Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/05/2023

Luc-Olivier d'Algange, Prologue aux "Propos réfractaires", nouvelle édition augmentée, à paraître en Juin, aux éditions de L'Harmattan:

Albrecht_Dürer_-_The_Large_Piece_of_Turf,_1503_-_Google_Art_Project.jpg

Luc-Olivier d'Algange

Prologue aux Propos réfractaires 

 

Le titre de cet ouvrage est venu de lui-même, et presque malgré nous. Quelques mots ne seront pas inutiles pour en dissiper le malentendu possible. Etre réfractaire n'est pas un projet, ni une vocation, et, à Dieu ne plaise, une pose. Le monde est assez achalandé de subversifs subventionnés, de marchands de libertés par procuration, de fortes gueules approximatives, de râleurs et de rabat-joie pour, au moins, hésiter de faire chœur avec eux.

Le monde moderne, certes, est sinistre, et sans en disconvenir, il convient de ne point trop mélancoliser et de tenir la bride courte aux nostalgies. Réfractaires, nous eussions préféré ne l'être pas, et recevoir le monde qui nous entoure, mais désormais nous enserre avec une idiosyncrasie carcérale , avec moins de réticences ; la ferveur et la piété sont plus aimables.

Une civilisation et une civilité s'effacent. Dans leur relativisme général, les intellectuels bien-pensant s'en indiffèrent. Mais la conséquence est là : voici le temps des calculateurs, des moroses, des jaloux, des agités et des dépités, qui ne savent ce qu'est servir plus grand que soi, ou plus vaste, - encalminés dans leurs subjectivités ulcérées, fermés à toute contemplation : rats traqués se dévorant entre eux dans les remugles du ressentiment, tandis que les barbares prennent la place.

Pour atteindre à une affirmation souveraine, si lointaine de nos conditions, de nos fragilités, de nos incertitudes réelles, sans doute faut-il passer par la « négation de la négation » et ne pas méconnaître, car elle agit sur nous, cette grande machine de guerre planificatrice, en mouvement contre tout ce que nous aimons, ici et ailleurs, dans la diaprure des êtres et des choses, dans leurs singularités vivantes, dans le ressac du passé qu'elles nous portent, tels des embruns de pointe océanique. N'opposons pas un système à un autre, qui en serait l'envers ou la grimace. Nous sommes fugaces, comme une allumette brûlée au cœur de la nuit, mais d'un unique éclat. Que peut nous chaloir d'être agrégé à d'autres dont on supposerait qu'ils partagent nos révoltes et nos malheurs ? Le collectivisme comme l'individualisme de masse participent l'un et l'autre de notre expropriation, du refus de qui nous est propre : tradition, flamme presque indiscernable, qui passe, de mains en mains. L'amitié est notre seule cause commune.

Les idéologues, ces dévergondés de l'abstraction, sont flatteurs et vivent aux dépens de ceux qu'ils prétendent défendre, ou, pire encore, « représenter », en les réduisant à leurs plus petits dénominateurs communs. Cette morne ruse n'est courue que par la presque infinie complaisance des hommes de notre temps à se faire plaindre et à vouloir « exister » non par leurs propres vertus, ou vices, dont ils héritent ou qu'ils inventent, mais par un statut de victime qui leur serait accordé d'office et sur lequel ils pourraient se reposer, - sans voir que ceux qui les encouragent à ce triste rôle se servent d'eux, et les avilissent. Le beau fromage de la reconnaissance sociale tombe ainsi du bec aux dents, et leur ultime bien, qui était leur irréductible singularité, leur est ôté dans une statistique.

Il sera donc question, dans ces digressions et ces formes brèves, de ce qui, dans la nature humaine, résiste à ce qui voudrait nous uniformiser et nous avilir. L'ambition, somme toute est modeste, mais parfois modestie est gageure : demeurer humain dans un monde qui ne songe qu'à nous appareiller pour nous faire « trans-humain » ou nous installer, devant nos écrans, dans la servitude volontaire d'un confort « post-humain ». La voie qui rechigne à de si vantées perspectives, est parfois capricieuse et risquée, mais souvent bienheureuse en ce qu'elle nous relie à des beautés oubliées. D'où vient notre pensée ? Elle vient d'autres pensées et du monde. De la séquence de Sainte-Eulalie; de la romance arthurienne; de nos promenades en forêt ou au bord de la mer ; des nuits traversées au long cours jusqu'au petit matin froid et rose; d'Héraclite d'Ephèse et de son feu mêlé d'aromates dans l'Obscur; de la délicatesse violente de Valéry Larbaud; des romans d'aventure qui disent la vraie vie; des orages dont parle Henry Bosco; du Sacre de la cathédrale de Reims; de l'Éclair dans l'éclair d'Angélus Silésius; de l'ermitage aux buissons blanc; du gaélique et de la kabbale des arbres; de l'épaule de cette jeune femme où j'ai posé mes lèvres; de la lumière qui est l'ombre de Dieu.

