16/01/2022
Le Sacre de l'Instant, poème:
Luc-Olivier d’Algange
Le Sacre de l'Instant
1
Et je voyais
À travers le feuillage des ormes
L’ombre d'une clarté désormais si fragile,
Comme l'idée même d'une heure
Dans la profonde nuit lointaine
Sous les paumes d'Achéron, -
Déjà presque venue au monde
Issue d'un avril de légende
Te voici:
Tu marches vers le fanal en te souvenant
Des phrases d'Héraclite sur le fleuve, la guerre
Et l'homme le meilleur...
Et quel astre se reflète dans tes prunelles
(Sombres comme le monde en vérité
Dont nous ne savons rien) ?
Quelle pupille miroitante ?
En elle, ces vallées, ces villes,
Et je revois les patinoires brillantes,
Les jolies silhouettes enlainées
De couleurs vives.
Elles tourbillonnaient sous l'œil des aïeules...
Même pour celui qui ne se souvient de rien,
Rien de précis,
Tout l'avenir est encore comme une année de rêve
Un palimpseste
Où l'on retrouve les fleurs et les humidités secrètes,
Comme en ces forets verdoyantes
Faites pour s'embrasser, et mieux encore,
À l'abri des regards...
Que reste-t-il de l'Empire en vérité ?
Et des hérauts, des lettres,
Dans les fléchissements de la folie ?
Ces afflux de sang, ces images dépourvues de sens.
Rien, vous dis-je, sinon la promesse du souvenir...
Car il fut un temps où l'Europe était belle.
On voyageait à travers des saisons, des siècles.
Les ciels et les terres changeaient de robe
Chaque matin et les visages.
On respirait un air de fraîcheur libertine
Et l'on jouait à découvrir de hautes vérités.
Ce n'était pas encore le règne des marchands.
La Vision précédait encore les mots et les phrases.
Les Idées
Se donnaient à voir, gracieuses, impudiques
(Je veux dire innocentes !)
Et l'éclat de l'automne et des vignes ! Et la rousseur
Comme une jeune fille très nue et très fière,
Des allées qui n'en finissaient pas de bruire sous nos pas
Et de brûler secrètement
Sous nos regards !
Et quels dieux venaient à notre rencontre,
Pour mieux nous éblouir d'être au monde,
En ce monde,
Et non point ailleurs...
Car ce n'était pas le règne des Marchands
Ou des Techniciens, ces vengeurs !
D'autres hiérarchies différenciaient encore les humains,
Gardant aux plus subtils, aux plus fragiles, aux plus forts,
Une chance de survie. Et l'Eté,
L’Eté brillait à l'intérieur de l'automne...
Et la Mer méditait dont nous descendions en rêve
Les marches
Dans le crépuscule.
La Mer se taisait dans l'attente des nouvelles
Et très anciennes cohortes mythologiques
Qui viendrait l'éveiller de son rêve, de sa torpeur...
Que reste-t-il aujourd'hui d'une telle volupté d'être ?
Qu'en reste-t-il ?
« Tout à revivre ! » est la réponse de la Gloire.
Tout ? La plus calme, la très-pure, le ciel
Écoutant la profonde lumière,
L’obscure...
Tout ? Cela même qui ne se laisse dire sans fureur
Sans impatience, qui nous devance,
(Comme la Très Belle ouvrant ses bras)
À l'exemple de l'Idée...
Quelle tristesse d'oublier
Et quelle mélancolie plus grande encore
Que de se souvenir...
Mais quelle suavité que de revivre
Porté sur les ailes des parfums gnostiques
De l'enfance,
La connaissance matutinale,
L'anamnésis,
Toujours plus haute
Dans la recouvrance des Principes
Dans le rayonnement du Feu Royal,
À travers les inépuisables nuances de couleurs,
De sons et de Symboles,
Dans la nature et dans les livres...
Nous ne renonçons point.
Jadis, le sens de la vie s'embrasait encore
À l'orient des signes.
