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15/12/2021

Luc-Olivier d'Algange, Chant de l'orage lumineux:

 

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Luc-Olivier d'Algange

Le Chant de l'orage lumineux

 

Cesserai-je un jour de désirer

cette transparence de la mémoire, cette nuit en laquelle

telle une douce joie,

s'assombrit la beauté jusqu'à l'extase ? Et telle une fragile

silhouette qui s'éloigne dans les entrelacs de l'air,

flamme légère, à peine rêvée,

solitaire et pure et fière

sans nul abri en ce monde

exposée au bonheur d'être, elle revenait vers moi

Divine Anamnésis. Il n'est point de mérite ni de gloire

à demeurer fidèle. Le jour qui se brise dans la nuit

d'un autre été magnifique annonce

la venue. Nous savons que nos errances nous conduisent.

Vive nostalgie,

Jardins inventés dans cette pâleur d'écume

lorsque la pluie tombe du chant du ciel ,de sa hauteur

qui si passionnément refuse la mort

Ainsi venaient à nous

au-dessus de nos têtes,

les palmes brillantes de la tristesse de l'été...

Ainsi les jardins, l'ombre, les racines, les fleurs

qui semblaient appartenir à d'autres siècles,

d'autres mondes

comme les hiéroglyphes de civilisations futures,

évoquant d'autres pierres, d'autres lumières...

Et tout cela cependant si proche

dans les bannières de la pluie et du vent...

Encore et toujours.

Comment être vivant

dans cette solitude de toute chose,

cette solitude à peine troublée

par le pressentiment d'une soumission à l'ordre

injuste des étoiles ? Et nous devinions soudain

que nos jours sont perdus dans ces demeures

perdus,

sous les voiles tendues

entre l'air et l'éther...

Nous devinions

et de cette divination âpre comme le suc

des fruits immatures, une grande

passion nous venait,

une grande divagation

inaccessible nous venait,

épée unie à l'éternité de son rêve miroitant,

soudaine volonté d'être,

ardente et légère volonté

tombée de l'ombre haute comme une immobilité

depuis longtemps

attendue, désirée

et nous demeurions nous aussi immobiles,

impassibles,

face à cet automne maritime qui rendit nos demeures

à la fois si capiteuses et si désolantes...

Quelle douce nuit s'inclinait

sur la terre brillante ! Quelle douce Apparence

devant laquelle notre orgueil enfin

pouvait capituler car enfin le ciel immense

traversait notre pauvreté, notre attente

et déchirait ces nuages et ces ombres. Enfin.

Je recueillais en moi cette miséricordieuse lumière,

cette transparence

de la mémoire

que je désirais.

 

Encore et toujours survenue,

mémoire de nos rêves et de nos rives,

cieux vivants dans l'altération des couleurs

jusqu'à ce jour de ton visage d'une parfaite pureté.

Jamais mon âme ne fut lasse,

jamais

dans ces branches embrasées du vent côtoyant l'éther,

jamais mon âme ne fut lasse de cette douceur.

La mémoire déployait ses paroles,

ses pluies,

de telle sorte qu'un recueillement de l'âme

encore toujours survenue

donnait à l'immense abandon

cette fraîcheur du sommeil dont les frondaisons

logent des oiseaux

au cœur battant...

Encore et toujours, grande beauté mienne

à jamais dans toute mémoire profuse ou déserte

quand l'antique malheur et les larmes

cèdent devant le découragement

du bonheur embelli par sa défaite:

c'est la grâce du retour

dont toute nostalgie nous hante et nous délivre

de toute hantise...

Brillante

et sûre,

aimée de toute chose qui ne consent point,

brillante

à la pointe de cette virtuosité native de l'être

qui ne consent point

mais désire...

Brillante et pure

dans les méandres majestueux d'autres siècles et d'autres mondes...

 

Il s'en fallut de peu qu'ensembles le lointain

et le proche

ne s'abolissent

dans cette couronne de mélancolie

que ce très-haut ciel d'automne fit tomber sur nos fronts...

Sur nos fronts

et sur les horizons mêmes de notre parole

comme un silence ,couronne d'un grand silence

d'une royauté muette. Il s'en fallut

d'une coque d'amande, d'un murmure,- ô joie

secrète,- ou mémorable tonalité d'oubli,

chose infime,

seconde d'or

honneur de l'imperceptible

beauté soudaine

qui nous sauve !

 

Cesserai-je un jour de désirer cette splendeur ?

Ce soir

la mer et le ciel

et cette joie mémorable

dont la nuit de l'âme nous illumine !

Quel oubli divin

à la pointe de cette allégresse impérieuse

plus haute que le don plus haute que l'espoir

de toute ramure dans le vent,

plus haute

et plus légère,

hôte des nues,

prophétesse !

La nostalgie fut cette lucide destruction du possible, niant l'hélas,

la vertu cachée de l'obscurcissement,

son ombre renégate,

afin qu'élue,

colombe vive dans le matin elle surgisse et nous sauve !

