur". Une gnose qui se réalise toute entière dans la suspension poétique et qu'on retrouve telle quelle, note d'Algange, dans les fameux vers de Nerval, El Desdichado, un poème à la dimension quasi-alchimique, et qui s'inscrit dans une longue tradition littéraire française "de Chrétien de Troyes à Maurice Scève, de Rabelais à Béroalde de Verville, de Ronsard à Cyrano de Bergerac".  

Tout le travail d'orfèvre de Luc-Olivier d'Algange tient ici, dans ce fil d'or qu'il suture au revers de notre histoire littéraire, un legs invisible qui relie Boutang à Léon Bloy, Montaigu à Julien Gracq, Guénon à Suarès, attestant que si la France est bien la fille ainée de l'Eglise, sa littérature en est le Graal, caché mais visible à tous, à condition d'être entraîné à reconnaître ses liens invisibles qui tissent dans l'ombre une histoire secrète de l'âme. 

 

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André Suarès, l'Eternel retour, les Droits de l'Ame:


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