L'Intellect
vibrait dans sa chambre bleue
Et l'Heure Sainte, nous disait:
« Certes les dieux périssent mais jamais
La clarté qui projette sur le mur du temps,
Leur ombre, et la danse de Ses Gestes ! »
Jamais ne périt ce qui précède:
L’aube éternelle de la Mer aux mille reflets
Du Monde Antérieur. Et cela nous fut dit
Dans les ruines bleues, les jardins,
Sous les glycines...
Dans le ressouvenir des Ultimes Terrasses Avant l'Abîme.
Mais si gracieusement ornées vraiment
Que nul n'eût osé croire
En cet immense bonheur de la fin,
En cet immense bonheur offert de la fin des temps,
Offert
Avec tant de légèreté et d'espièglerie
Comme des brassées de fleurs fraîches tenues
Par des jeunes filles, un soir d'éternité,
Sous un ciel furieusement changeant...
(Et pourquoi les nuages bougeaient-ils si vite
Ce soir-là ? )
Offert, dis-je,
Ce bonheur,
Comme si de rien n'était sinon
La plénitude sans nostalgie ni déhiscence,
De cette Heure Dite, la dernière,
Avant ce qui ne peut être dit.
2
Longtemps nous marchâmes sous la Pluie et le Soleil
Devisant de toutes les fleurs, nuées,
Transparences.
C'est ainsi que nous concevions notre métaphysique.
En transparence... A travers
Les Symboles, les astres,
Les dieux, au-delà des géométries et des nombres,
Vers une perfection silencieuse, immobile,
Ordonnatrice.
Et pourtant le chemin que nous suivions
Était un chemin d'amour.
Nous aimions la nuit foisonnante,
L’aube, rosée fraîche sur le front,
Après les affres du combat, une Paix céleste...
Le Jour, nous l'aimions pour la puissance
De son monologue,
D’après la mort,
Quand elle passe.
Et nous l'aimions
Pour les labyrinthes invisibles,
Longtemps après.
Et l'oubli,
Sur le front comme une couronne de sommeil,
Ce fut, avant Pluton,
La véritable et la très-secrète
Beauté du crépuscule, ses buissons ardents,
Ses Cyclades chantantes, - et que dire encore
Des fleurs marmoréennes
Sur les rochers noirs du destin des Lys...
Et suspendue au-dessus
Comme un souvenir de sa parole déjà obscurcie
Par vengeance, folie, ou indolence criminelle,
Au-dessus des vagues, ce visage de vêpres dorées,
Brillant, comme les derniers adieux, - les vérités
D’un mauve léger sur les glaciers indétrônables...
Et quelle métamorphose d'ailes soudaines... Que signifie
Cette mer, cet espace vide ?
Semblable à la limite, - le sombre et terrible
Passage de l'Etoile
Plus noire que la nuit la plus sombre,
Que les ténèbres mêmes... Elle, cependant,
Y subsiste,
Etincelle du Feu Incréé.
L'ai-je vue, en vérité, engloutie dans les eaux
Avec toutes ses images les plus chères,
Comme une proie inconnue, dévastée ?
Aride
Comme le verre que l'on invente
Au rayon illimité de l'extinction, - ces années lointaines...
Et il fallut en revenir
À travers la noire vallée.
A travers la noire vallée, il fallut en revenir...
Tels des passeurs orphiques avant qu'au dehors
Tout ne fût également obscurci
(Jugez de notre hâte !).
Et maintenant... Quel bonheur de voir
Sous le ciel libre la juvénile audace
À elle-même renaître et oser croire
Que finalement rien n'était perdu !
Ah ! Par le Haut ! L’éclat véridique,
L’unique fondateur de tous les uniques,
L’aube enfin m'exhausse hors de moi-même,
J’existe, mais en résonnance. J'invente
Ce qui fut oublié.
Je découvre les couleurs de l'Ame comme un vitrail...
Dieu
Est en moi ce souvenir lointain.
Ah ! Par le Haut, le Très-Haut, qu'elles m'emportent,
Les ailes de la sagesse divine, l'anamnésis,
La Maison d'Or,
La Vierge Marie, qu'elle me désarme
En ce monde où j'existe sans avoir jamais été...