Cesserai-je un jour d'attendre cet instant ?

 

Les voiles s'éloignaient,

les tempes étaient bruissantes, j'entendais

d'autres êtres et d'autres mondes, l'esprit ailleurs...

J'entendais ces couleurs

qui sont notre patrie,

profondes couleurs du Sud

qui disparaissent au crépuscule

dans la pureté de leurs méandres,

l'esprit ailleurs... Et ces ombres teintes d'oubli,-

selon la mystérieuse alchimie, se balançaient dans le vent

jusqu'au front de la mer

Iles dans le ciel !

Promontoires ! Ma mémoire embellie !

Les clartés recueillies dans les feuilles

d'autres siècles et d'autres mondes...

Comment douter de ce plus grand abandon du lointain

de ces jardins qui renoncent ? Ce soir, en vérité,

la mer et le ciel...

Ce Soir en vérité

comme les voix adoucies

alors que l'ardente soif en nous demeure

et la nostalgie comme une promesse intense

au cœur de tout sommeil

et de toute mémoire épargnée, avec ce désir

d'être sauvé ! Me voici

devant toi, mes souvenirs

sont des terrasses ouvertes sur le lointain.

Eclate la fanfare du ciel nu ! le lilas universel du Soir

dont je reconnais enfin la sensation et la beauté,

mais presque avec désinvolture,

- ainsi qu'il convient à l'apogée du bonheur -,

car le pouvoir du Chant est cette folie de l'air

qui tournoie

au plus proche

tournoie et m'entraîne devant toi,

où je désire demeurer.

 

Et quelles nuits pour la gloire nous traversâmes ! Ce verbe

qui fleurissait dans le combat

des siècles et des mondes

ce verbe à la source

de mon propre commencement comme une hésitation vertigineuse

n'allait-il point me faire défaut, soudain,

telle une réponse oubliée ? O nudité de l'âme,

ma gloire et ma détresse.

Ces nuits furent vastes et d'or

dans l'esprit comme un manteau flottant

derrière les coursiers furibonds, sauvages

allant au-devant du battement du silence

et du souvenir d'une toute puissance aimée,

d'une toute-puissance

aimée

et légitime

dans cette nuit profonde et légère que nous traversions

légère et nue

toute-puissance,

sous les frontons de la nuit notre refuge !

Ailleurs

les frivoles pensées ! Ailleurs

dans d'autres rêves et d'autres mondes !

Je t'aimais uniquement.

Et la nuit était ce visage paisible,

cette harmonie, ce parfum

que nous apportions au sacre de la pensée légère.

Belles furent ces pensées, nos sœurs

comme de légères oliveraies bruissantes dans la nuit.

 

Il fut un jour où je feignis

ne point comprendre la terrestre raison.

J'aimais l'arche des couleurs,

l'alchimie des songes

Mon âme fut l'instant,

vif épicentre d'un cyclone régnant sur les cendres

d'autres mondes. L'esprit ailleurs

je prenais pour guide des visages

d'une insoutenable beauté.

Les apparences trompeuses ne m'effrayaient point. Ma colère

était angélique...

Paraître fut le roi de sa propre légende

dans la fureur construite des ubiquités.

Ma science figurait une fresque oublieuse sur les rives

d'un fleuve d'oubli...

Tels furent les artifices pour traverser

cette nuit hautaine et tardive,

et sainte

pour des raisons que je ne pouvais comprendre

et qui pourtant m'envahissaient, m'enivraient

comme un orage lumineux, une Annonciation !

J'évoquais, pour comprendre, les secrets

et les rites de mon enfance. J'évoquais

les Anges et les Dieux. La beauté religieuse de l'Instant

éclipsait les paradis perdus.

 

J'attendais en vérité,

dans la fragilité d'autres êtres et d'autres mondes

j'attendais une Muse qui daignât m'apprendre

l'extrême ultra-marine de l'hiéroglyphe croisé !

Muse attentive

dont la science est l'oracle des règnes de l'espérance,

Muse connue d'autres êtres et d'autres mondes,

qui naviguent

l'esprit ailleurs

épris de la science de l'Oracle ! Tout

ce que nous attendons en vérité

est ici

dans cette chambre aux volets clos où l'Ange de la présence

déploie

la grâce d'un Orient éclaboussé de couleurs et de rires...

Tout ce que nous aimons est au plus proche

( avec son plus vaste Ailleurs ) dans cette chambre

opaline et profonde

où le sommeil est le prodige des libellules

où la lumière

est semblable aux colonnes de la fin du monde...

Et l'énigme de cette image architecturale résonnait en moi...

Telle ce jour où je feignis ne point comprendre

la terrestre raison ! Ce jour

en d'autres lieux et d'autres temps,- et comment dire

l'ici-même ? -

dans cette chambre immobile corbeille des clartés

qui, au-dehors resplendissent

telles une énigme dont on se souvient

une vibrante image qui surgit,

s'inscrit

mais que la terrestre raison feint de ne point comprendre.

