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19/01/2023

Luc-Olivier d'Algange, " En Allemagne, bien loin... ":

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« En Allemagne, bien loin… »

 

L’ouvrage de Philippe Barthelet et Eric Heitz, Voyage d'Allemagne, paru dans l’excellente collection « Le sentiment géographique » dirigée, aux éditions Gallimard, par Christian Guidicelli, s’ouvre sur une citation de Christine de Pisan : «  En Allemagne, bien loin… » Nous voici fort loin du tourisme, fût-ce du tourisme culturel, mais bien loin aussi de cette imprécision, de ce vague à l’âme, de ce romantisme faible, que semble induire fatalement, chez les amateurs de dépaysement, le fait de se déplacer, de quitter un lieu pour un autre. Ce « bien loin » est ici un surcroît de limpidité et d’exactitude. Rien de noyé ou de dispersé : les voyageurs sont français. L’air y semble plus clair comme après la pluie ; les détails, sculptés par la fraîche clarté qui succède à l’orage.

Il est des livres qui sont inventés pour nous endormir, d’autres pour nous éveiller de cette torpeur ordinaire qui semble être la vitesse de croisière des entendements modernes. Le lointain de ce Voyage d’Allemagne est paradoxal : il nous initie à être présent, avec le secret conseil d’Ernst Jünger dont la vie et l’œuvre sont ici enfin dégagés des préjugés absurdes et les piètres ressentiments qui souvent les entourent.

L’Allemagne à laquelle nous invitent Philippe Barthelet et Eric Heitz est lointaine, non certes par la géographie visible et profane, ni même par les antagonismes de l’Histoire, et à peine par ces « raisons » dont Charles Maurras surestimait l’importance en évoquant contre le monde germanique, le monde roman. Novalis, ou Jean-Paul Richter, pour ne citer qu’eux, furent romans par excellence et leur « romantisme » ne fut rien d’autre qu’un recours à cette poétique romane dont Simone Veil évoquera la grâce contre la pesanteur, la catholicité contre les sectaires, l’éternité christique contre la perpétuité de l’espèce humaine dans son ensemble globalisé ou ses sous-ensembles plus ou moins vétilleux ou vindicatifs. Romantisme tourné vers la Marina, l’Ermitage aux buissons blancs, la profusion légère de la sapience et du bonheur.

Lointaine, donc, cette Allemagne, dont Philippe Barthelet et Eric Heitz ôtent les écorces mortes pour en apercevoir quelques vérités sensibles, - lointaine comme elle peut l’être à elle-même, comme nous le sommes à nous-mêmes, et comme le lointain « en soi » qui se tient dans le Dit poétique, Dichtung, - ce poïen qui est à la fois songe et action et dont témoignent les œuvres et les destins d’Hölderlin, de Claus von Stauffenberg, et d’Ernst Jünger.

Ce Voyage d’Allemagne est aussi une "visite à Wilfligen", comme Ernst Jünger écrivit La Visite à Godenholm, rappelant au passage, en nos temps de mégapoles titanesques, que les hommes disposent du pouvoir de créer les paysages et les cités emblématiques qu’ils habitent. «  L’homme habite en poète » écrivait Hölderlin. C’est à répondre ou non à cet appel, à cette vocation, que les lieux que nous visitons se laissent entendre et se laissent voir, et consentent à nous parler et à nous regarder dans le regard que nous portons sur eux. Ainsi, de la transparence de ce voyage ; la liberté et la dignité sont laissées aux êtres et aux choses, aux lieux et à leurs hôtes humains, sans oublier les faunes et les flores, pour advenir dans le cours des phrases.

Après tant de livres hystériques et confus, tant de livres déprimés sans être tragiques, nous voici, dans Le Voyage d’Allemagne, au repos, mais dans un repos qui est la vivacité retrouvée à sa source, heureuse récréation, école buissonnière par jardins et routes, où les Calenders viennent à notre rencontre.

Luc-Olivier d’Algange

Philippe Barthelet, Eric Heitz, Le Voyage d’Allemagne (Gallimard)

 

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Luc-Olivier d'Algange, Car les temps sont venus de rendre grâce, poème

 

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(Illustration L'Etoile du matin de Mucha)

 

 

Car les temps venus de rendre grâce.

Toute chose nous fut donnée pour le partage de l'ombre

Dont les yeux vers le sommeil composent la neuve ivresse

Et le murmure des preuves que nous n'entendons pas !

 

Là-bas un autre monde prend naissance

Dans le Songe que redit la pénombre des formes,

Un autre monde frissonne dans le visible

Telle une vérité oisive encore

Dans la sûre conscience de son lointain...

Qu'être dans ce Moi dont le rêve est la désespérance de la pensée ?

Peut-être ce consentement profond à l'incertitude

Dans l'unisson de toutes les essences et de toutes les apparences,

J'en devinais le ressouvenir à l'orée de l'éveil:

Universelle beauté des vagues, écumes rieuses, nostalgies...

 

Ce que nous sommes, croyant l'être,

Est notre manteau royal. Les labyrinthes

Sont nos communes demeures en vérité.

Car la justesse éminente tombe comme une poussière

Sur le déchiffrement du Beau et Vrai... Nos paroles

Sont telles des silhouettes égyptiennes pour celui

Dont la mémoire est l'auguste sentiment de son art.

 

Et c'est ainsi que l'obscurité drape en majesté

Le toucher subtil de l'être à sa naissance;

Et l'obscurité défaille dans sa vaste célébration

Ne sachant si l'objet est cette pensée du soleil

Ou la pure présence de l'impression.

 

Ainsi nous formulions le désir de la légende la plus ancienne...

Doucement ordonnée aux racines, aux rythmes

Qui nous frôlent de leur bonheur, comme, jusqu'à la fin,

L'ivresse d'une louange vibrante !

Car les temps sont venus de rendre grâce.

Notre persévérance est le bonheur de notre exil,

Ce flambeau dans la main tremblante...

 

Passer d'un trait sur le paysage... J'interroge

Le matin de la légèreté. L'humain est cet Adieu

Que la forme enchante pour les dieux qui débutent

Sous nos pas et dans la sainte solitude.

Les secondes sont les stèles des millénaires.

J'avoue que l'être s'évanouit dans le pressentiment de la beauté.

Les temps sont venus, les temps sont venus

De nous déshabituer de cet âge terrestre, -

Et nous en rendons grâce à la Bien Aimée.

 

Luc-Olivier d'Algange

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