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14/11/2021

Un article de Stéphane Barsacq à propos de "L'Ame secrète de l'Europe":

Un article de Stéphane Barsacq, paru dans le Figaro, à propos de L'Ame secrète de l'Europe de Luc-Olivier d'Algange, éditions de L'Harmattan.
 
Au seuil du tricentenaire de la publication des Lettres persanes de Montesquieu, et alors que la basilique Sainte-Sophie, berceau du christianisme byzantin, doit être transformée en mosquée, plus que jamais il importe de se demander: «comment peut-on être Européen?» Européen qui ne signifie pas être assujetti à l’Union européenne, mais être solidaire d’une forme d’esprit née avec la civilisation grecque qui a essaimé en Méditerranée, et qui unit les terres du Septentrion et celles de l’Est - c’est-à-dire autant de réalités différentes qui traversent aujourd’hui des pays hors de l’Union européenne, puisque ni la Turquie ni la Russie n’en font partie, et qu’on peine toujours à définir, sur le plan pratique, ce qui unit la France et la Hongrie, ou l’Angleterre et la Pologne.
 
C’est dire, à l’heure où l’Europe n’est pas encore effacée des cartes, mais pourrait l’être, tout l’intérêt du livre de Luc-Olivier d’Algange et son ambition que résume son titre: L’Âme secrète de l’Europe. Derrière l’Europe, fût-elle galante pour reprendre le titre de Campra dont Morand s’est souvenu, une autre figure se tient: plus profonde, venue de plus loin, allant plus avant, réservant ses sortilèges, et répandant ses pollens, comme le voulait Novalis. Qu’on le veuille ou non, cette Europe «aux anciens parapets», partagée, sinon divisée entre l’ivresse dionysiaque et l’angélisme rilkéen, entre le théâtre d’Epidaure et la cathédrale de Chartres, demeure un chiffre ascendant. Celui-ci réunit la philosophie, la mathématique et la pensée du droit dans un dialogue avec les Dieux, c’est-à-dire cette confrontation reprise d’âge en âge, et souvent miraculeusement accordée, qui tient Athènes et Jérusalem dans une même quête, celle qui découvre une vie nouvelle à l’horizon.
 
Si on devait le définir, Luc-Olivier d’Algange, quant à lui, évoque assez un de ces sages en exil à la façon de Léon Chestov ou Nicolas Berdiaev qui prospéraient sur le porche de l’Université. Retiré de toute agitation, il cultive ses plus belles fleurs sur les terres du Prince de Conti et observe, sans grande illusion, mais avec acuité, le spectacle moliéresque de notre modernité tantôt triste, tantôt risible. Mais pareil au sage antique qui interroge volontiers les ombres, voire les fantômes, il promène son intelligence altière sur les hauts lieux en devenir de la mémoire: celle de Platon et de Nietzsche, de Guillaume de Machaut et Villiers de l’Isle Adam, de Maître Eckhart et d’André Suarès, sans oublier les Présocratiques ou les penseurs à la marge, comme Henry Corbin. Une liste à laquelle il faut ajouter les noms de Hildegarde de Bingen, d’Angelus Silésius ou de William Butler Yeats.
Qu’on croie ou non dans Athéna ou dans la Vierge, dans la foi du Psalmiste ou celle de Virgile, Luc-Olivier d’Algange fait le pari joyeux qu’elles restent des ressources pour chacun de nous.
 
Rien de moins administratif. Rien de plus enthousiasmant. Luc-Olivier d’Algange fait le pari joyeux que les uns et les autres, même s’ils ne prient pas de concert, vont à l’essentiel par les mêmes voies, qui restent des ressources pour chacun de nous, qu’on croie ou non dans Athéna ou dans la Vierge, dans la foi du Psalmiste ou celle de Virgile. Tous sont unis par le rapport proprement «européen», qui est celui de la lumière quand elle vient à se confronter avec son crépuscule et que ses feux sont les plus puissants. Quand l’Asie, si lointaine et si différente, reçoit la lumière en sens inverse du nôtre, l’Europe, pour elle, est ce monde où le soir tombe, et découvre son aspiration à un renouveau, à une réinvention perpétuelle du sens de l’Amour, qu’il soit dans le sacrifice des héros, dans celui de Jésus sur la Croix ou dans le chant des troubadours sur la route. Achille est le frère du Christ Pantocrator, comme il est l’objet du chant du poète qui pose le sens des combats.
 
Au fil des chapitres, Luc-Olivier d’Algange nous fait encore converser avec le penseur orthodoxe russe Paul Evdokimov ou avec le Condottière italien Gabriele D’Annunzio, voire avec quelques dandys reprouvés à des titres divers comme Oscar Wilde ou Ernst Jünger. De leurs contrastes, de leurs différences naissent les étincelles. Celles-ci convergent pour désigner une même flamme et les raisons de ne pas désespérer, de résister à l’ à-quoi-bon. Son livre si dense, si riche, se veut une approche de cette ère qui n’est plus géographique, et dont on veut nous convaincre que l’histoire est non seulement du passé, mais périmée, à «déboulonner», puisque même Jules César a fait les frais du terrorisme des nouveaux imbéciles, comme la Petite Sirène d’Andersen. Douce illusion à qui sait que la Grèce a près de 3 000 ans, et qu’elle continue à nous bouleverser grâce aux héros homériques, aux figures de la Tragédie ou à Parménide ; que Rome continue à être le centre du monde, unissant Romulus et Rémus et les papes et qu’une certaine France reste la «terre des armes, des arts et des lois» dans le cœur des plus humbles.
 
Parmi tant de prophètes de malheurs, Luc-Olivier d’Algange reste une exception: il combat joyeusement. Ce que Guy Dupré avait écrit d’un de ses devanciers vaut pour lui: parmi les rares écrivains de son âge qui réellement nous parlent, il en est peu qui aient eu, pour nous rejoindre, à venir de si loin. L’âme secrète de l’Europe, de l’Irlande à la Grèce, de Moscou à Lisbonne - entre l’Elbe et l’Océan -, c’est l’amour de la vie elle-même qui fixe le cœur et l’esprit. Ou l’Europe est appelée à le retrouver et à le féconder, ou les Barbares l’achèveront.
 
Stéphane Barsacq.
 

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