Car telle était notre prière
Sur les chemins empierrés qui ressemblaient
À un fleuve desséché.
3
Et ces images mortes, vivantes ou désirées...
Que n'ai-je trouvé pour les dire, ces feuilles bleues
Ombres fascinantes, précises,
D’un empire de lumière où nous nous taisions
En proie à la conjuration des souffles...
Qu’elles criaient enfin dans le ciel trop clair !
Sur le printemps de la Mer, les Jardins déjà.
Que n'ai-je trouvé les phrases parfaites ! L'oubli,
Il est vrai, est un sanctuaire.
Nous cheminions dans les couleurs
Incommensurables de Noé, -
Et le feu et le vin et le crépuscule
Accomplissent ce destin de cigüe
Vers cette fin de l'été où vivre
Ressemble enfin au temps des légendes ;
Où toujours plus loin
Dans le nocturne de la fuite
Rires et chagrins furent les traits de l'espace,
Le sommeil pesant, l'assombrissement
Où les images elles-mêmes se divisent
Dans une incertitude croissante… En vérité,
Cette fin d'été nous pleurâmes.
Qu'en fût-il de ces lointains, pour nous,
Tombeaux des dieux ?
Tombeaux d'algues et de pierre
Sous l'horizon béant où médita Ulysse...
Et que devinrent ces lauriers, rêvant
D’accomplir les sources du feu, la nuit changée
Par une belle main destinée ?
Je crois que l'interdit fut dans cette heure
Qui porta ton nom - et que nous glissâmes vers la plage
Comme des enfants très amoureux l'un de l'autre...
Toi que déjà l'éclat de cette neige illusoire
(Sélénienne, dirions-nous)
Ouvrit aux belles constellations
Comme écroulée
Contre le cœur même de l'ombre sans nom,
Comme l'ultime immensité des roses
Écroulé sur toi,
Comme sur les murailles d'Empire,
Un demi-jour pythique,
En ces temps-là !
Car en ces temps-là l'Europe était belle,
Et ce n'était pas encore le règne des marchands.
Le Temps était un fleuve,
Et comme le fleuve
Notre vie était présente en même temps
À la source et à l'embouchure.
En ces temps là,
Nous pensions la profondeur et l'agonie de la puissance.
L'instant ne préludait point à l'éternité. Il était
L’éternité même... Vivante ou morte
(Nul ne sait) mais infiniment désirée,
Toujours, de tous les regards ingénus ou savants.
Les terrasses du crépuscule pouvaient
Infiniment donner sur un opéra tragique,
L’Etoile du Nord
N’en demeurait pas moins
Fidèle à notre attente.
Au large de toute cette blancheur
Les Védas chantaient, et Eurydice, - Eurydice
Disparaissait dans les turbulences de l'air
Eurydice perle blanche roulant dans la mer...
Et que d'années perdues à chercher les Portes de l'Enfer,
Car en vérité, de naissance, nous y étions !
Le front contre les vitres de la nuit,
Tenant entre nos paumes, nos tempes,
La colombe de l'idée sublime...
Elle s'en alla
Loin de nous,
Frissonnante des ailes
Vers des noirceurs plutoniennes…
Car, enfin, qui de nous cherche ainsi l'Être, le Requiem
De la peur ? Orphée joue à la marelle, nuit et matin.
Il se penche
victorieux du vertige
Vers le centre du temps où Dieu s'est perdu,
Vers le centre du Calice du Temps
Vers le centre du puit de vérité,
Le cœur du Graal
Qui est le cœur du Ciel.
Et pour lui seul, disait Eurydice,
Un bouquet d'asphodèles...
Nous fîmes l'éloge de cette loi grandissante
En nous, de cette loi
très-fidèle
Telle, à la lumière,
Le cristal d'un pur anéantissement,
De cette loi hautement philosophique,
Glorieuse comme une Sibérie surnaturelle,
Légère sous le sens des mots
Comme une floraison neigeuse.
Que belle et haute fut cette loi
Pour nos œuvres
Et le sentiment supérieur de la lumière !
