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01/03/2022

Lettre sur la pauvreté et l'honneur:

Publiée il y a une vingtaine d’années dans la revue Alexandre, mais toujours, hélas, d’actualité :

 

Luc-Olivier d'Algange

Lettre sur la pauvreté et l'honneur.

 

Le Printemps arrive, avec ses arbres en fleurs dont les couleurs tranchent sur le ciel gris, et d'autres contrastes, moins aimables. Certains partent en villégiature, d'autres sont expulsés... Nous vécûmes donc ces temps étranges où la Gauche, devenue la défenderesse exclusive des classes moyennes laissa aux bons soins d'un abbé maurrassien, la mission de revendiquer en faveur des pauvres et de réclamer, d'ailleurs en vain, l'application d'un décret gaulliste concernant la mise à disposition de certains habitations inemployées pour les sans-abri ! Autant l'avouer sans ambages, les récriminations des employés de la S.NC.F, soucieux de mettre leur longue retraite à l'abri du besoin d'une voiture nouveau-modèle, me laissent assez froid. Je pense, avec une compassion qui n'est point exempte d' une conscience politique plus aiguë, à ces hommes et ces femmes qui marchent du matin au soir dans la ville, hagards d'épuisement et de désespoir et qui se trouvent dans cette situation non pour avoir commis des crimes abominables mais par malchance, faiblesse, insouciance, ou éloignement de ces tribus qui dans chaque ville et chaque village font dépendre les sinécures, ou des emplois plus ou moins utiles, de la servilité politicienne ou du népotisme le plus éhonté.

L'honneur politique eût été de prendre parti pour les misérables au lieu de s'empresser à se hausser d'une bourgeoisie moyenne à quelque autre supposée plus « grande ». Mais que pouvions-nous attendre de ces hommes et de ces femmes « de Gauche », oublieux de Péguy, de Proudhon et de Bernanos, mais qui n'en persistaient pas moins à traquer l'intellectuel supposé « de droite », l'antidémocrate affreux, le dandy coupable d'hostilité au progrès et au triomphe de l'homme moyen. L'honneur eût été d'être moins sourcilleux envers les esprits libres et plus exigeant envers soi-même et plus généreux envers les pauvres. Il est vrai que les pauvres, les vrais pauvres n'ont guère le sens de l'histoire. Et lorsque je parle des pauvres, je ne parle point de ceux qui ne sont « pas riches », catégorie vaste et pour ainsi dire universelle, les moins nécessiteux n'étant pas les moins plaintifs et les moins cupides, - mais de ceux qui sont pauvres au point que les « pas riches » en viennent à les considérer comme une race à part, marquée par une sorte de malédiction. L'attitude d'un « pas riche » à l'égard d'un vrai pauvre est quelque chose de terrible ! J'en vois chaque jour de ces hommes (que le travail de leurs parents a sortis de la misère et qui sont assurés d'un emploi et d'une retraite) témoigner d'attitudes infiniment offensantes pour les vrais pauvres.

Dans ce monde « démocratique », dans ce monde saisi par le « progrès », la vénalité est devenue la véritable norme morale. De la sorte, il est naturel que le pauvre soit jugé plus ou moins coupable et que la pauvreté soit considérée comme un châtiment. Etrange focalisation d'un sentiment religieux qui paraît s'être évanoui partout ailleurs ! Désormais, le Bien, le Beau et le Vrai sont mesurables, c'est l'Economie qui nous le dit. Observons le mépris avec lequel sont considérées toutes les activités non-vénales. Entre la condescendance et la haine, la réprobation morale module son adoration de l'Argent-Dieu. Celui qui n'est pas payé, celui qui ne parvient pas à réduire son activité en argent est infâme: telle est la morale moderne, beaucoup plus simple et déterministe que les morales anciennes où intervenaient le Ciel, l'Enfer, le Libre-arbitre, l'Esprit Saint, la Grâce en des entrecroisements complexes que seuls pouvaient désenchevêtrer le Pardon, le souverain Pardon qui restitue aux êtres et aux choses leur simple dignité de créature de Dieu.

Pour le Moderne, tout est simple immédiatement. Le vil est celui qui ne se vend pas et la justice immanente est là pour le châtier, pour faire de lui un « pauvre » avec, s'il le faut le concours objectif d'une société particulièrement habile à faire de la bienfaisance un spectacle. Car l'utilitarisme du moderne ne désarme jamais. Ces pauvres, châtiés par leur incurie, encore faut-t-ils qu'ils servent au spectacle de la bonne conscience que les « pas riches » se donnent à grands frais !