Un grand bonheur grandissait en moi,

un bonheur ancien et nouveau,

à la ressemblance de cette énigme qui nous saisit.

Cesserai-je, un jour

d'en désirer le juste triomphe ? Et cette jeunesse

perdue et retrouvée

dans la demeure suspendue des corps ardents, glorieux

dont le même néant est soleil d'adversité ?

Cesserai-je un jour

d'en dire le lointain fugitif,

l'insaisissable éloge de sa beauté grandissante, sa violente et cruelle

et mélancolique tendresse dont d'autres mondes et d'autres êtres

dans le ciel très-haut

gardent la mémoire et l'énigme ?

Cesserai-je ( un jour ) d'en désirer

l'étendue verte sous les plumes de la nuit et du jour ?

D'en convoiter l'essence ?

Et mon âme,

de quelles régions issues

de quels repos, âges, absences

reviendrait-elle nous dire

qu'il ne reste à la pauvreté et à l'exil

que le reproche étourdissant des nues...

Cesserai-je un jour

de m'éveiller

dans l'éveil

avec ce cœur battant ?

Le grand honneur sera de n'y point consentir.

 

(Extrait de Le Chant de l'Ame du monde, éditions Arma Artis.) 

Un article d'Anna Calosso:

Luc-Olivier d'Algange écrit "d'une encre bleue comme le sang" des pensées, des hommages, des dialogues, des essais, des poèmes, tantôt désinvoltes, tantôt savants, mais toujours à l'usage des rares heureux, - ceux que Gobineau nommait les Calenders, les fils de Roi.

La plus expédiente façon de définir une œuvre est de dire ce qui ne s'y trouve pas. Ici donc, pas de psychologie de comptoir, pas de sociologie, de calculs, de drames domestiques, de grief, de nihilisme, de pathos, d'idéologie, d'actualité, de tourisme, d'art contemporain. Que reste-t-il alors, se demande le lecteur des "pages culturelles" ?

Eh bien tout le reste: l'impondérable, les variations des états de la conscience et de l'être, l'Eros et le Logos frémissants d'accords, les mots eux-mêmes, comme le scintillement épiphanique de la lumière sur la table des eaux.

Et puis encore, la Tradition, fraîcheur venue de la nuit des temps, symboles qui unissent les mondes visibles et invisibles, divinités des mers et des forêts et quelque chose de l'esprit de Maurice Scève, qu'il se plaît à citer, en se souvenant de Roger Nimier, "en ses blasons et cosmogonies"

Les livres de Luc-Olivier d'Algange dispersent, grains de pollen, des noms, des idées, des formes génésiques, des paysages: sans eux le monde serait plus triste, plus sombre et plus lourd. Des passerelles sont lancées vers d'autres temps, d'autres œuvres qui exigent, pour se faire entendre, une vivante intercession. Les grandes œuvres, nous dit Luc-Olivier d'Algange, à la suite de Heidegger, demeurent "en réserve", graines sous le sol gelé. L'herméneutique créatrice sera le printemps, le "vent du dégel" selon la formule de Nietzsche, - philosophe que d'Algange affectionne particulièrement.

Une catena aurea, une chaîne d'or, court, en filigrane, nervure solaire, depuis Pythagore, Plotin, Jamblique, jusqu'à Rimbaud, Shelley, Stefan George... Contre le clerc, et les cléricatures moralisatrices, Luc-Olivier d'Algange évoque l'Aède antique, la salutation angélique de Dante à Béatrice, la possibilité toujours recommencée de la Vita Nova, - jusqu'aux Cantos d'Ezra Pound.

L'Orient affleure cependant dans ses essais comme l'aurore sur les toits occidentaux d'une cité endormie. Orient métaphysique plus encore que géographique, aurora consurgens. Voici les poètes et les visionnaires de la Perse médiévale: Sohravardî, Ruzbehân de Shîraz, Nasafî, Fadid-Ud-Dîn 'Attar, - la langue des Oiseaux, l'alchimie de l'image et du verbe. L'espace est murmurant de conversations inouïes. Il suffit de les entendre. La France baroque s'entretient avec les "Ishrakyuns", les philosophes de l'aube levante, les héritiers de Zoroastre et du Védantâ. Ecoutons.

Des poèmes en surgissent: chant de l'heure la plus claire, chant de l'orage lumineux, chant de l'Ame du monde.

L'entretien, en profonde logique, se poursuit avec Nietzsche et Hölderlin. Nietzsche par lequel nous savons que "les plus grandes pensées sont les événements les plus grands". Et voici encore d'autres mondes dans le monde, dionysies de l'âme, efflorescences, labyrinthes... Une sapience, nous dit Luc-Olivier d'Algange a été perdue, mais dans sa nuit, dans son voilement, elle fait signe vers son retour, et voile, et vogue vers nous, nef odysséenne.

Anna Calosso

Luc-Olivier d'Algange, L'Ame secrète de l'Europe, éditions de l'Harmattan, Le Chant de l'Ame du monde, éditions Arma Artis.

 

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