Que belle, haute et chantante cette loi de l'Esprit
Pure et violente
Comme la destruction immobile
Et imperceptible du Temps !
Comment survivre à ce terrible Paradoxe,
À la trompeuse douceur et à la lassitude
Qu’il provoque en nous ?
Parque du mensonge, qu'il faut défier !
Car si Jadis est toujours et à jamais,
Pourquoi en sommes-nous séparés aujourd'hui ?
Je n'y vois qu'un vaste et pernicieux envoûtement.
Pire que l'exil est l'exil de l'Exil,
L’oubli de l'Oubli, - et cette léthéenne emprise
Du monde séparé sur notre âme :
Voici notre déchéance.
Indignes du Toujours et de l'A-Jamais
Nous errons entre deux approximations
Vers la colossale certitude de l'Oubli Total.
Qu'une voix s'éveille en nous, mes amis,
Avant de disparaître. Qu'advienne
La subtile vocalise du Ressouvenir,
Un trille,
Si nous savons encore parler les Langue des Oiseaux.
4
Et j'entendais la pépiante roue de mémoire
Du chapitre le plus mystérieux… Les mots
De la vitesse de l'Idée furent libres
Et chantèrent ces feuilles crépusculaires,
Ces runes d'ombres et de flamme.
Et le coquillage du soir, sa vague entendue,
Où se brise le mal du pays, ses visions d'atolls,
De coraux, dans l'immobilité sauvée
Des chœurs d'hirondelles,
Des dieux de pierre pour l'éternité
Venant se briser contre le logis inconnu
Des rochers que hante la couleur fascinante,
Théophanie créatrice de sa poitrine,
De son regard d'oiseau, delphique,
Dont elle fut l'ultime consumée... Ah ! D’un seul
Regard, maudite, perdue... Pour l'Occident
Incommensurable de sa finale,
Le silence
De ses cortèges destructeurs
À sauver l'oubli de l'heure, de la nuit,
Jusqu’aux dernières marches descendantes
Vers la mer tiède encore à cette heure…
Et voici que nous revenions
Vers le premier degré
Ou s’étiole insensiblement le bouquet
D’un amour infiniment sexuel et divin,
En le ressouvenir soudain d’une violence
Impérieuse de ses jambes
Ouvertes sur le désordre de sa blondeur,
D’où jaillit le torrent solaire
D’une munificente impudeur…
Ô retrouvailles avec une jeune fille
Longtemps perdue et qui nous égare,
Revenue toute mouillée entre mes bras
Secrète couleur de l'été...
L'Inconnue, choisissant le juste instant pour moi seul…
Ainsi parlait-elle sur le souffle et débutait
Le chapitre le plus mystérieux...
Qu'elle fut de ces vastes roses de ténèbres,
Ou la seule forme de la destruction,
La Terre vivait en l'énigme de ses germinations,
Elle vivait dans l'ivresse des couronnes, des floraisons,
Dans la science des grandes lois
Conquises pour le joug,
Et le souffle...
Allant jusqu'à l'asservissement de la chute d’un beau soleil
Comblé d'orages, d'ancêtres,
De ces grandes villes qui sont des tombeaux...
Elle me disait:
Adieu, voici ta main,
Comme d'une enfant qui nous quitte et revient,
Elle s'attarde sur le ventre plat, touchant ses lèvres...
Ce serait alors
Dans un autre pays
Après les moissons. Sous le règne
Des symphonies éternelles qui dominent la terre
Et nous seuls accordant
Ce chant perpétuel:
« Depuis que le Verbe s'est fait chair, la chair parlait à nos âmes en vagues bouleversantes... »
Et la nuit tombait sur nos gestes
Qui rayonnaient mystérieusement...
Dans les abîmes bruissants
Nos langues et nos lèvres se trouvaient,
L'aube posait sur tes seins des pierres de lune...
Et quel oratorio d'esprits autour de nos embrassades
Sous les voûtes
Des arbres, devant la rosace
Touchée de lumière: elle tournait
Dans cette cathédrale d'air, pour une seconde sauvée,
Celle-ci, dis-je, que je veux, et point une autre,
O merveille !
