03/02/2013
Journal désinvolte de Luc-Olivier d'Algange, 03/O2/2013
Ne pas oublier que toute démocratie tend naturellement au totalitarisme. "Transparence" et "communication" veulent dire "contrôle omniscient". L'époque n'est plus sous le signe de Prométhée, et pas encore sous le signe d'Hermès. Nous vivons un assez sinistre intermède sous le règne du Docteur Mabuse.
*
Le comique involontaire de certains universitaires qui dissertent de "l'échec" de Proust et de Musil, alors que chaque paragraphe, voire chaque phrase, de La Recherche ou de L'Homme sans qualités est une irrécusable victoire sur la bêtise, la confusion, la lourdeur et la vulgarité. (Victoire dont on conçoit bien qu'elle n'est pas une bonne nouvelle pour ceux qui, par démagogie, luttent du côté des forces adverses !)
*
Ecrivains mozartiens: Jean-Paul Richter, E.T.A. Hoffmann. "Trop de mots" disent les imbéciles. La phrase en voltes et virevolte, l'ivresse intelligente, le fabuleux ironique, la danse... Les esprits lourds, qui ne savent plus sur quel pied danser, ne s'y retrouvent pas. La profondeur légère, le farfelu initiatique. La déroute de l'esprit de sérieux, mais, la nature haïssant le vide, celui-ci est aussitôt comblé par d'innombrables bienfaits d'humour et de sagesse.
*
Les grands efforts naissent des grands repos, houles de fond.
*
Nous mesurons à quel point l'esprit français, héritier de la logique grecque et des nuances chrétiennes, nous a sauvé, et pourrait encore nous sauver quelque peu, de l'abrutissement et de la folie. Cette considération n'a rien de partial. J'ai maintes fois constaté que, livrés à des familles ou des communautés obscures ou ineptes, qui les eussent réduits à la servitude ou au désespoir, des esprits furent sauvés, et rendus à ce qu'il y de meilleur en eux-mêmes, par la compagnie de Rabelais, de Montaigne, de Corneille ou de Dumas, et quelques bonnes conversations.
*
Distinguons l'esprit régional de la mentalité communautariste. Le premier est une distinction en résonance avec le paysage, la légende et l'histoire; il concerne les hommes "de chair et de sang" dont parlait Mighel de Unamuno. Le second est repli sur l'identité, autrement dit une soumission à l'abstrait. Les traditions existent; les identités sont des fictions administratives. Les régions ont un esprit, qui souffle dans les feuillages, éveille les coeurs et les saveurs. Sapide sapience. "Nous habitons en poète" disait Hölderlin. Faunes et flores, sources sacrées, pierres sanctifiées, promenades, formes et forces de l'air, de l'eau, du feu et de la terre. Toute habitation, au sens hölderlinien, ouvre, par son enracinement même, sur l'universel.
*
Le fameux "langage du corps", de nos jours tant vanté, est beaucoup plus mensonger et artificieux que celui des mots. Les hommes peuvent mentir avec leur vocabulaire, et encore, mais leur syntaxe révèle immédiatement l'ordre ou la confusion qui règne en eux, et même leur humeur du moment.
*
Il y a mille façon de bien écrire, qui se résument à une seule: suivre exactement le mouvement de sa pensée. Syntaxe simple ou complexe, vocabulaire élémentaire ou prodigue, sècheresse ou ébullition, lignes droites ou arborescentes, phrases calmes ou effervescentes, c'est selon ce que nous avons à dire et qui invente la langue appropriée à son dessein. Les Modernes qui s'efforcent de "bien écrire" donnent souvent l'impression de traîner aux chevilles les chaînes et les boulets du condamné. Aucune aisance, aucune audace; ils s'appliquent; on les devine inquiets de chaque mot qu'ils écrivent, non pour mieux servir leur vision mais par souci du qu'en dira-t-on. Le politiquement correct ajoute à leur terreur; les voici compassés, notaires de province, bagnards de la convenance.
*
16:44 | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook
Les commentaires sont fermés.