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26/07/2023

"La métaphysique enchantée", un article de Rémi Soulié sur le dernier livre de Luc-Olivier d'Algange

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La Métaphysique enchantée

 

Il ne faut pas se méprendre sur le titre du dernier livre de l’admirable Luc-Olivier d’Algange, Propos réfractaires, en y entendant un écho, fût-il lointain, d’un ressentiment et d’une vengeance, ou en y soupçonnant un positionnement malencontreux qui le placerait sous la dépendance de ce qu’il observe de très loin mais, surtout, de très haut, soit, dirait Guénon, « la fin d’un monde », ou l’anéantissement d’une civilisation.

Si L.-O. d’Algange était un guerrier, je dirais qu’il a le calme des vieilles troupes ; comme c’est un brahmane ou, si l’on préfère, un métaphysicien-poète, je dirais plutôt qu’il a la sérénité du sage. Nul énervement, chez lui (dans tous les sens du mot), mais la paix de celui qui a séjourné au Centre (la « paix du Christ », dira-t-on préférentiellement sous nos latitudes) ou qui, sait-on jamais, a aussi la vertu platonicienne de force pour y demeurer.


L’ « Égout central », comme dirait Renaud Camus, est pourtant torrentiel – cette excellente formule désigne l’une des parodies modernes du Centre et l’une des inversions caractéristiques du Kali-Yuga, terme sanskrit que l’Évangile traduit par « abomination de la désolation » (βδέλυγμα τῆς ἐρημώσεως) et Heidegger par « détresse » (die Not) : destruction de la langue, envahissement de la laideur, démonie de l’économie (Julius Evola), propagandes publicitaires et idéologiques, mélange des castes (René Guénon) puis indistinction, uniformisation, planifications, etc.

Au chaos titanique, L.-O. d’Algange oppose non la rage – ce qui reviendrait à se placer sur le cercle infernal (Tartare) des Titans – mais « le sourire de la pensée la plus profonde » (ainsi Montherlant désignait-il le sourire du Bouddha) et, au vacarme caverneux qui, hélas non sans succès, essaie de recouvrir le son de la vibration initiale (AUM ou Fiat lux), l’écoute ou la contemplation attentive et précaire (priante, donc) du Logos resplendissant, le silence d’où surgit la parole, la vox cordis. Cela suppose donc de comprendre le temps tel qu’il est, en le relativisant (ce qui exclut toute religion de l’histoire) et de percevoir en lui, selon la formule platonicienne, l’image mobile de l’éternité immobile. Qui parvient, ainsi, à se centrer, devient littéralement hors d’atteinte – ce que nous sommes depuis toujours mais que nous avons le plus grand mal à réaliser tant nous sommes attachés à l’illusion phénoménale, laquelle a un versant obscur et lumineux, un ubac et un adret (l’essentiel étant de gravir la montagne, évidemment, sans perdre de vue le sommet).


Avec raison, L.-O. d’Algange insiste sur le second, ce qui est également ma pente, si j’ose dire, d’autant plus que dans l’Âge sombre, la splendeur phénoménale, naturellement, s’obscurcit et que les ténèbres paraissent tout recouvrir, interdisant (et, à travers ses agents, pénalisant) toute recouvrance. La métaphysique consiste à fermer les yeux pour voir, certes (la preuve par ces hauts métaphysiciens que furent Homère ou Tirésias), ou à les ouvrir jusqu’à l’éblouissement, ce qui revient au même (je songe au soleil platonicien). Quoi qu’il en soit, voir, c’est toujours savoir. La question se pose alors de savoir qui voit quoi.

Le poète, bien entendu, est le voyant (ou le clairvoyant) par excellence. Pour lui, dit Goethe, le bleu du ciel est la théorie (θεωρία), la contemplation même – ce pourquoi la couverture de la collection Théôria (dirigée par le non moins admirable Pierre-Marie Sigaud), dans laquelle le livre de L.-O. d’Algange est publié, est aussi bleue que le manteau de la Vierge. Il faut être aussi obtus qu’un Chinois de Königsberg pour ne pas voir que le phénomène est le noumène et qu’il n'y a même que lui qui soit (le Noûs, le νοῦς). Comment voulez-vous voir les formes si vous ne voyez pas les dieux ? Le sortilège est devenu si puissant que nos contemporains ne voient même plus l’envers de la Sainte Face, qui s’affiche pourtant sur tous les écrans et dont le nom est Légion. Ce livre est un pharmakon, mais au sens exclusif de l’antipoison. Autant dire qu’il est un enchantement et qu’il relève donc du réalisme le plus profond.


Un bref Propos, moins métaphysique en apparence, qui convaincra les plus politiques d’entre nous : « La Monarchie était sensiblement mieux une république que ne le sont nos démocraties. Plus nos démocraties liquident l’héritage royal et plus elles s’éloignent de la res publica : on s’afflige d’avoir à énoncer, contre l’opinion générale, de pareilles évidences ».


Propos réfractaires ? Certes, mais surtout, Propos réfracteurs de lumière.

Rémi Soulié

Luc-Olivier d’Algange, Propos réfractaires, L’Harmattan.

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