Celle-ci avec son regard sombre,
Adossée aux ailes
Plus sombres encore
D’une volonté lointaine,
Et non point une autre...
La puissance du désir me sauva de l'agonie de l'Eté.
5
Il n'est rien d'humain qui ne se puisse dire...
Rien d'humain
Qui ne fut d'avance offert
Aux phrases rapides, miroitantes et théâtrales de nos rêves,
À condition d'en être digne
Et d'oser
La hauteur du Verbe qui s'offre,
La hauteur du chant
Et la profondeur
Du cri de l'énigme qui résonne
Dans les abysses des abysses,
Siècles de siècles...
Je n'écris que pour ceux qui connaissent
Le nom de cette aventure
Les Nobles Voyageurs
Devant d'éternel... Ils vont
Quand il ne reste rien du monde
En la parodie de ses cœurs gelés
Sinon l'unique soif de connaître la gloire...
Et ne fut-elle point vengée, ici,
Par la grandeur adorée
Et l'adorante langueur,
Ressaisie
Par le sang et l'or de ses prouesses !
Jadis « tout le secret des dieux »...
Pour Elle, en vérité, nous étions la foudre
Et le vent... La certitude blasonnée
Qui ne peut vieillir, sa colère
Abandonnée à la foi,
Aux statues d'extase
Belles comme des torches vives !
Jadis, tout le secret des hommes, cette misère !
Mais nul ne l'apaise, elle grandit,
En vain, dans la vanité ensommeillante
Où s'incline la civilisation de l'Occident,
Douce comme des raisins d'ombre,
Où s'incline
Avec le perpétuel combat de la lumière des chaumes
Qui courbe les têtes
Sous le casque anonyme,
Face à la plaine immense où rien ne demeure
Que la Loi, le rêve zénithal
D’une clarté dont la teinte flutée vrille la vigne
De l'heure dite, la très douloureuse des bannies...
Et le cœur se brisait à l'entendre ainsi
Parler des grandes villes qui sont des tombeaux
Et des temps où l'Europe était belle.
Ah que cette chanson tardive
Comme une nuit oubliée dans la gorge des femmes...
Est-ce le dernier éclat du Sens ?
De sa jouissance claire,
Étendue, soudain rayonnante à travers la mémoire
Où s'achève l'individu
Et commence l'incendie ?
O douce flamme, pour commencer,
Bleue à l'apogée de l'ondulation... Et la rousseur
Du reflet sur le miroir,
Les prairies lointaines de son tain donné
Comme une parole...
Mais déjà les écorces brûlent !
Arbres, cheveux,
Races de l'Etre et peuples affligés...
Une brûlure portuaire médite l'immortalité
De la neige salvatrice
Qui tomberait des étoiles, si seulement
Nous savions prier !
Ce serait alors le dernier mot de la dernière strophe, son attente
Si vieille maintenant, si nue,
Dans l'angoisse primaire d'un ciel d'ardoise,
Presque noir,
Où passent les lignes brisées des éclairs...
6
Qu’en nous le ciel que des années de remord éteignent
Sous les pas légers des colombes saintes,
Ce ciel de genèses violentes
Dans les pierrailles, les oliveraies...
Qu’il soit !
Parle-t-il du destin de Dionysos ?
Du chant des forêts, feuilles et pluies,
Hautaines,
Ou de cette pesanteur contraignante
Des astres vivants pour Elle ?
Ah ! Rien d'autre vraiment
Que ce commandement ancestral du bonheur...
Rien d'autre que l'asile des races du ressouvenir:
Ainsi elles réconcilièrent le monde. « Mieux vaut mourir »
Disaient-elles à la naissance même de l'être
Et de l'action, mieux vaut mourir
Que d'oublier les vaisseaux d'Olympie,
Ce parfum, et l'interprétation des signes
De la lumière et du vent...
L'histoire avançait comme une bête de somme
En des labeurs incompréhensibles
Des pierres roulaient sous ses pas...