Etre réfractaire, ce serait alors se souvenir que nous avons reçu bien plus que nous ne pourrions jamais donner. Rompre là, pour mieux honorer, s'éloigner de ceux qui déprécient, qui se vengent, pour mieux s'approcher de l'éloge ingénu. Si l'on considère à quel point les moralisateurs, de nos jours, enlaidissent le monde par leurs griefs, leurs jalousies, leurs morosités, leurs hystéries, leurs récriminations, leurs censures, leurs menaces et leurs jugements, à quel point ils jettent, venimeuses vermines, une systématique suspicion empoisonnée sur toute forme de beauté et de grandeur, à quel point ils sont aveugles à la vérité et au réel en leurs nuances, leurs gradations et leurs variations, nous devons reconnaître que l'alliance immémoriale entre le vrai, le beau et le bien a, hélas, été rompue, collectivement et délibérément, et que seules les âmes légères, baroques, désinvoltes, rares heureux, fils de Roi, pourront en retrouver le goût, la saveur, qui est sapience.

La reconnaissance est la clef et sa mission, que résume propos du grand Latin, «  naviguer est nécessaire mais il n'est pas nécessaire de vivre » offre aux réfractaires cet horizon d'enfance qui détient un secret de poésie : combattre l'indéfini, la confusion, l'indistinction avec les armes de l'infini et reconquérir enfin nos paysages et l'armorial des songes dans les étymologies de notre langue natale.

L-O.d'A.

Bibliographie

  • Manifeste baroque, Toulouse, Cééditions, 1981

  • Orphiques, éditions Style, 1988

  • Le Secret d'or, éditions des Nouvelles Littératures Européennes, 1989

  • La Victoire de Castalie, Aguessac, Editions Clapàs, 2000

  • Traité de l'ardente proximité, Aguessac, Éditions Clapàs, 2005

  • L'Étincelle d'or : notes sur la science d'Hermès, Paris, Les Deux Océans, 2006

  • L'Ombre de Venise, essai, Billère, Alexipharmaque, 2006

  • Le Songe de Pallas , suivi de De la souveraineté et de Digression néoplatonicienne, essai, Billère, Alexipharmaque, 2007

  • Fin mars. Les hirondelles, éditions Arma Artis, 2009

  • Terre lucide. Entretiens sur les météores (avec Philippe Barthelet), La Bégude de Mazenc, Éditions Arma Artis, 2010 ; rééd. revue et corrigé Editions L'Harmattan, coll. Théôria, 302 p., 2022

  • Le Chant de l'Ame du monde, poèmes, éditions Arma Artis, 2010

  • Lectures pour Frédéric II, Alexipharmaque, 2011

  • Lux Umbra Dei, éditions Arma Artis, 2012

  • Propos réfractaires, éditions Arma Artis, 2013

  • Au seul d'une déesse phénicienne, éditions Alexipharmaque, 2014

  • Apocalypse de la beauté, éditions Arma Artis, 2014

  • Métaphysique du dandysme, éditions Arma Artis, 2015

  • Intempestiva Sapientia, suivi de L'Ange-Paon, éditions Arma Artis, 2016

  • Notes sur L'éclaircie de l'être, éditions Arma Artis, 2016

  • Le Déchiffrement du monde : la gnose poétique d'Ernst Jünger, Paris, L'Harmattan, coll. Théôria, 2017 )

  • Sous la dir. de Pierre-Yves Rougeyron, Pourquoi combattre ?, Éditions Perspectives Libres, Paris, Janvier 2019, .

  • L'Âme secrète de L'Europe : Œuvres, mythologies, cités emblématiques, Paris, L'Harmattan, coll. Théôria, 2022.

  • Terre Lucide entretiens sur les météores et les signes des temps (avec Philippe Barthelet) Paris, L'Harmattan, coll.Théôria, 2023.

    Propos réfractaires, édition revue et augmentée, Paris, L'Harmattan ( à paraître)

19:37 | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook

Les commentaires sont fermés.