Loin de nous Péguy, et Proudhon, et Bakounine ! Et plus loin de nous encore Villiers de l'Isle-Adam qui eut l'audace magnifique d'opposer aux potentats égalitaires l'aristocratie ultime de celui qui n'a rien. Or, ce qui importe alors, ce qui s'élève dans l'âme comme une promesse immense, ce n'est point de ne rien avoir mais d'être, à la pointe de l'exigence la moins réductible, dans cette excellence du cœur que rien, ni personne ne peut sérieusement contester.

Sans doute faut-il pour pouvoir juger de ces questions de philosophie politique, et sans être suspect de partialité, s'être trouvé alternativement du côté de ceux que jalousent les médiocres et du côté de ceux qu'ils méprisent. On est alors en mesure de comprendre ce qu'est une véritable rébellion contre l'iniquité. Où sont les hommes de Gauche qui se soucient davantage des plus pauvres qu'eux qu'ils ne passent de temps à envier les plus riches ? Sans doute faut-il savoir ne pas s'offusquer du luxe pour être à même de comprendre que la pauvreté n'est pas infâme. L'égalité abstraite n'a aucun sens. Les Droits de l'Homme sont un leurre. Seules importent les jurisprudences. Démosthène la savait déjà: « Or cette force des lois, en quoi consiste-t-elle ? Est-ce à dire qu'elles accourront pour assister celui d'entre vous qui, victime d'une injustice, criera à l'aide ? » Le pauvre dans sa famine et dans sa froidure se soucie bien de savoir qu'il est, en théorie, l'égal du Médiocre qui est assuré de vivre toute sa vie dans le même confort et la même ignorance comme d'une jouissance toute naturelle, de tous ces biens élémentaires dont le pauvre est privé. L'écart entre un simple employé et un homme à la rue est infiniment plus grand que l'écart entre ce même employé et le milliardaire le plus faramineux, car pour la beauté et l'intensité de la vie, la fortune y est pour peu de chose: tout se joue dans la luminosité de l'entendement. C'est l'Intellect, quoiqu'on en dise, qui préside à ces merveilles. Celui qui riche ou médiocre se traîne dans la vie comme un esclave sans cœur et sans colère trouve fort juste qu'il y ait des plus malheureux que lui, surtout s'ils eussent été, ces plus malheureux, en des circonstances moins défavorables, des rares heureux, à faire pâlir de jalousie !

Pour la majorité de nos contemporains, le bonheur d'autrui ne brille point, le bonheur d'autrui n'est pas une lumière désirée. La profondeur du bonheur de l'élu comme la profondeur du malheur du misérable se joignent et s'offrent à la même réprobation, mais le ressentiment prescrit d'œuvrer plus promptement à la disparition de la profondeur du bonheur qu'à celle de la profondeur du malheur. Certes, lorsque l'on voit à quoi s'occupent les hommes et les femmes qui ont échappé, parfois de peu, à la misère, avec quel soin jaloux ils s'en tiennent au moindre effort et à la moindre générosité, avec quel dédain et quelle suspicion ils accueillent les expressions de la beauté et de l'intelligence, il faut bien reconnaître que certains beaux combats sociaux paraissent comme frappés d'inanité. Ainsi serait-ce pour que de tels gens vivent comme ils vivent que d'autres naguère ont haussé parfois leur militantisme jusqu'au sacrifice chevaleresque ? L'ignominie « libérale » n'en demeure pas moins patente et persistante, dans le cœur de quelques-uns, l'Idée qu'une morale purement dispendieuse nous fait une vie plus belle que la morale utilitaire.

La pauvreté et l'honneur, pas davantage que la richesse et l'honneur ne sont exclusives l'une de l'autre. Tous les états sont honorables, mais il existe une façon d'être, à la fois veule et revendicative qui chasse devant soi l'honneur comme pour faire place nette à l'ignominie. Cette ignominie ne cesse de nous enjoindre, par séductions et menaces, à cesser d'être. Ainsi parle l'Ignominie: « Vous qui êtes français, qui entretenez quelque subtil commerce avec les dieux anciens, avec les métaphysiques d'Aristote ou de Platon, avec la Symbolique romane, avec, Dante, avec Baudelaire, avec Valery Larbaud, cessez d'être ! Conformez-vous, c'est-à-dire renoncez à votre forme, à votre ingénuité et à votre science, à vos façons d'êtres rares ou singulières, à vos fêtes et à vos oisivetés. » L'antienne est captée par toute les antennes et reproduite à l'envi. Vos voisins et vos proches s'évertueront à vous faire entendre qu'il fait bon vivre dans un monde sans honneur.

 

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