« Toujours plus haut » disaient les Maîtres et les Seigneurs,
« Et hors de la substance primitive ! »
Que ces rochers soient notre Empire
Et ces cieux, notre couronne ! Et cette mer
Miroitante dans le silence immense du crépuscule,
Notre amante... Et la beauté des fleurs nocturnes,
Ce don de la création, puissances
De l'été profond qui résonne en notre âme...
Ah ! Que viennent les temps glorieux et sans nom, et les Promises,
Iris diurne et prunelles nocturnes...
Il me souvient de ces soleils et de ces nuits.
Ils disaient : Malheur à celui qui s'en tiendra aux bons usages,
À la crainte avaricieuse. L'Etoile du Feu n'est point pour lui
Ni le cœur battant de la parole murmurée de l'Amante...
Qu'il demeure avec ses juges, ses pions et ses examinateurs
Et ne vienne point
Quêter le sourire des Sœurs
Ni des hommes vivants
Qui souffrent de l'agonie de l'été...
Qu'il ne vienne pas en ces parages hauturiers
Où règne
La scintillante loi de l'Instant ! Qu'il ne vienne point s'immiscer
Alors que l'heure pâlit dans l'ivresse du silence
Que les ombres transportent au premier ciel
Le premier guerrier tombé
Dans la bataille des fleurs... Et l'âme du monde
Se penche sur lui, aimante, et
Touche son front de sa chevelure sombre.
Et s'il ouvre les yeux, c'est soudain
Et à jamais,
L’éternité conquise
La jeunesse absolue
Arrachée à la terre et sauvée
Dans la transparence minérale du symbole
De l'Autre Côté de l'horizon.
7
Comme il sied aux âmes bien nées
Nous fûmes amoureux de notre destinée.
Devant nous, elle allait,
Savante et gracieuse
Dans le dédoublement des pensées et des gestes...
Elle allait,
Devinant nos espoirs
Et devisant avec nos doutes,
Ombre des Nobles Voyageurs...
Mais, un instant, n'allait-elle pas
S’enfuir devant nous ? Nous laissant seuls...
Face à l'étendue déserte par excellence où il n'existe rien
Que le retentissement
Des échos et des voix
Clamant des profondeurs ? Rien devant nous ?
Et quand bien même ! L'ardeur n'en serait que plus héroïque !
Car aussi
Nous connûmes les grandes fêtes de l'Irréalité
Nous connûmes
Ces constructions dissolvantes
Avec leurs balustrades ouvertes sur les ailes du chant mauve
D’une suavité mortelle, nous connûmes
Ces interrègnes et le travail des démons, et l'hallucination
Des libellules
Dans le temple des tempes,
Et le froment des clartés d'outre-tombe. Mais en vain !
En vain ces splendeurs et ces misères.
Qu’en reste-t-il ?
Sinon des mots pour complices
D’une même perdition,
Sinon la désolation luxueuse de l’ultime seconde,
Cette rose
Avant la mort ?
Et que sont alors, dans la mémoire ces Océanides
Ces visions, ces éternités ?
Un jour nous désespérâmes de les atteindre ;
Nous avions touché la paume froide
D’une mythologie défunte
Et l’effroi glaçait notre cœur…
« En vain, disions-nous, en vain »
Toutes les choses d’autres mondes
Et toutes celles d’ici,
Les Ardentes et les Tristes…
Et cette sorcellerie lointaine,
Dans les confins d’une nuit d’été sans mémoire
Et les lauriers des dieux, qu’en savions-nous ?
Sinon que la fin de toute destinée
Est dans la joie qui cède le pas à la mort…
Le vent du Sud tissait ces voiles rousses
Qui nous emportèrent, il y a si longtemps
Vers les gouffres…
« Tout se consume » disions-nous
Et nous n’avions plus la force… « Rien ne demeure »
En vain, toute chose espérée ou haïe
Et nous n’avions plus la force de lever nos paupières
Sur la pimpante beauté du monde…
Quelle dérision !
Mieux vaut encore battre de ses semelles
Les cendres du désespoir ! Mieux vaut encore
N’importe quoi
Pour notre honneur de poètes
Que ce simulacre de sagesse, cet « à quoi bon »
Délétère et servile, ce consentement
À toutes les mesquineries. Il faut être un Saint
Pour oser médire ainsi des illustres illusions
Des chatoyantes apparitions du monde,
Dansantes voilantes et dévoilées…
Ai-je un jour chanté ses mensonges
Avec une aussi lucide ferveur ?
« A quoi bon vivre sans but » disaient les voix vieillies,
Les traitresses… Nous répondions avec orgueil
Sous l’infinie clarté miséricordieuse
Qui nous pardonnait :
« Comme il sied aux âmes bien nées… »
Non, plus jamais l’été ne s’achèvera dans cette tristesse
Qui était elle-même sans fin
Comme la chute originelle de l’homme dans le Temps…
Plus jamais cette déréliction,
Cet adieu tardif… L’Eté
Demeure.
Il demeure à l’intérieur de lui-même
Comme une flamme dans sa demeure
Sous la voûte bleue, ce Graal renversé !
L’été enfin trouve sa Loi éternelle,
Conquise, l’été accepte le don de l’été
Et l’éternité loge l’Eté qui jamais ne cesse
D’avoir été, pour être,
Dans la présence rayonnante
Ardente et dansante de l’Instant ;
Ce qui se tient immobile
Au cœur du Temps
Comme l’être au cœur profond de l’Eté
Et l’été au cœur
Comme le rayon au cœur de la rosace,
Et l’Instant chante de la clarté précise qui l’allume.
8
Et j’entendais le chant de l’Instant, voix parfaite
Dans la partition de l’exil du Temps
Avant la leçon de ténèbres. L’Instant
Qui divise toute chose
Mais que rien ne sépare de lui-même…
Toute beauté fut ici-bas
L’ombre de son triomphe
Et toute « extase d’or… » Mais toujours
Vous trouverez sur votre chemin
Ceux qui ne veulent pas voir, ceux qui cheminent
En toute ignorance de cause,
Dans une médiocrité qu’ils sacrent et vénèrent,
Confondant, dans une confusion blasphématoire,
La commune-mesure et je Juste Milieu, le pire et le meilleur.
Mais il est
Dans la nature du mal
Non de repousser le bien mais de le singer… Toujours
Nous trouverons sur nos traces
Nos pires ennemis
Et devant nous, quelquefois,
Des démons heureux qui eussent aimés
Nous apprivoiser… Toujours
Nous trouverons des humains qui ne veulent voir
Partout que ce qu’ils sont eux-mêmes :
Petites ambitions, moyens inavouables
Pour des fins au-dessus de tout soupçon…
Et ce qu’il faut de turpitude, à certains,
Pour enfin paraître respectable !
L’amour nous eût-t-il sauvés alors,
Avec la divine compassion,
Dans l’enchaînement des violences, la succession sans fin
Des anneaux toujours plus lourds,
D’un métal plus sombre,
Vers cette nuit des temps qui est devant nous
Comme une promesse,
Une stèle, - afin que nous puissions voir notre visage ?
Ah je m’y refuse !
Comme j’eusse refusé d’être
L’adorateur de la seule ivresse !
M’importe la vigilance dans l’air matinal,
Les strophes des poèmes inventés dans l’action,
Les strophes comme des coursiers élégants,
Les crinières amoureuses du vent…
Car nous aimions la vitesse de nos pensées
Sur les limites du jour… Car nous aimions
Cette furie de secondes saisies au vol
Dans l’ivresse du jour,
Cette furie, cet Empire !
Oui, je te revois maintenant, mienne splendeur,
Détachée de cette affreuse nuit des temps
Et revenue vers moi. Je revois
Cet angle bleuté
S’ouvrant sur les très-vastes seigneuries
D’écumes et d’azur.
Tels Ulysse en dormant
Nous retrouvions notre pays natal,
Sous la coupole bleue, violente et parfaite ;
Et lorsque tombait le soir
Nous respirions à nous y noyer
Les parfums de la terre, et le silence magnifique
Nous obéissait,
Sommeil d’ambre platonicien
Se posant comme une main fraîche sur le front,
Ce bonheur.
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